L’inflammation, encore et toujours source de confusion

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Texte

Systemic inflammation and delirium during critical illness. Brummel NE, Hughes CG, McNeil JB, Pandharipande PP, Thompson JL, Orun OM, Raman R, Ware LB, Bernard GR, Harrison FE, Ely EW, Girard TD. Intensive Care Med. 2024 May;50(5):687-696.

Texte
Question évaluée

Y a-t-il une association entre les concentrations sériques de certains marqueurs biologiques de l’inflammation et de la coagulation, et la survenue d’un delirium ou d’un coma chez les patients de réanimation ?

Type d’étude

Etude ancillaire de deux études multicentriques observationnelles de conception identique : BRAIN-ICU 1et MIND-ICU 2, réalisées dans cinq hôpitaux américains entre 2007 et 2010.

L’étude est basée sur les données cliniques et les échantillons biologiques issus de ces deux cohortes de patients.

Population étudiée

Etaient inclus les patients adultes admis en réanimation médicale ou chirurgicale, pour insuffisance respiratoire aigüe et/ou état de choc cardiogénique ou septique.

Les patients n’étaient pas inclus si :

  • présence d’une défaillance d’organe > 72 heures avant l’inclusion
  • séjour récent en réanimation de plus de 5 jours avant l’inclusion
  • troubles cognitifs ou pathologies neurologiques préexistants ne permettant pas de vivre indépendant
  • absence d’échantillon sanguin
Méthode

Le coma était défini pour des valeurs de RASS (Richmond Agitation-Sedation Scale) de -4 et -5 et le syndrome confusionnel par un CAM-ICU positif.

Les marqueurs plasmatiques suivants ont été dosés à J1, J3 et J5 de l'inclusion : CRP (C-reactive protein), IFN-γ (interferon-gamma), IL-1β (interleukine 1-béta), IL-6, IL-8, IL-10, IL-12, MMP-9 (matrix metalloproteinase-9), TNF-α (tumor necrosis factor-alpha), sTNFR1 (soluble tumor necrosis factor receptor 1) et protéine C.

L’association entre ces marqueurs (mesurés à J1, J3 et J5) et :

  1. l'état mental (classé comme normal, confusion ou coma) le jour suivant le dosage (soit respectivement à J2, J4 et J6),
  2. le nombre de jours vivants sans confusion ni coma au cours des 7 jours après les mesures (soit J1 à J7 ; J3 à J9 ; J5 à J11),

a été analysée par la régression logistique en ajustant sur les facteurs confondants potentiels définis a priori : âge, présence d’un sepsis sévère, score de SOFA modifié (sans tenir compte de la composante neurologique du score), corticothérapie et les doses quotidiennes des benzodiazépines et d’opiacés.

Résultats essentiels

991 patients ont été inclus : âge médian de 62 ans, 32 % étaient hospitalisés pour sepsis, 17% pour insuffisance respiratoire aigüe, 17% pour insuffisance cardiaque et 16% de patients chirurgicaux.

La durée médiane de séjour en réanimation a été de 5 jours (IQ : 5-13 j) et celle hospitalière de 10 jours (IQ : 6-18 j). La mortalité hospitalière était de 19%.

70 % des patients ont présenté un syndrome confusionnel d’une durée médiane (IQ) de 3 (2 à 5) jours. Le coma est survenu chez 60% des patients et a duré en médiane (IQ) 3 (1 à 5) jours.

  1. Associations entre les biomarqueurs et la survenue d’un syndrome confusionnel le jour suivant le dosage :

Après ajustement sur les covariables précitées, les concentrations sériques plus élevées d'IL-6 (OR 1,8 ; IC à 95 % [1,4–2,3]), d'IL-8 (OR 1,3 ; [1,1–1,5]), d’IL-10 (OR 1,5 ; [1,2–1,8]), de TNF-α (OR 1,2 ; [1,0–1,4]) et de sTNFR1 (OR 1,3 ; [1,1–1,6]) et les concentrations plus faibles de protéine C (OR 0,7 ; [0,6 à 0,8]) étaient associées à une probabilité plus élevée de survenue du delirium le jour suivant les dosages.

  1. Associations entre les biomarqueurs et la survenue du coma le jour suivant le dosage :

Les concentrations plus élevées de CRP (OR 1,4 ; [1,1–1,7]), d'IFN-γ (OR 1,3 ; [1,1–1,6]), d'IL-6 (OR 2,3 ; [1,8– 3,0]), d'IL-8 (OR 1,8 ; [1,4-2,3]) et d'IL-10 (OR 1,5 ; [1,2-2,0]) et les concentrations plus faibles de protéine C (OR 0,6 ; [0,5–0,8]) étaient associées à un risque plus élevé de coma le jour suivant les dosages.

  1. Associations entre les biomarqueurs et le nombre de jours vivants sans délirium ni coma dans les 7 jours suivant le dosage

Les niveaux plus élevés d'IL-6 (OR 0,6, IC à 95 % [0,5-0,7]), IL-8 (OR 0,7 ; [0,6-0,8]) et IL-10 (OR 0,7 ; [0,6–0,8]) et les taux plus faibles de la protéine C (OR 1,3, 95 % [1,1–1,5]) étaient significativement associés à moins de jours vivants sans délirium ni coma au cours des sept jours suivant les mesures des biomarqueurs.

Commentaires

L’encéphalopathie aigue en réanimation est caractérisée par la survenue d’un syndrome confusionnel (delirium chez les anglosaxons) pouvant aller jusqu’au coma. Il survient selon les études chez 20 à 80% des patients de réanimation 3 et est associée à une surmortalité et à des troubles psycho-cognitifs qui affectent durablement les capacités fonctionnelles et la qualité de vie des patients 1.

Divers facteurs confusiogènes sont couramment rencontrés chez les patients de réanimation 4 : 1-Facteurs prédisposants tels que âge, comorbidités, fragilité, abus d’alcool et de drogues,… 2- Facteurs déclenchants tels que les troubles métaboliques, ioniques, l’hypotension artérielle, la gestion inadaptée de la douleur, la ventilation mécanique, les troubles du sommeil, la chirurgie lourde et les médicaments notamment les sédatifs et les antibiotiques,…

Les mécanismes physiopathologiques de delirium en réanimation ne sont pas clairement établis, mais le rôle de l’inflammation qui concourt à la formation d’un microenvironnement neuronal excitotoxique et à l’altération des mécanismes de régulation de l’activité cérébrale est avancé 5.

Ce travail à l’instar d’autres travaux 6 est un argument supplémentaire pour étayer le rôle important de l’inflammation dans la survenue de l’encéphalopathie aigue en réanimation.

Points forts
  • Il s’agit de la plus large étude sur l’association des biomarqueurs de l’inflammation et le delirium/coma en réanimation.
  • Inclusion de plusieurs types de pathologies et l’ajustement sur le sepsis sévère pouvant démontrer que le syndrome inflammatoire est également un élément central dans la survenue du delirium en dehors du sepsis.
  • Mesures répétées des biomarqueurs (J1 , J3 , J5) alors que les autres travaux sur ce sujet ne rapportent souvent que des mesures uniques 6.
Points faibles
  • Les facteurs confusiogènes en réanimation sont nombreux et ne sont pas tous inclus dans les analyses statistiques.
  • Même si les analyses statistiques ont été effectuées en ajustant sur les doses quotidiennes de benzodiazépines et d’opiacés, on ne peut pas en conclure que le coma défini par un score de RASS à -4/-5, est obligatoirement l’expression d’une dysfonction cérébrale et n’est pas liée à d’autres facteurs et particulièrement à la sédation. En effet, dans les articles princeps1,2, plus de 50% des patients bénéficiaient d’une sédation par propofol qui n’a pas été retenue comme facteur confondant dans les analyses.
  • Les résultats montrent uniquement une association entre l’encéphalopathie aigue et certains marqueurs biologiques sériques de l’inflammation, sans pouvoir démontrer une causalité ni le rôle de ces marqueurs dans la genèse du delirium. Ainsi, l’étude montre une association entre l’encéphalopathie aigue et les concentrations plasmatiques élevées des cytokines à la fois pro-inflammatoires telles que l’IL6, mais également celles des cytokines anti-inflammatoires telles que l’ IL10. De surcroit, les mêmes auteurs dans une autre analyse sur les mêmes cohortes de patients et les mêmes marqueurs biologiques n’avaient trouvé aucune association entre ces marqueurs et le déclin cognitif à long terme7.
  • Les auteurs dans un autre travail 8 et toujours sur les mêmes cohortes avaient étudié différents phénotypes de delirium : lié au sepsis, lié à l’hypoxie, lié à la sédation, lié aux troubles métaboliques et autres. Il aurait été intéressant d’évaluer l’effet de l’inflammation dans ces différents sous-groupes.
  • Absence de dosage des marqueurs de neuro inflammation.
Implications et conclusions

Les données de cette étude apportent des arguments supplémentaires sur le rôle de l’inflammation dans la genèse du delirium. Les futurs travaux devront préciser davantage les mécanismes physiopathologiques entre l’inflammation et l’encéphalopathie aigue.

Le développement des stratégies thérapeutiques en termes de prévention et de traitement du delirium est un enjeu majeur en réanimation. Les futurs essais thérapeutiques dans ce domaine devront cibler davantage les molécules possédant des propriétés anti(neuro)inflammatoires et neuro protectrices.

Références cités dans les commentaires

  1. Pandharipande PP, Girard TD, Jackson JC, et al. Long-term cognitive impairment after critical illness. N Engl J Med. 2013;369(14):1306-1316. doi:10.1056/NEJMoa1301372
  2. Hughes CG, Patel MB, Jackson JC, et al. Surgery and Anesthesia Exposure Is Not a Risk Factor for Cognitive Impairment After Major Noncardiac Surgery and Critical Illness. Ann Surg. 2017;265(6):1126-1133. doi:10.1097/SLA.0000000000001885
  3. Stollings JL, Kotfis K, Chanques G, Pun BT, Pandharipande PP, Ely EW. Delirium in critical illness: clinical manifestations, outcomes, and management. Intensive Care Med. 2021;47(10):1089-1103. doi:10.1007/s00134-021-06503-1
  4. Reade MC, Finfer S. Sedation and delirium in the intensive care unit. N Engl J Med. 2014;370(5):444-454. doi:10.1056/NEJMra1208705
  5. Siami S, Annane D, Sharshar T. The encephalopathy in sepsis. Crit Care Clin. 2008;24(1):67-82, viii. doi:10.1016/j.ccc.2007.10.001
  6. Khan BA, Perkins AJ, Prasad NK, et al. Biomarkers of Delirium Duration and Delirium Severity in the ICU. Crit Care Med. 2020;48(3):353-361. doi:10.1097/CCM.0000000000004139
  7. Brummel NE, Hughes CG, Thompson JL, et al. Inflammation and Coagulation during Critical Illness and Long-Term Cognitive Impairment and Disability. Am J Respir Crit Care Med. 2021;203(6):699-706. doi:10.1164/rccm.201912-2449OC
  8. Girard TD, Thompson JL, Pandharipande PP, et al. Clinical phenotypes of delirium during critical illness and severity of subsequent long-term cognitive impairment: a prospective cohort study. Lancet Respir Med. 2018;6(3):213-222. doi:10.1016/S2213-2600(18)30062-6
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Jordi MANO et Shidasp SIAMI, Service de Réanimation Polyvalente, Centre Hospitalier Sud Essonne, Etampes, France

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (shidasp.siami@ch-sudessonne.fr ) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
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S. GENDREAU
S. GOURSAUD
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N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI