Méfiez-vous de vous ! Comment nos biais cognitifs impactent la prise en charge des malades.

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Sex differences in mortality of ICU patients according to diagnosis-related sex balance.
Modra et al
American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine 2022, 2022 Dec 1;206(11):1353-1360. doi: 10.1164/rccm.202203-0539OC. PMID: 35849500

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Question évaluée

Quel est l’impact du sexe biologique sur la mortalité des patients hospitalisés en réanimation selon leur motif d’admission ?

Type d’étude

Etude descriptive rétrospective multicentrique

Population étudiée

Les patients inclus étaient majeurs, admis en réanimation au sein du réseau ANZICS, réseau de réanimation d’Australie et de Nouvelle-Zélande, et enregistrés dans la base de données de ce réseau : « ANZICS Adults Patient Database », entre 2011 et 2020. Les patients étaient exclus de l’analyse si le diagnostic ou leur devenir n’étaient pas renseignés, s’ils avaient été hospitalisés à plusieurs reprises en réanimation au cours de leur séjour hospitalier, si leur sexe n’était pas renseigné ou indéterminé. Les diagnostics pour lesquels plus de 99% des patients appartenaient au même sexe biologique étaient également exclus de l’étude.           

Méthode

L’objectif principal de l’étude était de décrire l’association entre le sexe biologique et la mortalité pour chaque motif d’admission. Les analyses étaient ensuite ajustées sur la gravité, selon le score APACHE III. L’hypothèse initiale était que la mortalité serait dépendante de la prévalence du motif d’admission selon le sexe biologique. L’objectif secondaire était de décrire pour chaque motif d’admission l’association entre le sexe biologique et la gravité à l’admission chez les femmes comparées aux hommes.

Le test de Chi2 a été utilisé pour comparer les variables paramétriques, le test de Wilcoxon pour les variables non paramétriques. La mortalité hospitalière a été décrite selon une régression logistique, ajustée sur le sexe biologique, le motif d’admission, la gravité, le délai d’admission en réanimation, l’année et le lieu de prise en charge. Une régression linéaire a été réalisée pour étudier la relation entre la mortalité hospitalière et le sex-ratio pour chaque motif d’admission. Les tests utilisés permettaient de définir un Odds Ratio. Un Odds Ratio inférieur à 1 indiquait une mortalité inférieure pour les femmes en comparaison aux hommes pour ce motif d’admission. Les auteurs ont également comparé la gravité à l’admission des hommes et des femmes. Ils ont ainsi considéré le score APACHE III moyen chez les femmes et chez les hommes pour chacun des motifs d’admission. L’association entre gravité et sexe biologique a été évaluée au moyen d’une régression linéaire. Les tests étaient réalisés avec un risque alpha < 0.01.

Résultats essentiels

1 447 135 patients ont été inclus dans l’analyse, dont 42% de femmes. Elles étaient en moyenne plus jeune et avaient un score de gravité à l’admission en réanimation plus bas. La mortalité non ajustée était plus faible chez les femmes que chez les hommes.

Après ajustement sur le score de gravité, le motif d’admission, le délai d’admission en réanimation, l’année d’admission et le centre, il n’existait plus de différence significative de mortalité dite ajustée, selon les sexes biologiques.

La mortalité ajustée au cours du sepsis, de l’insuffisance respiratoire aiguë ainsi que des troubles métaboliques, hématologiques et néphrologiques, était plus faible chez les femmes que chez les hommes. Au contraire, la mortalité ajustée était plus importante au cours des pathologies cardiovasculaires et en post-opératoire de chirurgie cardiaque chez les femmes.

La mortalité des femmes était inversement proportionnelle à leur représentation pour chaque motif d’admission (p<0.001; r 2 = 38%). Ainsi la mortalité des femmes était plus importante en cas de motif d’admission pour lequel la proportion de femme est faible (moins de 42% de la population). Il en était de même chez les hommes. Bien que leur représentation soit considérée comme importante, les femmes n’étaient jamais majoritaires quel que soit le motif d’admission.

Par ailleurs, le score de gravité à l’admission était plus élevé lorsque le motif d’admission était peu fréquent pour le sexe biologique du patient (p<0.001; r 2 = 31%).

Il était également observé que le délai d’admission à la réanimation était d’autant plus long que le motif d’admission était rare pour le sexe biologique.

Commentaires
Points forts

Il s’agit d’une étude originale, avec un grand nombre de patients de réanimation, le réseau ANZICS recouvrant 90% des réanimations australiennes et néo-zélandaises. Il s’agit de l’ensemble des patients admis en réanimation sur la période de l’étude. En effet, bien qu’il s’agisse d’une étude sur base de données, il y a très peu de données manquantes et les données recueillies sont peu sujettes à des biais.

Les résultats sont robustes avec un design et des analyses statistiques appropriées dont plusieurs analyses de sensibilité.

Les auteurs ont considéré dans l’analyse la proportion différente des hommes et des femmes pour chaque motif d’admission.

Points faibles

Étude rétrospective sur base de données

Pas de données sur l’équité de l’accessibilité à la réanimation selon le sexe biologique : en effet, il n’y a pas de données concernant les patients qui pourraient avoir relevé de la réanimation mais qui n’y ont pas été admis.

Par ailleurs, cette étude, observationnelle, ne permet pas de comprendre les mécanismes impliqués dans la relation entre le sexe biologique et la mortalité.

Implications et conclusions

Cette étude de grande ampleur montre une absence de différence de mortalité entre les hommes et les femmes en réanimation.

Néanmoins, les auteurs ont pu mettre en évidence une différence pour cinq grandes catégories diagnostiques d’admission sur neuf entre les femmes et les hommes, comme pathologies cardiovasculaires, pour lesquelles les femmes présentent une surmortalité. Ils ont ainsi démontré une relation inverse entre mortalité et proportion de femme par motif d’admission, relation également vérifiée pour les hommes. Cette relation inverse était également retrouvée entre la proportion du sexe biologique par motif d’admission et la gravité à la prise en charge. Cet effet volume basé sur le sexe, similaire à l’effet volume décrit dans plusieurs domaines de la réanimation, pourrait avoir comme source des biais cognitifs comme le biais dit de constatation (un médecin diagnostiquera une maladie plus rapidement et donc administrera plus rapidement le traitement si la maladie est fréquente pour le sexe du patient) et de disponibilité (le médecin fera également plus rapidement le diagnostic s’il a été récemment confronté à cette même pathologie, pour le même sexe). En effet, les auteurs montrent un score de gravité plus élevé dans les maladies peu fréquentes pour le sexe biologique. Ce résultat souligne la nécessité d’affiner notre vigilance pour les maladies peu fréquente pour le sexe biologique.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Sofia Ortuno, Réanimation médicale, CHU Pitié Salpêtrière, France et Mélanie Faure, Réanimation CHU Tours.

Les auteures déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteures (sofia.ortuno@aphp.frmelanie.faure3787@gmail.com) et à la CERC.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI