MRC-SS vs EMG : qui prédit le mieux la morbi-mortalité des survivants à 5 ans ?

11/02/2021
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Article ICM
Texte

Van Aerde, N., Meersseman, P., Debaveye, Y. et al. Five-year impact of ICU-acquired neuromuscular complications: a prospective, observational study. Intensive Care Med 46, 1184–1193 (2020)

Texte

 Question évaluée

Est-ce que la faiblesse musculaire acquise en réanimation est indépendamment liée à la morbi-mortalité 5 ans après la sortie de réanimation, dans une population de patients survivants à la réanimation ?

Type d’étude

Il s’agit d’une analyse longitudinale à 5 ans, des données d’un échantillon de patients ayant participé à une étude prospective randomisée contrôlée multicentrique évaluant les effets de l’administration précoce ou retardée de la nutrition parentérale en réanimation (1).

Population étudiée

Sur un total de 4640 patients inclus dans l’étude principale, 1289 (environ 28% de l’effectif global) ont été inclus dans la présente étude. Ils ont été répartis en 3 cohortes :

  • 596 patients ayant eu un score MRC à la sortie de réanimation
  • 693 patients ayant eu une électromyographie à J8 ±1 de l’admission en réanimation
  • 412 patients ayant eu les deux évaluations
Méthode
  1. Evaluation du critère de jugement principal qui était la comparaison de la mortalité à 5 ans, toute cause confondue, obtenue à partir du registre national des décès, en fonction des évaluations musculaires de sortie de réanimation.

Pour évaluer l’indépendance entre ces évaluations musculaires et la mortalité à 5 ans, les auteurs ont réalisé des analyses univariées (régression de Cox). Si une association était retrouvée entre, soit le MRC, soit l’EMG réalisés en sortie de réanimation et la mortalité à 5 ans, les auteurs calculaient alors des rapports de risque (hazard ratios) ajustés selon des facteurs confondants tels que les données démographiques, les comorbidités et les traitements et les évènements marquants en réanimation.

  1. Evaluation des critères de jugement secondaire qui étaient la comparaison de la morbidité à 5 ans à l’aide de 3 critères principaux : mesure de la force de préhension, test de marche de 6 minutes et évaluation de la composante physique du SF-36.

De la même façon, si une association était démontrée pour l'une ou l'autre des trois mesures de la fonction physique (analyse univariée), des modèles multivariés étaient construits pour chacune des cohortes en introduisant des facteurs confondants en tant que covariables.

Résultats essentiels
  1. La mortalité à 5 ans :
    1. Dans le groupe MRC seul : 38,8% (231/596)
    2. Dans le groupe EMG seul : 47.3% (328/693)
    3. Pour les patients ayant eu les deux évaluations : 43% (177/412)
  2. Association entre la faiblesse acquise en réanimation et la mortalité à 5 ans en fonction de la méthode d’évaluation :
    1. Le MRC :
      Les patients décédés à 5 ans présentaient un MRC plus faible que ceux qui étaient encore vivants (48 [43-54] vs 54 [48-58], p<0,001).
      Un MRC bas est indépendamment associé au risque de mortalité (HR: 0.946 (95% CI 0.928–0.968), p = 0.001).
    2. L’EMG :
      53,7% des patient décédés à 5 ans présentaient des EMG anormaux vs 27,6% pour les survivants, p<0,001.
      L’EMG anormal est indépendamment associé au risque de mortalité (HR 1.568 (95% CI 1.165–2.186), p = 0.004).
    3. Les deux : 
      Lorsque les patients ont reçu les deux évaluations, le MRC reste indépendamment associé à la mortalité à 5 ans, alors que l’EMG non (HR 0.956 (95% CI 0.934–0.980), p = 0.001) vs (HR 1.478 (95% CI 0.875–2.838), p = 0.088).
  3. Association entre la faiblesse acquise en réanimation et la morbidité à 5 ans
    Dans la cohorte MRC, 205 patients ont pu être évalués. Dans ce groupe le MRC est indépendamment associé à la force de préhension (0.866 (95% CI 0.237–1.527), p = 0.004), le test de marche de 6 minutes (105.1 (95% CI 12.1–212.9), p = 0.043) et la composante physique du SF-36 [− 0.119 (95% CI −0.186 to −0.057), p = 0.002].
    Dans la cohorte EMG, aucune association n’a été retrouvée (sauf pour le score de Barthel et la force de flexion de hanche).
  4. Analyses exploratoires :
    Pour le MRC réalisé à la sortie de réanimation, il apparait qu’un score 55/60 permet de prédire la mortalité à 5 ans. Un MRC inférieur ou égal à 55 est indépendamment associé avec un risque d’augmentation de la mortalité à 5 ans (HR 1,584 (95%CI 1,106-2,266), p=0,014).
    Dans la cohorte MRC, le score était inférieur ou égal à 55 pour 67,3% des patients et la mortalité pour ce groupe de patient est de 46,6% versus 22,6% pour les patients ayant un MRC strictement supérieur à 55.
    Les analyses exploratoires de morbidité restent toutes significativement altérées chez les patients présentant un MRC ≤ 55 avec une perte moyenne de 25% de force de préhension, de 11% à la distance parcourue au test de marche de 6 minutes et de 25 points pour la composante physique du SF-36.
    L’analyse des courbes de probabilité de survie chez les patients ayant eu les deux évaluations (n=412), entre l’inclusion et la 5ème année post sortie de réanimation, montre que la probabilité d’être vivant à 5 ans est plus forte si le patient présente un MRC supérieur à 55 et un EMG normal. Dès qu’une de ces deux données devient anormale, la probabilité de survie diminue avec une diminution plus marquée lorsque le patient présente un MRC ≤ 55 et un EMG anormal.
Commentaires

Plusieurs études se sont intéressées au suivi longitudinal sur 5 ans (7) (8), mais uniquement sur le devenir de patients survivants à une pathologie spécifique, le SDRA.

Ce travail longitudinal sur 5 années permet d’augmenter la durée de suivi de la mortalité associée à la fonction neuromusculaire pour tous les patients de réanimation. La durée classique de suivi étant  en général de 6 mois ou 1 an (2) (3) (4) (5) (6).

En réanimation, il est maintenant bien acquis qu’un score MRC inférieur à 48/60 impacte des outcomes majeurs comme le sevrage ventilatoire, la durée de séjour en réanimation ou à l’hôpital (2) voire même la survie à 5 ans (7).

Dans cette étude, les auteurs font l’hypothèse qu’un cut-off plus élevé de 55/60 au testing MRC, permet de faire des projections de morbi-mortalité plus précises sur une durée plus longue. Lorsque ce testing est réalisée seul avec une valeur de 55 ou moins, la survie est altérée. Si on ajoute un EMG altéré, la survie est encore plus altérée.

Points forts

Suivi à 5 ans

Evaluation musculaires dans le service de réanimation (EMG/MRC-ss)

Evaluation en consultation à 5 ans pour les survivants : Force de préhension/TM6/PF-SF36

Nombre important de patients

Analyse statistique

Le seuil de 55/60 défini par les auteurs. Cela représente une part importante des patients de réanimation

Points faibles

Le programme de réhabilitation en réanimation n’est pas abordé par les auteurs, ni le suivi post réanimation immédiat (type rééducation, suivi psychologique)

194 patients ont refusé l’évaluation finale

Les critères d’exclusion pour l’analyse de la morbidité (l'incapacité de marcher sans assistance avant l'admission en réanimation, une maladie neuromusculaire préexistante, un autre handicap pré-ICU pouvant être un facteur confondant de morbidité), il aurait été intéressant de savoir comment avait évolué ces 71 patients.

Implications et conclusions

Les patients de réanimation qui sortent avec un MRC altéré en deçà d’une nouvelle valeur de 55/60 présentent un plus grand risque de décéder dans les 5 ans. Cette affirmation est renforcée par une analyse EMG.

Le MRC seul permet d’obtenir des prédictions de mortalité et de morbidité de façon indépendante de l’EMG.

En conclusion, une évaluation manuelle protocolisée de la fonction musculaire (MRC-SS) par des kinésithérapeutes de réanimation, permettrait de détecter les patients à risque de décès et de morbidité sur une longue période.

Il faudra donc accentuer la prise en charge musculaire pour tous les patients vivants à la sortie de réanimation car, un score MRC de 55/60 représente la majorité des patients de réanimation dans cette étude (MRC ≤ 55 chez 401/596 (67.3%)). 

Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Guillaume FOSSAT, Médecine Intensive Réanimation, CHR d’Orléans, France.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (guillaume.fossat@chr-orleans.fr) ou à la CERC.

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Références

  1. Casaer MP, Mesotten D, Hermans G, Wouters PJ, Schetz M, Meyfroidt G, et al. Early versus late parenteral nutrition in critically ill adults. N Engl J Med. 11 août 2011;365(6):506‑17.
  2. Hermans G, Van Mechelen H, Clerckx B, Vanhullebusch T, Mesotten D, Wilmer A, et al. Acute outcomes and 1-year mortality of intensive care unit-acquired weakness. A cohort study and propensity-matched analysis. Am J Respir Crit Care Med. 15 août 2014;190(4):410‑20.
  3. Ali NA, O’Brien JM, Hoffmann SP, Phillips G, Garland A, Finley JCW, et al. Acquired Weakness, Handgrip Strength, and Mortality in Critically Ill Patients. Am J Respir Crit Care Med. août 2008;178(3):261‑8.
  4. Kelmenson DA, Quan D, Nordon-Craft A, Malone D, Schenkman M, Moss M. Electrophysiological abnormalities can differentiate pre-hospital discharge functional status in critically ill patients with normal strength. Intensive Care Med. sept 2016;42(9):1504‑5.
  5. De Jonghe B, Sharshar T, Lefaucheur J-P, Authier F-J, Durand-Zaleski I, Boussarsar M, et al. Paresis acquired in the intensive care unit: a prospective multicenter study. JAMA. 11 déc 2002;288(22):2859‑67.
  6. Moss M, Yang M, Macht M, Sottile P, Gray L, McNulty M, et al. Screening for critical illness polyneuromyopathy with single nerve conduction studies. Intensive Care Med. mai 2014;40(5):683‑90.
  7. Dinglas VD, Aronson Friedman L, Colantuoni E, Mendez-Tellez PA, Shanholtz CB, Ciesla ND, et al. Muscle Weakness and 5-Year Survival in Acute Respiratory Distress Syndrome Survivors. Crit Care Med. mars 2017;45(3):446‑53.
  8. Herridge MS, Tansey CM, Matté A, Tomlinson G, Diaz-Granados N, Cooper A, et al. Functional disability 5 years after acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med. 7 avr 2011;364(14):1293‑304.
Texte

CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX