Nutrition à faible valeur protéino-énergétique versus nutrition standard chez les patients ventilés, en choc : un essai contrôlé randomisé, multi centrique (NUTRIREA 3)

28/12/2023
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Low versus standard calorie and protein feeding in ventilated adults with shock: a randomised, controlled, multicentre, open-label, parallel-group trial (NUTRIREA-3)

Jean Reignier et al.

Lancet Respiratory Medicine 2023.

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Question évaluée

Quels sont les impacts d’un support nutritionnel à faible valeur protéino-énérgetique, en phase aigüe de soins critiques ?

Type d’étude

Multicentrique, contrôlée, randomisée, ouverte, de supériorité.

Population étudiée

Adultes, admis en unité de soins intensifs (USI) ou service de réanimation, sous ventilation mécanique invasive, intubés avant ou dans les 24h de leur admission, recevant de manière concomitante, des amines vasoactives pour un choc.

Les critères d’exclusion étaient les suivants : nécessité d’une nutrition spécifique, patients moribonds, limitations thérapeutiques, femme enceinte, accouchement récent ou allaitement, adultes sous protection juridique, patients incarcérés.

Méthode

Les patients inclus ont été randomisés en 2 groupes d’assistance nutritive différents (cibles caloriques et protéiques), au cours des 7 premiers jours suivants l’admission en service d’USI ou de réanimation. Le premier groupe (apports protéino-énergétiques bas) recevait 6 kcal/kg/j et 0.2-0.4 g/kg/j de protéines. Le second recevait 25 kcal/kg/j et 1.0-1.3 g/kg/j de protéines (apports protéino-énergétiques standard, conforme aux recommandations actuelles1). La nutrition était débutée dans les 2 groupes, le plus rapidement après la randomisation, et pas au-delà des 24h suivant l’intubation (ou l’admission en réanimation, si le patient avait été intubé avant son admission). Le choix de la voie entérale (NE) ou parentérale (NP) était laissé aux médecins réanimateurs en fonction des considérations cliniques. A J8, la nutrition entérale était privilégiée (en l’absence de contre-indications), les cibles changeaient et passaient à 30 kcal/kg/j et 1.2-2.0 g/kg/j de protéines dans les 2 groupes. Les deux critères de jugements principaux étaient la durée de séjour en USI et la mortalité toutes causes à 90 jours. Les critères de jugements secondaires portaient sur le nombre de complications infectieuses, gastro-intestinales et sur la dysfonction hépatique.

Résultats essentiels

Essai conduit dans 61 centres français. Un total de 3036 patients a été inclus et randomisé, entre juillet 2018 et décembre 2020. A 90 jours, 628 (41.3%) des 1521 patients du groupe intervention sont décédés versus 648 (42.8%) des 1515 dans le groupe standard. La différence absolue entre les 2 groupes était de -1.5%, 95% IC (-5.0-2.0); p=0.41. La médiane de durée de séjour était de 8 jours (IQR 5.0-14.0) dans le groupe intervention et de 9 jours (IQR 5.0-17.0) dans le groupe standard (HR 1.12, 95% IC (1.02-1.22) ; p=0.015. La proportion de complications infectieuses ne différait pas dans les 2 groupes (HR 0.85, 95% IC (0.71-1.01) ; p=0.06). Les patients du groupe intervention présentaient, significativement, moins de vomissements (HR 0.77, 95% IC (0.67-0.89) ; p<0.001), de diarrhées (HR 0.83, 95% IC (0.73-0.94 ; p=0.004), d’ischémie mésentérique (HR 0.5, 95% (0.26-0.95) ; p=0.030 et moins de dysfonction hépatique (HR 0.92, 95% IC (0.86-0.99) ; p=0.032). Les patients du groupe intervention avaient un délai de sevrage de la ventilation mécanique significativement plus court 5.0 (2.0 – 11.0) vs 6.0 (3.0 – 12.5) jours, HR 1.12, 95% IC (1.03–1.22), p = 0.06, une décroissance plus rapide du taux de lactate et du score de SOFA.

Commentaires

Il s’agit d’un premier essai contrôlé randomisé de cette ampleur évaluant une restriction protéino-énergétique en phase aigüe de soins critiques.

Ces résultats viennent conforter ceux de l’essai EPaNIC2, concernant la mortalité, mais qui eux, ont évalué uniquement les apports caloriques en procédant à l’adjonction de nutritions parentérales complémentaires tardives ou précoces. Ce dernier essai rapportait quant à lui, moins de complications infectieuses dans le groupe NPE tardive.

Parmi les mécanismes évoqués soutenant les effets bénéfiques d’une restriction protéino- énergétique dans ce contexte d’agression, le processus d’autophagie, inhibé par la majoration des macronutriments, avancé par les auteurs, contribuerait à une meilleure préservation de l’intégrité cellulaire, notamment musculaire avec une contribution majeure à la récupération3,4.

D’autres mécanismes sont évoqués notamment comme le processus adaptatif lié à une restriction énergétique contribuant à une meilleure réponse immunitaire et une préservation de la réponse neuroendocrine adéquat en phase aigüe d’agression5,6.

L’augmentation de la fréquence des complications gastro-intestinales et hépatiques dans le groupe standard pourrait être attribuée à une inadéquation entre les besoins et apports en oxygène7.

Points forts

Large effectif grâce au recrutement de 61 centres français, soutenant une validité externe des résultats satisfaisante.

Respect strict du protocole et cibles protéino-énergétiques atteintes dans les 2 bras.

Population représentative des soins critiques.

Points faibles

L’essai n’a pas été mené en aveugle et ce procédé a pu induire des biais de traitements.

Recours un peu plus fréquent à la nutrition parentérale dans le group standard.

L’analyse statistique n’a pas été ajustée pour les critères de jugement secondaire.

La phase aigüe a pu varier en fonction des patients et aucun critère clinique ou biologique ont déterminé la fin de cette phase aigüe, autrement dit, le choix d’une durée d’intervention de 7 jours était arbitraire mais est-il si pertinent ?

Implications et conclusions

Comparée à une assistance nutritionnelle standard, une restriction protéino-énérgetique (6 kcal/kg/j et 0.2-0.4 g de protéines/kg/j) précoce n’impacte pas la mortalité à 90 jours mais s’associe à une récupération plus rapide et à moins de complications gastro intestinales et hépatiques.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Claire Rives-Lange, Service de Nutrition, Hôpital Européen Georges Pompidou, Paris, AP-HP, France.

L'auteure ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteure (claire.rives-lange@aphp.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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RÉFÉRENCES

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