Opération « Sandwich » : une intervention pour réduire la durée de ventilation mécanique invasive en unité de réanimation pédiatrique

03/11/2022
Auteur(s)
Image
Article JAMA
Texte

 

Effect of a sedation and ventilator liberation protocol VS usual care on duration of invasive mechanical ventilation in pediatric intensive care units: a randomized clinical trial
Blackwood B, Tume LN, Morris KP, Clarke M, McDowell C, Hemming K, Peters MJ, McIlmurray L, Jordan J, Agus A, Murray M, Parslow R, Walsh TS, Macrae D, Easter C, Feltbower RG, McAuley DF; SANDWICH Collaborators.
JAMA. 2021 Aug 3;326(5):401-410. doi: 10.1001/jama.2021.10296. PMID: 34342620; PMCID: PMC8335576.

 

Texte

Question évaluée

Quel est l’impact d’une intervention multimodale et pluriprofessionnelle intégrant (a) un test quotidien de sevrage de la ventilation mécanique (VM), (b) une stratégie de minimisation de la sédation  et (c) une maximisation de l'engagement du personnel, par rapport aux soins habituels, sur la durée de la VM invasive de nourrissons et d’enfants nécessitant une VM prolongée.

Type d’étude

Essai clinique pragmatique multicentrique (18 unités de réanimation pédiatrique au Royaume-Uni), randomisé en grappes avec permutation séquentielle (randomized cluster stepped wedge trial).

Le critère de jugement principal était la durée de VM invasive depuis le début de la ventilation jusqu'à la première extubation réussie, définie comme une ventilation spontanée sans VM après 48 heures.

Population étudiée

Sont inclus dans cette étude les nourrissons et enfants de moins de 16 ans ayant nécessité une VM. Ont été exclus les patients porteurs d’une trachéotomie à l’admission, les patients dont le décès à court terme était prévisible et les patients pour lesquels le responsable légal s’est opposé à l’inclusion.

Méthode

Les centres investigateurs ont été randomisés de façon séquentielle, permettant de définir, par chacun d’entre eux, la durée des phases « contrôle » et « intervention ». Tous les centres ont commencé à inclure des patients en même temps en phase contrôle (soins habituels) puis, toutes les 4 semaines, après une période de formation de 2 semaines, un centre basculait en période d’évaluation de l’intervention « Sandwich ».

L’intervention « Sandwich » nécessitait que l’infirmier :

  • Évalue le niveau de sédation du patient par le biais de l’échelle COMFORT au minimum toutes les 6 heures,
  • Evalue la possibilité de réaliser un test de sevrage de la ventilation spontanée au moins deux fois par jour,
  • Réalise, un test de ventilation spontanée avec un médecin, lorsque celui-ci avait préalablement été jugé faisable.

Par ailleurs, cette stratégie incluait aussi un staff multidisciplinaire quotidien reprenant les scores de COMFORT du patient pendant les tours de surveillance, les résultats des tests de sevrage et l’avis de l’infirmière sur les niveaux de sédation et les paramètres de ventilation cibles.

Résultats essentiels

Entre février 2018 à octobre 2019, 8 843 enfants, d’un âge médian de 8 mois, ont été inclus dans les 18 unités de soins intensifs pédiatriques du Royaume-Uni, avec respectivement 4155 nourrissons et enfants pendant la phase « soins habituels » et 4688 nourrissons et enfants pendant la phase « interventionnelle ». Les caractéristiques des patients étaient homogènes dans les deux groupes.

Par ailleurs, 1955 des 2247 professionnels éligibles ont été formés au protocole.  L’adhésion au protocole était élevée de manière globale (médiane, 82 % ; IQR, 77%-89%), pour l'évaluation de la sédation (médiane, 83% ; IQR, 82%- 91 %), et la gestion du niveau optimal de sédation (médiane, 85 % ; IQR, 63%-89%) et des paramètres de ventilation (médiane, 90% ; IQR, 81%-96%). L'adhésion était modérée pour la faisabilité d’un test de sevrage (médiane, 74 % ; IQR, 66 %-83 %) et plus faible en ce qui concerne la réalisation d’un test de sevrage lorsque les critères de faisabilité étaient remplis (médiane, 40% ; IQR, 31%-51%).

La durée de VM a été diminuée de manière statistiquement significative chez les patients ayant reçu l’intervention du protocole de gestion optimisée de la sédation et de sevrage du ventilateur avec une différence médiane ajustée de -6,1 heures (IQR, −8,2 à −5,3 heures) et le hazard ratio était de 1,11 (95% CI, 1,02 to 1,20, p=0,02).

L’étude a également mis en évidence :

  • Une plus forte incidence des extubations réussies dans la phase intervention (RR ajusté, 1.01 [95% CI, 1,00 à 1,02]; p = 0,03).
  • Une plus forte incidence des extubations accidentelles dans la phase intervention par rapport à la phase contrôle (RR ajusté, 1,62 [95% CI, 1,05-2,51]; p = 0,03) mais sans différence sur le taux de réintubation (RR ajusté, 1,10 [95% CI, 0,89-1,36]; p = 0,38)
  • Un recours à une ventilation non-invasive plus élevé dans la phase intervention que dans la phase « soins habituels » (RR ajusté, 1,22 [95% CI, 1,01 à 1,49], p = 0,04).

En résumé, les auteurs ont mis en évidence une incidence significativement plus élevée d'extubations réussies pour les patients qui ont reçu l’intervention de gestion optimisée de la sédation associée à un protocole de sevrage par rapport à ceux qui ont reçu les soins usuels. Cependant, la taille de l’effet de l’intervention est faible (quelques heures) et la différence validée statistiquement n’est pas si pertinente en pratique clinique. Les auteurs pensent que l’hétérogénéité de la population a pu atténuer l’effet de l’intervention. Le fait de davantage impliquer les infirmières dans le processus de sevrage (pratique peu investie au Royaume-Uni) aurait également pu permettre des extubations plus précoces. Il y a eu un faible taux de tests de sevrage réalisés même si la sevrabilité avait été préalablement établie. Les auteurs pensent que ces hésitations sont dues à un ancrage profond des pratiques actuelles. Enfin, le grand nombre de cliniciens investis dans cette étude a également pu atténuer l’effet de l’intervention.

Commentaires

Comparativement aux études antérieures qui ont pu montrer des résultats cliniques probants (1,2), les résultats de cette étude de grande ampleur sont moins marqués et soulignent les difficultés à réellement changer les pratiques de sevrage de la VM dans les services de réanimation pédiatrique.

Renforcer l’implication interprofessionnelle dans la préparation à l’extubation en unité de réanimation pédiatrique permettrait d’améliorer la réussite du sevrage ventilatoire (3). La sensibilisation de chaque professionnel au chevet du patient pour l’accompagnement vers le sevrage ventilatoire est donc à parfaire.

L’évaluation du niveau de sédation du patient est aussi un enjeu majeur dans l’accompagnement vers le sevrage ventilatoire. Une sur-sédation expose effectivement à une durée de VM invasive prolongée (4). Sensibiliser les professionnels à une évaluation quotidienne de l’état de sédation du patient et de la possibilité de débuter des épreuves de sevrage ventilatoire paraît avoir un impact certain sur la durée de VM.

Points forts

Il existe, contrairement à l’adulte, peu d’études randomisées sur le sevrage de la VM en pédiatrie. Cette étude de grande ampleur est méthodologiquement robuste. Elle met en avant le regard des infirmiers dans l’évaluation clinique du patient notamment dans la gestion de la sédation ou bien la possibilité de proposer un sevrage ventilatoire.

Ce protocole issu de la réflexion « ICU liberation » (5) permet également de sensibiliser les infirmiers à des soins véritablement centrés sur la personne.

Points faibles

La taille de l'effet est faible et donc la signification clinique est incertaine. Par ailleurs, les résultats de cette étude britannique sont à interpréter au regard des pratiques de soin du Royaume-Uni, en particulier pour les infirmières.

Implications et conclusions

Cette étude a permis de répondre au critère de jugement principal démontrant que l’application d’une intervention infirmière sur la sédation et le sevrage ventilatoire réduit significativement la durée de VM invasive, bien que les résultats obtenus soient moins cliniquement significatifs qu’attendus.

Texte

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Delphine MICAËLLI, IPA, Médecine Intensive et Réanimation Pédiatriques, CHU Robert Debré - APHP, France.

L'auteure déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteure (delphine.micaelli@aphp.fr) et/ou à la CERC.

Texte

Références

  1. Spontaneous Breathing Trial for Prediction of Extubation Success in Pediatric Patients Following Congenital Heart Surgery: A Randomized Controlled Trial.
    Ferreira FV, Sugo EK, Aragon DC, et al.
    Pediatr Crit Care Med. 2019 Oct;20(10):940-946.
  2. The impact of daily evaluation and spontaneous breathing test on the duration of pediatric mechanical ventilation: a randomized controlled trial.
    Foronda FK, Troster EJ, Farias JA, et al.
    Crit Care Med. 2011;39(11):2526-2533.
  3. An Interprofessional Quality Improvement Initiative to Standardize Pediatric Extubation Readiness Assessment.
    Abu-Sultaneh S, Hole AJ, Tori AJ, et al.
    Pediatr Crit Care Med. 2017 Oct;18(10):e463-e471.
  4. Current State of Analgesia and Sedation in the Pediatric Intensive Care Unit.
    Egbuta C, Mason KP.
    J Clin Med. 2021 Apr 23;10(9):1847.
  5. Critical care nurses’ role in implementing the “ABCDE bundle” into practice.
    Balas MC, Vasilevskis EE, Burke WJ, et al.
    Critical care nurse, 2012;32(2): 35-47.
Texte

CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI