Une mesure systématique de la pression intra-abdominale chez tous les patients de réanimation : est-ce bien utile ?

20/02/2020
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Article CCM
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Incidence, Risk Factors, and Outcomes of Intra-Abdominal Hypertension in Critically Ill Patients-A Prospective Multicenter Study (IROI Study)
Reintam Blaser ; Regli ; De Keulenaer ; Kimball ; Starkopf ; Davis ; Greiffenstein ; Starkopf ; Incidence, Risk Factors, and Outcomes of Intra-Abdominal (IROI) Study Investigators.
Crit Care Med. 2019 Apr;47(4):535-542

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Questions évaluées
  • Identifier la fréquence de l’hyperpression intra-abdominale (HIA) et son grade chez les patients de réanimation depuis l’admission et au cours du séjour en réanimation (jusqu’à la sortie ou jusqu’à J14).
  • Rechercher une association entre HIA et mortalité à 28 et 90 jours.
  • Identifier les facteurs de risque associés à l’apparition d’une HIA en réanimation.
Type d’étude

Étude prospective observationnelle multicentrique.

Population étudiée

Étude menée dans 15 services de réanimation, dans 5 pays, sur plusieurs continents : 12 réanimations polyvalentes et 3 réanimations chirurgicales. Inclusion consécutive des patients admis en réanimation. Les patients devaient avoir plus de 18 ans avec une sonde urinaire et sans contre-indication à la mesure de la pression intra-abdominale (PIA).

Méthode

La PIA était mesurée à l’admission et toutes les 8h. Calcul de la PIA moyenne par jour. Une PIA moyenne supérieure à 12mmHg au moins 1 jour au cours du suivi définissait la présence d’une HIA. Celle-ci était graduée de I à IV (12-15, 16-20, 21-25, et >25mmHg).

Résultats essentiels

491 patients inclus mais 24 patients (5%) n’ont pas eu de mesure de la PIA à l’admission.

Une HIA était présente chez 34% (159/467) des patients à l’admission, et 49% (240/491) des patients ont présenté une HIA durant le suivi en réanimation.

Après le 7ième jour de réanimation, seuls 7 patients (1.4%) vont développer une HIA. C’est la raison pour laquelle la recherche des facteurs de risque s’est faite sur les jours de 2 à 7.

Parmi les 240 patients qui ont présenté une HIA au cours du séjour en réanimation :

– il y avait 46 % d’HIA primaire, et 13 % (31/240) avec un syndrome compartimental abdominal, dont 8 % (19/240) dès l’admission.

– 41 % (99 patients) avaient une pathologie médicale, 36 % (86 patients) avaient une urgence chirurgicale et enfin 23 % (55 patients) avaient une pathologie digestive.

La mortalité à 28 jours et à 90 jours était significativement plus élevée chez les patients ayant développé une HIA au cours de leur suivi. La mortalité du SCA était de 68% à 28 jours et de 76% à 90 jours. La PIA max, d’avantage que le grade de l’HIA, était associée à la mortalité, alors que la présence d’une HIA à l’admission n’influençait pas la mortalité.

Les principaux facteurs de risque de mortalité à 28 jours étaient : le taux de lactates à l’admission, le remplissage vasculaire, la présence d’un sepsis, le score SOFA, et la PIA max durant le séjour.

Les facteurs de risque de développer une HIA au cours du séjour en réanimation étaient : BMI ≥ 27, un score APACHE II ≥ 18, une distension abdominale, l’absence de bruits hydro-aériques, une PEEP ≥ 7cm H2O.

Commentaires

Cet article est intéressant car il s’agit de la première étude prospective multicentrique qui a permis d’inclure consécutivement plus de 490 patients, dont le but était d’analyser la prévalence, les facteurs de risque, et le pronostic de l’HIA. Cette étude a permis de recueillir les informations non seulement à l’admission mais également tout au long du séjour en réanimation.

La présence d’une HIA à l’admission n’est pas prédictive de mortalité contrairement à la présence d’une HIA au cours du séjour en réanimation. En effet, alors que les études antérieures retrouvaient une relation entre la présence d’une HIA et la mortalité en réanimation, cette étude va plus loin en retrouvant une association entre la présence d’une HIA au cours du séjour en réanimation et la mortalité à 28 et 90 jours (1). Les patients qui vont présenter une HIA auront une durée de séjour en réanimation et à l’hôpital plus longue et une durée de ventilation artificielle plus prolongée.

