Méningoencéphalites en réanimation : Eureka ?

24/01/2024
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Sonneville R et Al. Clinical features, etiologies, and outcomes in adult patients with meningoencephalitis requiring intensive care (EURECA): an international prospective multicenter cohort study. Intensive Care Med. 2023 May;49(5):517-529.

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Question évaluée   

Quels sont les étiologies, la présentation clinique et le pronostic des méningoencéphalites graves de l’adulte nécessitant l’admission en réanimation ?

Type d’étude 

Étude prospective observationnelle, multicentrique, internationale menée sous l’égide de l’« European Society of Intensive Care Medicine » (ESICM).

Population étudiée 

Adultes hospitalisés en réanimation et chez qui l’on a retenu un diagnostic d’encéphalite probable ou confirmée selon les critères de l’« Infectious Disease Society of America 2013 » (1). Les patients (68 services de réanimation dans 7 pays européens) ont été inclus entre juin 2017 et avril 2020.

Méthodes 

Création d’une base de données concernant les variables démographiques à l’entrée, l’étiologie de la méningoencéphalite et le pronostic. La base était renseignée par chaque investigateur local. Les investigations étiologiques et la prise en charge étaient laissées à la discrétion des investigateurs. Le critère principal de jugement était un pronostic fonctionnel considéré comme mauvais à 3 mois, défini par un score de 3 à 6 sur l’échelle de Rankin modifiée. On rappelle qu’un score de 6 correspond aux décès et que les scores de 3 à 5 sont attribués en cas de séquelles modérées à sévères. Les critères secondaires portaient sur la prise en charge des défaillances, les différentes complications et les durées de séjour.

Résultats essentiels 

Au total, 589 patients sur les 599 potentiellement éligibles ont été inclus, soit un nombre médian de patients par centre de 7 (IQR 5-11).

La répartition des étiologies était 1/ les méningites bactériennes : 247 (42%) dont 60% de pneumocoques, 2/ les encéphalites infectieuses : 140 (24%), les deux principaux microorganismes étant HSV (35%) et Mycobacterium tuberculosis (11%), 3/ les encéphalites auto-immunes : 38 (6%) dont 42% à anticorps anti-NMDA, 4/ les encéphalites néoplasiques : 11 (2%) et 5/ méningoencéphalites de cause inconnue : 155 (26%).

Les patients avaient un âge médian de 66 ans (IQR 44-71), 23% étaient immunodéprimés et 34% comateux (score de Glasgow < 8). Le délai médian depuis l’admission à l’hôpital et le transfert en réanimation était de 1 jour (IQR 1-3).

Un mauvais pronostic à 3 mois a été observé chez 50,5 % des patients sur l’ensemble de la cohorte avec 26% de décès. Les facteurs associés au décès ont été identifiés par analyse multivariée sur l’ensemble de la population et sur les deux groupes étiologiques prédéfinis. Pour les méningites bactériennes, ces facteurs étaient : une réponse motrice dans le score de Glasgow < 3 (OR 2,56 IC95% 1,32-4,97), une hémiparésie/hémiplégie (OR 3,53 IC95% 1,43-8,70) et l’utilisation d’une céphalosporine de 3ème génération à J1 (OR 0,39 IC95% 0,19-0,79). Pour les encéphalites, ces facteurs étaient : l’âge > 60 ans (OR 2,15 IC95% 1,29-3,60), l’immunodépression (OR 2,16 IC95% 1,14-4,10), un délai entre l’admission à l’hôpital et le transfert en réanimation > 1 jour (OR 2,23 IC95% 1,30-3,82), une réponse motrice dans le score de Glasgow < 3 (OR 1,88 IC95% 1,03-3,41), l’utilisation de l’aciclovir à J1 (OR 0,47 IC95% 0,27-0,83) et l’étiologie auto-immune (OR 3,53 IC95% 1,31-9,49), Sur l’ensemble de la cohorte, l’âge > 60 ans et la survenue de complications respiratoires et cardiovasculaires sont également associés à un mauvais pronostic.

Commentaires 

Entre 40 et 60% des patients hospitalisés pour méningo-encéphalites le sont en réanimation (2,3), ce qui justifiait pleinement d’avoir des données uniquement sur les formes les plus graves. Cette étude menée à l’échelle européenne confirme, pour ce qui est des étiologies, les données publiées antérieurement avec cependant quelques différences. Parmi les méningites bactériennes requérant la réanimation, on n’est pas surpris de la forte prédominance du pneumocoque. En revanche, la prise en compte de Listeria dans l’antibiothérapie initiale se confirme comme rarement nécessaire (moins de 6% des bactéries) alors que l’âge médian dans ce groupe était de 63 ans. L’impact des signes moteurs sur le pronostic est possiblement lié aux complications vasculaires et notamment la vascularite (4). L’antibiothérapie appropriée à J1 est protectrice alors que les corticoïdes, utilisés chez seulement deux-tiers des patients, ne sont pas associés au pronostic, comme d’ailleurs dans d’autres études observationnelles. Parmi les méningoencéphalites infectieuses, le rôle prépondérant des infections à HSV et M. tuberculosis confirme également les études antérieures. En revanche, on est un peu surpris de la faible prévalence (6,4%) des encéphalites auto-immunes pourtant mieux connues et donc mieux diagnostiquées ces dernières années. Point très intéressant, deux variables modifiables par les cliniciens, à savoir l’admission précoce en réanimation et l’aciclovir à J1 sont favorablement associées au pronostic des encéphalites infectieuses. Enfin, un quart des méningoencéphalites reste sans diagnostic, ce qui peut paraitre un peu décevant à l’ère des techniques modernes de diagnostic.

Points forts 
  • Première étude du genre portant uniquement sur des patients de réanimation avec comme force principale d’être prospective, multicentrique et internationale
  • Définition a priori des sous-groupes d’intérêt
  • Variables cliniques et biologiques assez nombreuses et pertinentes
  • Evaluation du pronostic à relatif long terme (3 mois) chez la totalité des patients
  • Identification de facteurs associés au pronostic possiblement modifiables comme le délai d’admission en réanimation (permettant la prévention ou la prise en charge précoce des complications hémodynamiques et respiratoires) et la précocité du traitement anti-infectieux.
Points faibles 
  • Le premier est inhérent à la définition des méningoencéphalites qui amène à regrouper des entités (méningites bactériennes, encéphalites virales ou tuberculeuses etc.) dont l’épidémiologie, la physiopathologie et le traitement sont différents.
  • Un effectif qu’on aurait attendu plus important au vu du nombre de centres mais l’épidémie de COVID-19 y est sans doute pour quelque chose.
  • L’absence d’informations sur les résultats des imageries, notamment parmi les 60% ayant eu une IRM.  On connait seulement le pourcentage d’IRM normales (19% pour les méningites bactériennes, 28% pour les encéphalites virales). Il est possible que ce point fasse l’objet d’une étude ancillaire.
  • Bien que les auteurs indiquent en introduction que beaucoup de progrès ont été faits récemment dans le diagnostic grâce à l’apport de la biologie moléculaire, aucune information n’est disponible sur l’éventuel impact des nouvelles techniques. La question de savoir si elles permettraient de réduire encore le pourcentage de méningo-encéphalites sans diagnostic reste donc ouverte.
  • L’absence d’informations sur la prise en charge spécifique de neuro-réanimation dont on peut penser qu’elle a pu varier selon les services et avoir aussi un impact sur le pronostic.
  • Une évaluation incomplète des séquelles (troubles cognitifs, réinsertion professionnelle/sociale.)

Beaucoup de ces limites sont reconnues par les auteurs.

Implications et conclusions

Cette étude apporte des informations pertinentes sur le pronostic des méningo-encéphalites requérant l’admission en réanimation. L’identification de facteurs modifiables portant sur la prise en charge des patients pourrait être une contribution à l’amélioration du pronostic.

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RÉFÉRENCES

  1. Venkatesan A, Michael BD, Probasco JC, et al. Case definition, diagnostic algorithms, and priorities in encephalitis: consensus statement of the international encephalitis consortium. Clin Infect Dis 2013 ; 57 : 114-1128.
  2. Glaser CA, Honarmand S, Anderson LJ, et al. Beyond viruses: clinical profiles and etiologies associated with encephalitis. Clin Infect Dis 2006; 43:1565-1577
  3. Mailles A, Argemi X, Biron C, et al. Changing profile of encephalitis: results of a 4-year study in France. Infect Dis Now 2022; 52:1-6
  4. Benadji A, Debroucker T, Martin-Blondel G, et al. Cerebrovascular complications in patients with community-acquired bacterial meningitis: occurrence and associated factors in the COMBAT multicenter prospective cohort. BMC Infect Dis 2023; 23(1):376
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Michel Wolff, Réanimation Neurochirurgicale, Groupe Hospitalo-Universitaire Psychiatrie & Neurosciences, Paris France

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de l'auteur, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
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