Mon séjour en réanimation : faut-il vraiment tout savoir ?

15/10/2020
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Article JAMA
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Effect of an ICU Diary on Posttraumatic Stress Disorder Symptoms Among Patients Receiving Mechanical Ventilation: A Randomized Clinical Trial.
Garrouste-Orgeas, M., Flahault, C., Vinatier, I., Rigaud, J.-P., Thieulot-Rolin, N., Mercier, E., Rouget, A., Grand, H., Lesieur, O., Tamion, F., Hamidfar, R., Renault, A., Parmentier-Decrucq, E., Monseau, Y., Argaud, L., Bretonnière, C., Lautrette, A., Badié, J., Boulet, E., … Timsit, J.-F.
JAMA (2019), 322(3), 229–239. https://doi.org/10.1001/jama.2019.9058

Texte

Question évaluée

Le journal de bord rempli par les proches et le personnel soignant permet-il de réduire le syndrome de stress post-traumatique chez les patients de réanimation 3 mois après leur sortie ?

Type d’étude

Étude randomisée, multicentrique

Population étudiée

Patients adultes hospitalisés en réanimation, ventilés mécaniquement, issus de 35 réanimations françaises.

Objectif principal

Évaluation de l’impact de l’utilisation d’un journal de bord sur l’incidence de l’état de stress post traumatique chez les patients 3 mois après leur sortie de réanimation.

Objectifs secondaires
  • Evaluation de l’état de stress post traumatique des membres de la famille 3 mois après la sortie de réanimation, par le score IESR.
  • Evaluation de l’anxiété et de la dépression chez le patient et sa famille 3 mois après la sortie de réanimation, par le score HADS.
  • Evaluation des souvenirs du patient du séjour en réanimation 3 mois après la sortie de réanimation, par l’échelle ICU memory tool.
  • Analyse qualitative et quantitative du journal de bord.
Critère(s) d’inclusion

Patients de 18 ans ou plus, ayant bénéficié d’une ventilation mécanique pendant au moins 48 heures, mise en place dans les 48 heures suivant l’admission.

Un membre de la famille devait être présent lors de l’inclusion et pouvoir venir lui rendre visite lors de son hospitalisation. Le patient et sa famille devaient parler français en vue des entretiens téléphoniques de suivi.

Critère(s) d’exclusion

Niveau insuffisant en français ; absence de proche pouvant rendre visite au patient pendant l’hospitalisation ; patient sous tutelle ; diagnostic de psychose ou de démence avant l’admission en réanimation ; patients avec une maladie neurologique ; arrêt cardiaque à l’admission ; sourds et muets ; patients dont le pronostic vital ne dépassait pas 48 heures ou pour qui un arrêt des thérapeutiques actives était envisagé dans les 48 heures ; patients privés de liberté ; patients inclus dans une autre étude consistant en un entretien de suivi après la sortie de réanimation

Méthode

Les patients ont été randomisés avec un ratio 1 :1 en un groupe intervention (cahier de bord) et un groupe contrôle.

Le groupe intervention (332 patients) avait un journal de bord complété par les soignants (médicaux et paramédicaux) et les membres de la famille. Le groupe contrôle (325 patients) n’avait pas de journal de bord.

Le contenu du journal de bord était expliqué au patient quelques jours avant sa sortie de réanimation. A la sortie, un mot de conclusion était écrit par le médecin. Le journal de bord était remis au patient, et lorsque le patient était confus, il était remis au membre de la famille qui avait consenti à la participation à l’étude le plus rapidement possible après la sortie de réanimation. Pour les patients décédés, le journal de bord se concluait sur un message de condoléances et était envoyé à la famille.

A 3 mois de la sortie de réanimation, un psychologue faisait passer un entretien téléphonique afin d’évaluer plusieurs paramètres : l’état de stress post traumatique, l’anxiété, la dépression, et la mémoire.

L’état de stress post traumatique était évalué par l’échelle IES-R (Impact Event Scale Revised). Cette échelle est validée en Français et se compose de 15 items (total de 0 à 75). Il s’agit d’un questionnaire d’auto évaluation permettant d’obtenir 3 sous-scores de symptômes post-traumatiques (Reviviscence, Évitement, Activation psychophysiologique), ainsi qu’un score total de sévérité de l’état de stress post-traumatique (ESPT). Plus le score est élevé plus les symptômes sont sévères. Un état de stress post traumatique est défini par un score IES-R supérieur à 22 (range, 0-88).

L’anxiété et la dépression à 3 mois, chez les patients et chez les proches, étaient évalués par l’échelle HADS (Hospital Anxiety and depression Scale). Il existe 7 items concernant l’anxiété et 7 concernant la dépression. Le total est compris entre 0 et 21. Plus le score est élevé plus les symptômes sont sévères (score de 0 à 21).

Les souvenirs du séjour en réanimation chez les patients étaient évalués avec l’échelle ICU memory tool. Cette échelle explore les souvenirs avant et pendant le séjour en réanimation. Cette échelle n’est pas validée en français.

Enfin, les verbatims des journaux de bord étaient évalués au moyen d’une grille validée. De plus, une analyse de l’usage du journal de bord par les patients dans les 6 mois était réalisée en se basant sur des entretiens semi directifs. Pour faciliter l’adhésion à la recherche, le centre coordinateur de l’étude avait réalisé un séminaire avec des médecins de chaque centre. Chaque journal était monitoré à partir d’une grille créée par 11 personnes réparties en 6 catégories (3 médecins de différentes unités de soins intensifs, 1 infirmière de l’unité de soins intensifs, 2 psychologues, 2 bénévoles de l’hôpital, 1 personne de la population générale ayant des antécédents d’admission dans une unité de soins intensifs, et 1 ancien patient de l’unité de soins intensifs et sa femme). L’analyse des journaux était faite par 4 psychologues.

Résultats essentiels

Entre d’octobre 2015 et janvier 2017, 657 patients ont été randomisés. Parmi eux, 339 ont été évalués 3 mois après la sortie de réanimation. L’âge médian des patients était de 62,5 ans [49.5-70] dans le groupe intervention et 60 ans [51-70] dans le groupe contrôle.  Les scores médians SAPS II étaient comparables dans le groupe intervention vs groupe contrôle, 52 [39- 67] vs 53 [39-66], respectivement. Les détresses respiratoires (46% dans le groupe intervention et 48% dans le groupe contrôle) et les défaillances multi viscérales (40% dans le groupe intervention et 39% dans le groupe contrôle) étaient les motifs d’admissions les plus fréquents.

A 3 mois de la sortie de réanimation, un état de stress post traumatique était objectivé chez 29.9% des patients dans le groupe intervention versus 34.3% dans le groupe contrôle (Non significatif, NS).

Le score médian de l’IES-R était de 12 [5 à 25] pour le groupe intervention versus 13 [6 à 27] dans le groupe contrôle (NS).

Des symptômes de dépression étaient reportés chez 19% des patients du groupe intervention versus 23.7% dans le groupe contrôle (NS).

Des symptômes d’anxiété étaient rapportés chez 31.3% des patients du groupe intervention versus 30.6% du groupe contrôle (NS).

Les souvenirs de la réanimation rapportés par les patients n’étaient pas différents entre les 2 groupes.

Il n’y avait pas de différence significative pour chacune des 6 catégories prédéfinies en objectifs secondaires.

Commentaires

Cette étude montre que le journal de bord n’influe pas sur les conséquences psychologiques d’un séjour en réanimation. Cela va à l’encontre des précédentes études quantitatives (1, 2) qui montraient une diminution de l’incidence du stress post traumatique à 3 mois et à un an chez les patients.

Les auteurs formulent plusieurs hypothèses pour expliquer le caractère négatif de cette étude, contrairement aux deux précédemment citées : le nombre de lectures du journal était inférieur à ce qui était rapporté dans d’autres études, ce qui laisserait penser que plus le patient lit le journal plus il s’imprègne de son histoire, et plus l’ESPT diminue.  Par ailleurs il n’y avait pas eu de stratégie de formalisation de remise du journal de bord. Une telle formalisation pourrait être nécessaire afin que le patient ne se sente pas isolé face à cet objet qui n’est pas anodin.

La lecture du journal de bord n’est pas sans conséquence, elle peut confronter le patient à une situation très stressante au rappel des événements et il peut vivre cette expérience de façon négative. En effet, la lecture des mots des proches peut parfois être une épreuve émotionnellement difficile. Les mots peuvent exprimer le désarroi, la tristesse, l’angoisse.

Il pourrait être intéressant d’analyser l’implication des soignants en fonction du type de réanimation, ainsi que le contenu des mots afin d’envisager des recommandations pour savoir quels types de contenu le patient souhaiterait voir apparaitre.

Points forts
  • Échantillon de patients important
  • Étude multicentrique, randomisée
  • Evaluations réalisées par un psychologue en aveugle du bras de randomisation
  • Association d’analyses quantitative et qualitative
Points faibles
  • Seules 3 réanimations sur les 35 participant à l’étude utilisaient déjà le journal de bord
  • L’échelle d’évaluation des souvenirs des patients n’était pas validée en français
  • Non homogénéité dans les réanimations incluses (médicale/ polyvalente/ chirurgicale) donc populations différentes.
  • Intérêt de classer en sous-catégorie selon la pathologie ?
Implications et conclusion

Au total, cette étude randomisée montre que l’utilisation du journal de bord ne réduit pas significativement l’état de stress post traumatique chez les patients ventilés mécaniquement et leurs proches au décours de la sortie de réanimation.

Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Marie Benazzouz, Faisant fonction de cadre de santé (Urgences cérébro vasculaires, Pitié Salpêtrière, Paris) et Dr Benjamin Rohaut neurologue-réanimateur (Département de neurologie, MIR, Pitié salpêtrière, Paris).

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (benjamin.rohaut@aphp.fr) ou à la CERC.

Texte

CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX