Prophylaxie de l’ulcère de stress chez le patient de réanimation : saigner moins pour vivre pareil ?

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Article : Cook D et al; REVISE Investigators. Stress Ulcer Prophylaxis during Invasive Mechanical Ventilation. N Engl J Med. 2024 Jul 4;391(1):9-20. doi: 10.1056/NEJMoa2404245. Epub 2024 Jun 14. PMID: 38875111.

Etude REVISE (Re-Evaluating the Inhibition of Stress Erosions)

 

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Question évaluée :

 

La prévention de l’ulcère de stress en réanimation reste débattue. Plusieurs études récentes suggèrent que l’intérêt de la prévention de l’ulcère de stress en réanimation reste limité :

      - D’une part si les protecteurs gastriques permettent de diminuer les saignements digestifs, ceux-ci ne se traduisent pas systématiquement par un état de choc, la nécessité d’une transfusion ou d’un geste thérapeutique lors de l’endoscopie digestive haute (1)

      - D’autre part des études suggèrent une tendance à la surmortalité associée à la prévention de l’ulcère de stress chez les patients les plus graves (2,3).

 

Les recommandations parues en Aout 2024 de la “Society of Critical Care Medicine” et de l”American Society of Health-System Pharmacists” suggèrent une prévention de l’ulcère de stress chez les patients de soins critiques à haut risque c’est-à-dire présentant au moins un facteur suivant : cirrhose, coagulopathie, état de choc (4).

L’objectif de l’étude REVISE (Re-Evaluating the Inhibition of Stress Erosions) était de déterminer les effets de l’administration de PANTOPRAZOLE versus placebo sur la survenue de saignement gastro intestinaux hauts, graves (critère d’efficacité) et sur la mortalité à 90 jours (critère de sécurité).

 

Type d’étude :

Essai contrôlé randomisé en double aveugle contre placebo, multicentrique international.

Population étudiée :

Patients de plus de 18 ans, hospitalisés en réanimation, sous ventilation mécanique invasive.

Étaient exclus les patients :

-  Les patients sous ventilation mécanique invasive depuis plus de 72h

- Les patients ayant reçu au moins un jour d’administration de protecteur gastrique en réanimation

-  Si l’indication de protecteur gastrique était indiquée ou contre indiquée

-  Les patients recevant une bi-antiagrégation plaquettaire ou l’association d’un antiagrégant plaquettaire et d’un anticoagulant

Méthode :
  1. Intervention

Randomisation en bloc de permutation 1:1 ; stratifiée sur le centre et la prise antérieure d’anti-acide

- groupe intervention :  40 mg de pantoprazole IV jusqu’à extubation ou J90

- groupe contrôle :  chlorure de sodium 0.9% IV

  1. Critères de jugement

Critère principal d’efficacité : survenue d’un saignement gastro-intestinal haut avec un retentissement hémodynamique ou nécessitant une intervention thérapeutique en réanimation (ou nécessitant une nouvelle admission en réanimation lors de la même hospitalisation), et ce, jusqu’à 90 jours post randomisation.

Critère de jugement principal vérifié/évalué par 2 praticiens experts (adjudication). Si désaccord, appel à un troisième praticien expert.

Critère principal de sécurité : mortalité à J90

 

- Critères de jugement secondaires et tertiaires :

- Survenue d’une pneumopathie acquise sous ventilation mécanique

- Infection à Clostridium difficile

- Recours à l’épuration extra-rénale

- Mortalité hospitalière et en réanimation

- Nombre de culots de globules rouges transfusés

- Pic de créatinine plasmatique

- Durée de ventilation mécanique

- Durée d’hospitalisation totale et en réanimation

Résultats essentiels :

Entre juillet 2019 et octobre 2023, 4821 patients de réanimation sous ventilation mécanique ont été inclus, 2417 dans le groupe PANTOPRAZOLE et 2404 dans le groupe placebo.

Les patients ayant reçu une prophylaxie par PANTOPRAZOLE présentaient significativement moins d’hémorragies digestives hautes graves que ceux ayant reçu un placebo (1% dans le groupe PANTOPRAZOLE vs 3.5% dans le groupe placebo ; Hazard Ratio 0.30; 95% [IC] 0.19-0.47; P<0.001).

On ne retrouvait pas d’association entre la prophylaxie par PANTOPRAZOLE et la mortalité à J90 (29.1% dans le groupe PANTOPRAZOLE et 30.9% dans le groupe placebo ; Hazard Ratio 0.94 ; 95% [IC]  0.85-1.04, p=0.25).

La prophylaxie par PANTOPRAZOLE n’était pas associée à la survenue de pneumopathie acquise sous ventilation mécanique, d’infection par Clostridium difficile, à la durée de ventilation mécanique et de séjour, la transfusion de CGR, et le recours à l’épuration extra-rénale.

Commentaires :

1- Ce n’est pas un scoop !

Cette étude démontre, une fois encore, que les IPP, en l’occurrence le PANTOPRAZOLE, permettent de réduire les hémorragies gastro-intestinales de stress chez le patient de soins critiques. Ceci est maintenant largement démontré dans la littérature.

2 – Un évènement en fait rare et peu grave

D’une part on prescrit larga manu des protecteurs gastriques en prévention d’un évènement finalement rare et d’autre part les hémorragies gastro-intestinales décrites dans cette étude étaient en fait peu graves. Seulement 57% se traduisaient par une baisse de pression artérielle systolique de plus de 20 mmHg et 63% d’une baisse d’hémoglobine supérieure à 2 g/dl. Donc on peut se poser la question de la pertinence de traiter en prophylaxie un évènement rare et peu grave.

3- Attention à l’origine de l’hémorragie

44% des endoscopies digestives ne retrouvaient pas la source du saignement. Ainsi on ne peut être certain que les hémorragies décrites chez les patients étaient en lien avec un ulcère gastro-duodénal de stress.

4-Ne fait pas pire.

Même si cette étude ne nous convainc pas, elle nous rassure sur la prescription large d’une prophylaxie de l’ulcère de stress en réanimation.  Si on ne fait pas mieux, on ne fait pas pire. On ne retrouve pas de surmortalité dans le groupe PANTOPRAZOLE, ce qui vient infirmer les doutes qui avaient pu être émis récemment notamment dans l’étude SUP-ICU (2).

5- Population ciblée de patient graves donc à risque d’ulcères de stress.

Concernant la population, il s’agit bien de patients graves (les patients étaient tous sous ventilation mécanique, 70% d’entre eux sous amines, avec un score moyen Apache II à 22).  En revanche, s’agit-il de patients à risque d’ulcères de stress (5)? La survenue d’un état de choc peut être considéré comme un facteur de risque d’ulcère de stress (4). 70% des patients recevaient des amines. En revanche, seulement 45% des patients avaient un traitement anticoagulant ou antiagrégant. Les dernières données de la littérature ne retiennent plus la ventilation mécanique comme facteur de risque (4). On ne dispose pas d’informations sur la défaillance rénale ou l’antécédent de cirrhose. On peut tout de même affirmer qu’on étudie l’effet d’un traitement sur une population ciblée.

6-Pertinence d’étudier la mortalité à J90 ?

Les auteurs ont choisi comme critère de sécurité la mortalité à J90, comme dans l’étude SUP-ICU en 2018 (2).  L’influence d’une hémorragie gastro-intestinale sur la mortalité à J90 est douteuse car la prise en charge de celle-ci en réanimation est maitrisée. Il est plus raisonnable de considérer d’autres facteurs comme l’âge, les comorbidités et les complications liées à la réanimation pouvant être des facteurs de risques de mortalité à J90 (6).

7- Une réduction de la charge en soins permise par le PANTOPRAZOLE

94 hémorragies gastro-intestinales dans le groupe placebo contre 30 dans le groupe PANTOPRAZOLE (cf appendice) : de façon évidente, il y a un moindre recours à l’endoscopie oeso-gastroduodénale (EOGD) diagnostique dans le groupe PANTOPRAZOLE, ce qui est un allègement de la charge en soins.  Le PANTOPRAZOLE diminue donc la fréquence des hémorragies gastro-intestinales et le recours à l’EOGD diagnostique, mais quand les hémorragies gastro-intestinales surviennent, il faut les traiter davantage. Cette étude suggère que chez les patients déjà sous anti-acide, la survenue d’une hémorragie gastro-intestinale implique plus souvent le recours à d’autres thérapeutiques : dans 60% des cas, nécessité d’un traitement endoscopique, d’une artério-embolisation, ou d’une chirurgie d’hémostase. Si les patients n’ont pas de prophylaxie, la prise en charge de l’hémorragie gastro-intestinale est plus simple : seuls 35% des patients nécessiteront une escalade thérapeutique, probablement parce que l’introduction de PANTOPRAZOLE serait efficace dans un certain nombre de cas. Numériquement, il y a quand même deux fois moins de recours à l’EOGD thérapeutique dans le groupe PANTOPRAZOLE que dans le groupe placebo (n=12/2407 vs n=28/2404), ce qui suggère l’allègement de la charge de soin permise par le PANTOPRAZOLE.

8- L’alimentation entérale : un facteur protecteur

L’alimentation entérale pourrait être un  facteur protecteur à ne pas négliger (4,5).  Dans le tableau 4 de l’appendice, on peut noter que les deux groupes recevaient de façon comparable une alimentation entérale (91.3% dans le groupe PANTOPRAZOLE et 92.6% dans le groupe placebo). Dans une analyse post Hoc de SUP ICU, les auteurs montraient une diminution du risque d’hémorragies gastro-intestinales de stress chez les patients sous nutrition entérale et suggéraient une hausse de mortalité chez les patients sous nutrition entérale recevant des IPP (7). D’un autre côté, une nutrition entérale à débit trop élevé chez un patient en état de choc prédispose à l’ischémie mésentérique non-occlusive, qui peut se présenter comme une ulcération gastroduodénale. Il aurait pu être intéressant qu’une analyse de sous-groupe soit réalisée sur le fait de recevoir ou non de la nutrition entérale. De même, il n’y a pas eu d’analyse de sous-groupe chez les patients recevant un traitement anticoagulant ou une anti-agrégation plaquettaire.

9- La durée de prescription de la prophylaxie.

En effet dans l’étude, la prescription était prévue jusqu’à extubation ou J90 ce qui est plutôt arbitraire, avec des durées en réalité courtes (durée médiane de traitement : 5 jours). Ne faudrait-il pas envisager une prophylaxie jusqu’à la correction des facteurs de risques comme le prévoient les dernières recommandations américaines citées précédemment ? Ceci permettrait peut-être de ne pas exposer le patient aux complications à moyen et long terme des anti-acides.

Points forts :
  • Ajustement sur la prise d’anti acide avant hospitalisation

  • Critère de jugement principal d’efficacité pertinent « saignement avec état de choc ou nécessité d’un traitement en réanimation ». En revanche critère de sécurité plus discutable.

  • Méthodologie robuste : essai contrôlé randomisé en aveugle

  • Effectif important : 4821 sujets inclus dans l’analyse

  • Multicentrique, internationale donc généralisation possible

Points faibles :
  • La réalisation d’une EOGD n’était pas obligatoire pour qualifier l’hémorragie digestive haute cliniquement pertinente.

  • Critère de sécurité : mortalité à J90 ; comme discuté précédemment l’influence d’une hémorragie gastro-intestinale sur la mortalité à J90 est douteuse car la prise en charge de celle-ci en réanimation est maitrisée.

 

Implications et conclusions :

Encore une nouvelle étude qui s’intéresse à la prophylaxie de l’ulcère de stress en réanimation sans pouvoir démontrer un effet sur la mortalité, malgré une méthodologie robuste et un effectif de grande ampleur. Finalement on prescrit beaucoup d’IPP pour une complication, en fait, rare et peu grave. Mais peut-être faut-il réviser nos objectifs et ne pas se focaliser sur la survie. Si on prescrit des IPP, l’objectif pourrait être de diminuer la charge en soins et un moindre recours à l’EOGD diagnostique et thérapeutique. Une étude médico économique permettrait peut-être de reconsidérer la prescription d’une prophylaxie. Surtout, les grandes études randomisées contrôlées sur la prophylaxie de l’ulcère de stress mettent encore tout le monde dans le même sac, sans nuance. Il faudrait affiner encore l’utilisation des IPP en réanimation selon des caractéristiques plus précises des patients, et intégrer la balance entre des facteurs de risque comme l’état de choc, la coagulopathie, la dénutrition sévère… et des facteurs protecteurs, comme la possibilité d’administrer une nutrition entérale bien tolérée cliniquement.


 

Références cités dans les commentaires

1.         Barbateskovic M, Marker S, Granholm A, Anthon CT, Krag M, Jakobsen JC, et al. Stress ulcer prophylaxis with proton pump inhibitors or histamin-2 receptor antagonists in adult intensive care patients: a systematic review with meta-analysis and trial sequential analysis. Intensive Care Med. févr 2019;45(2):14358.

2.         Krag M, Marker S, Perner A, Wetterslev J, Wise MP, Schefold JC, et al. Pantoprazole in Patients at Risk for Gastrointestinal Bleeding in the ICU. N Engl J Med. 6 déc 2018;379(23):2199208.

3.         Wang Y, Ge L, Ye Z, Siemieniuk RA, Reintam Blaser A, Wang X, et al. Efficacy and safety of gastrointestinal bleeding prophylaxis in critically ill patients: an updated systematic review and network meta-analysis of randomized trials. Intensive Care Med. nov 2020;46(11):19872000.

4.         MacLaren R, Dionne JC, Granholm A, Alhazzani W, Szumita PM, Olsen K, et al. Society of Critical Care Medicine and American Society of Health-System Pharmacists Guideline for the Prevention of Stress-Related Gastrointestinal Bleeding in Critically Ill Adults. Crit Care Med. 1 août 2024;52(8):e42130.

5.         Cook D, Heyland D, Griffith L, Cook R, Marshall J, Pagliarello J. Risk factors for clinically important upper gastrointestinal bleeding in patients requiring mechanical ventilation. Canadian Critical Care Trials Group. Crit Care Med. déc 1999;27(12):28127.

6.         Krag M, Perner A, Wetterslev J, Wise MP, Borthwick M, Bendel S, et al. Prevalence and outcome of gastrointestinal bleeding and use of acid suppressants in acutely ill adult intensive care patients. Intensive Care Med. mai 2015;41(5):83345.

7.         Borthwick M, Granholm A, Marker S, Krag M, Lange T, Wise MP, et al. Associations between enteral nutrition and outcomes in the SUP-ICU trial: Results of exploratory post hoc analyses. Acta Anaesthesiol Scand. 12 juin 2024;


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Article commenté par Thibault VIEILLE- Gaël PITON (Réanimation médicale Besançon).

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