L’hyperhydratation par Ringer Lactate accélère l’amélioration clinique des patients avec pancréatite aiguë… non grave !

22/02/2018
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Early Aggressive Hydration Hastens Clinical Improvement in Mild Acute Pancreatitis.
James L. Buxbaum, Michael Quezada, Ben Da, Niraj Jani, Christianne Lane, Didi Mwengela, Thomas Kelley, Paul Jhun, Kiran Dhanireddy and Loren Laine.
Am J Gastroenterol. 2017;112(5):797-803

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Question évaluée

Une hydratation intraveineuse agressive comparée à une hydratation standard à la phase précoce d’une pancréatite aiguë (PA) non grave permet-elle l’amélioration clinique du patient ?

Type d’étude

Etude prospective, bicentrique, contrôlée randomisée en simple aveugle comparant deux stratégies d’hydratation.

Population étudiée

Patients admis aux urgences de 2 centres californiens avec un diagnostic de PA sans critère de gravité.

Les critères d’exclusion étaient :

  • Présence d’un SIRS ;
  • Hypotension artérielle (Pas<90mmHg) ;
  • Insuffisance rénale (créatininémie >2mg/dl) ou épuration extra-rénale ;
  • Insuffisance respiratoire (saturation en air ambiant <90%) ;
  • Hyponatrémie <135meq/l ;
  • Signes cliniques de surcharge périphérique (œdèmes périphériques, ascite, crépitants).
Méthode

Dans les 4 heures suivant leur admission pour PA, les patients étaient randomisés en 2 groupes :

  • Groupe hydratation agressive : bolus de Ringer Lactate (RL) de 20ml/kg suivi d’une perfusion de 3 ml/kg/h ;
  • Groupe hydratation standard : bolus de RL de 10 ml/kg suivi d’une perfusion de 1.5 ml/kg/h.

A H12, H24 et H36 : évaluation clinique et biologique (ionogramme, NFS, créatinine et urémie) des patients par l’équipe de l’étude. Quelque soit le bras de randomisation :

  • Augmentation des valeurs biologiques par rapport à l’inclusion : bolus de RL de 20ml/kg suivi d’une perfusion de 3 ml/kg/h ;
  • Stabilité ou diminution des valeurs biologiques : poursuite d’une perfusion de RL de 1.5 ml/kg/h.

Le critère de jugement principal était un critère composite d’ « amélioration clinique » dans les 36 heures, définit par l’association de :

  • Diminution de l’hématocrite, de l’urée et de la créatinine par rapport à l’inclusion ;
  • Diminution de la douleur cotée par une échelle visuelle analogique ;
  • Bonne tolérance de la diète.

Les critères de jugement secondaires étaient : le taux d’ « amélioration clinique » au cours de l’hospitalisation, le nombre de SIRS et SIRS persistants.

Résultats essentiels

Soixante patients ont été randomisés, 27 dans le bras hydratation agressive et 33 dans le bras hydratation standard. Seulement 14 patients (8.4%) avaient des comorbidités. Les 2 groupes étaient comparables excepté le taux de leucocytes qui était plus élevé dans le groupe hydratation agressive (12000/mm3 vs 8000/mm3, p=0.08).

Les patients avaient reçu plus d’hydratation dans le groupe hydratation agressive que dans le groupe standard à H24 (5.6 vs 3.9L p<0.001) et à H36 (7.6 vs 5.6L p=0.005).

L’amélioration clinique dans les 36h était plus fréquente dans le groupe hydratation agressive que dans le groupe standard (70% vs 42%, p=0.02).

La survenue d’un SIRS ou un SIRS persistant étaient moins fréquents dans le groupe hydratation agressive que dans le groupe standard mais de façon non significative (respectivement 14.8 % vs 27.3% p=0.27 et 7.4% vs 21.1% p=0.17).

Après régression logistique et ajustement sur le taux de leucocytes, l’hydratation agressive permettait une amélioration clinique significative et un risque de développer un SIRS moins fréquent.

Seulement un patient dans le groupe standard avait développé une PA grave et était décédé à J3 de l’admission.

Commentaires

Cette étude a le mérite de faire partie des rares études prospectives contrôlées visant à comparer 2 stratégies d’hydratation précoce au cours de la PA.

Cependant, ces résultats sont à interpréter avec précaution. Premièrement, le critère de jugement principal était un critère composite d’amélioration clinique et ne comprenait pas de critère objectif significatif tel que la mortalité, le nombre de défaillances d’organe ou la durée de séjour. Deuxièmement, les patients inclus dans cette étude ne présentaient aucun signe de gravité, seulement 1 patient avait développé une PA grave et était décédé. Par ailleurs, les patients étaient jeunes et présentaient peu de comorbidités. La stratégie d’hydratation précoce agressive par RL proposée dans l’étude ne peut pas être adoptée pour tous les patients présentant une PA.

Concernant le choix du soluté idéal au cours des PA, de nombreuses incertitudes persistent. Les recommandations américaines(1) préconisent l’utilisation de RL (grade 1B, accord fort), en s’appuyant sur les résultats d’un essai prospectif randomisé sur 40 patients ayant démontré que le RL diminuait le taux de SIRS en comparaison au soluté salé isotonique (2). Dans cette étude, aucun patient n’était décédé, et la proportion de nécrose, de défaillance d’organe et d’infection était très faible. La supériorité du RL par rapport au soluté salé isotonique reste à démontrer en termes de mortalité, de survenue de défaillance d’organe ou de durée de séjour, particulièrement chez les patients ayant une PA sévère.

Concernant le volume d’hydratation à administrer à la phase précoce des PA, la plupart des études sont rétrospectives, de cohorte, et de faibles effectifs, ce qui en limite l’interprétation et empêche la généralisation des résultats. Deux études rétrospectives semblent suggérer que l’administration précoce d’une hydratation agressive diminue la mortalité, le taux de SIRS et les défaillances d’organe (3,4) alors que d’autres études tendent à montrer une augmentation des complications associées à cette hydratation précoce (5–7). Cependant, les complications pourraient ne pas être liées à la quantité d’hydratation reçue mais à la sévérité propre de la maladie, requérant une quantité plus importante d’hydratation. L’hydratation agressive à la phase précoce de la PA fait partie des recommandations (1,8) actuelles. Les recommandations américaines (1) préconisent une hyperhydratation de 5-10ml/kg/h jusqu’à la correction des paramètres reflétant l’hydratation, notamment la diminution de l’hématocrite et de l’urée. Cependant, dans d’autres domaines de la réanimation comme le sepsis, le syndrome de détresse respiratoire aiguë ou encore l’insuffisance rénale, un certain nombre d’études a récemment démontré les effets délétères d’un remplissage excessif.

Points forts
  • Etude prospective randomisée contrôlée ;
  • Schéma d’hydratation simple et facile à appliquer ;
  • Différence significative d’hydratation reçue dans les 2 groupes.
Points faibles
  • Exclusion des patients graves, présentant un SIRS et critère d’exclusion subjectif. Les signes de surcharge clinique (ascite, crépitants, œdèmes périphériques) ont une mauvaise sensibilité pour déterminer la surcharge hydrique ;
  • Etude de faible effectif, incluant seulement 2 centres ;
  • Population de patients jeunes et sans comorbidités, pour qui l’hydratation excessive serait peut-être moins délétère que pour des patients plus âgés et avec comorbidités ;
  • Absence d’aveugle des médecins et des investigateurs ;
  • Critère composite d’ « amélioration clinique » : 
    • certaines variables sont subjectives (EVA, tolérance de la diète),
    • il s’agit d’un critère non validé comme critère d’amélioration d’une PA,
    • il n’y a pas de critères objectifs significatifs (mortalité, défaillances d’organes), rares au cours des pancréatites aiguës modérées ;
  • Pas de comparaison du soluté salé isotonique avec le RL.
Implications et conclusions

Cette étude permet de conclure que chez les patients admis pour une PA non grave, n’ayant pas de comorbidités et ne présentant pas de signe de gravité ni de SIRS, une hyperhydratation agressive précoce par RL permet une amélioration clinico-biologique plus rapide qu’avec une hydratation standard. Cependant, on ne peut tirer aucune conclusion quant à la prévention de la survenue d’une PA grave avec une hyperhydratation agressive précoce par RL.

La population représentée dans cette étude ne reflète pas les patients admis pour une PA en réanimation ayant des signes de gravité (défaillances d’organe, signes scannographiques de coulées de nécrose).

Cette étude permet néanmoins de poser les bases pour de futures études prospectives randomisées qui devront déterminer d’une part quel est le soluté idéal pour l’hydratation à la phase précoce de la PA et d’autre part quelle est la stratégie d’hyperhydratation optimale à adopter chez ces patients en fonction de la sévérité de la PA.

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Conflit d'intérêts

Commenté par Charlotte Garret, Médecine Intensive et Réanimation, CHRU de Nantes, France.

L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt. Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (charlotte.garret@chu-nantes.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Working Group IAP/APA Acute Pancreatitis Guidelines. IAP/APA evidence-based guidelines for the management of acute pancreatitis. Pancreatol Off J Int Assoc Pancreatol IAP Al. août 2013;13(4 Suppl 2):e1-15.
  2. Wu BU, Hwang JQ, Gardner TH, Repas K, Delee R, Yu S, et al. Lactated Ringer’s solution reduces systemic inflammation compared with saline in patients with acute pancreatitis. Clin Gastroenterol Hepatol Off Clin Pract J Am Gastroenterol Assoc. août 2011;9(8):710‑717.e1.
  3. Gardner TB, Vege SS, Chari ST, Petersen BT, Topazian MD, Clain JE, et al. Faster rate of initial fluid resuscitation in severe acute pancreatitis diminishes in-hospital mortality. Pancreatol Off J Int Assoc Pancreatol IAP Al. 2009;9(6):770‑6.
  4. Warndorf MG, Kurtzman JT, Bartel MJ, Cox M, Mackenzie T, Robinson S, et al. Early fluid resuscitation reduces morbidity among patients with acute pancreatitis. Clin Gastroenterol Hepatol Off Clin Pract J Am Gastroenterol Assoc. août 2011;9(8):705‑9.
  5. Eckerwall GE, Axelsson JB, Andersson RG. Early nasogastric feeding in predicted severe acute pancreatitis: A clinical, randomized study. Ann Surg. déc 2006;244(6):959-965; discussion 965-967.
  6. Mao E, Tang Y, Fei J, Qin S, Wu J, Li L, et al. Fluid therapy for severe acute pancreatitis in acute response stage. Chin Med J (Engl). 20 janv 2009;122(2):169‑73.
  7. de-Madaria E, Soler-Sala G, Sánchez-Payá J, Lopez-Font I, Martínez J, Gómez-Escolar L, et al. Influence of fluid therapy on the prognosis of acute pancreatitis: a prospective cohort study. Am J Gastroenterol. oct 2011;106(10):1843‑50.
  8. Pezzilli R, Zerbi A, Campra D, Capurso G, Golfieri R, Arcidiacono PG, et al. Consensus guidelines on severe acute pancreatitis. Dig Liver Dis. juill 2015;47(7):532‑43.
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