Cependant, le caractère systématique de la mesure de la PIA peut poser quelques questions. Il est précisé que la mesure de la PIA est réalisée conformément aux recommandations de la World Society on Abdominal Compartment Syndrome (WSACS) mais nous n’avons pas plus de précisions (2). Les patients étaient-ils en décubitus dorsal strict ? La valeur de la PIA est-elle réellement fiable chez les patients non intubés ? En effet 26 % des patients présentant une HIA n’étaient pas sous ventilation mécanique (3).

Est-il si intéressant de mesurer la pression intra-abdominale de façon systématique chez tous les patients alors que la WSACS préconise la mesure de la PIA uniquement en cas de facteur de risque.

La prise en charge de ces HIA n’était pas précisée. De même, nous n’avons aucune notion des causes de décès et il n’est pas possible de savoir s’ils sont liés à l’HIA ou s’ils sont survenus dans un contexte de limitation et d’arrêt des soins.

Points forts
  • Etude prospective, multicentrique, internationale avec inclusion consécutive des patients.
  • Effectif de 491 patients.
  • Confirme la forte prévalence de l’HIA en réanimation que ce soit dans une population chirurgicale ou médicale.
  • Cette étude montre la relation entre l’HIA au cours du séjour en réanimation et la mortalité à 28 et 90 jours.
Points faibles
  • Mesure systématique de la PIA chez tous les patients de réanimation sans tenir compte de la présence des facteurs de risque.
  • Fiabilité discutable des mesures chez les patients non intubés.
  • Causes des décès non précisées: combien de limitation thérapeutiques ? lien avec l’HIA ?
Implications et conclusions

Cette étude a l’avantage d’alerter les médecins de réanimation sur la prévalence de l’HIA tant chez les patients chirurgicaux que médicaux à l’admission et au long du séjour en réanimation : 1/3 des patients à l’admission, et la moitié au cours du séjour. Dès qu’un facteur de risque est présent, il faut donc dépister précocement l’HIA et débuter les thérapeutiques afin d’éviter une aggravation.

Les auteurs pointent du doigt, également, l’importance de la balance hydrique non seulement dans les premières heures mais aussi au long du séjour en réanimation. C’est pourquoi les stratégies qui consistent à éviter une balance hydrique positive permettent de prévenir la survenue d’une HIA. On peut citer le concept de « de-resuscitation » au cours du séjour en réanimation qui a montré un lien entre la déplétion hydrosodée et la diminution de la mortalité (4). Cette déplétion hydrosodée pourrait avoir un effet positif, éventuellement, via la diminution de la pression intra-abdominale.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Dr Olivier BARBOT, Réanimation, CH Perpignan, France.

Olivier Barbot déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (olivbarbot@gmail.com) ou à la CERC.

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LIENS UTILES

  1. Malbrain ML, Chiumello D, Cesana BM t al ; WAKE-Up ! Investigators : 1A systematic review and individual patient data meta-analysis on intra-abdominal hypertension in critically ill patients : The wake-up project. World initiative on Abdominal Hypertension Epidemiology, a Unifying project (WAKE-Up!). Minerva Anestesiol 2014; 80:293-306
  2. Kirkpatrick AW, Fitzgerald E, De Waele J et al; Pediatric Guidelines Sub-Committee for World Society of the Abdominal Compartment Syndrome : Intra-abdominal Hypertension and the Abdominal Compartmental Syndrome: Updated consensus definitions and clinical practice guidelines from the World Society of the Abdominal Compartmental Syndrome. Intensive Care Med 2013; 39:1190-1206
  3. Norisue Y, Kataoka J, Homma Y, et al; Increase in intra-abdominal pressure during airway suctioning-induced cough after a successful spontaneous breathing trial is associated with extubation outcome. Ann Intensive Care. 2018 May 8;8(1):61
  4. Silversides JA, Fitzgerald E, Manickavasagam US, et al; Deresuscitation of Patients With Iatrogenic Fluid Overload Is Associated With Reduced Mortality in Critical Illness. Crit Care Med. 2018 Oct;46(10):1600-1607
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX