Quel traitement de seconde ligne dans l’état de mal épileptique tonico-clonique généralisé ?

10/12/2020
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Article New England
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Randomized Trial of Three Anticonvulsant Medications for Status Epilepticus
Kapur J, Elm J, Chamberlain JM, Barsan W, Cloyd J, Lowenstein D, Shinnar S, Conwit R, Meinzer C, Cock H, Fountain N, Connor JT, Silbergleit R; NETT and PECARN Investigators.
N Engl J Med. 2019 Nov 28;381(22):2103-2113. doi: 10.1056/NEJMoa1905795.

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Question évaluée

Comparaison de l’efficacité et de la sécurité du Lévétiracétam, de la Fosphénytoïne, et du Valproate de sodium dans le traitement de l’état de mal épileptique tonico-clonique généralisé réfractaire aux benzodiazépines, chez l’enfant et l’adulte.

Type d’étude

Essai randomisé contrôlé en double aveugle multicentrique.

Population étudiée
Critères d’inclusion
  • Etat de mal épileptique (EME) tonico-clonique généralisé réfractaire aux benzodiazépines, défini par la persistance ou la récurrence de convulsions entre 5 et 30 minutes après la dernière dose de benzodiazépine administrée à une dose suffisante.
Critères d’exclusion
  • Anoxie cérébrale, traumatisme crânien grave, hypo ou hyperglycémie comme étiologie de l’EME
  • Traitement par d’autres traitements anti-comitiaux que les benzodiazépines pour l’épisode actuel
  • Intubation préalable à la randomisation
  • Antécédent d’insuffisance rénale ou hépatique, ou de maladie métabolique congénitale
  • Grossesse
  • Incarcération
Échantillon
  • Maximum de 795 inclusions prévues
  • Analyses intermédiaires à 400, 500, 600 et 700 inclusions avec possibilité d’arrêt de l’étude en cas d’efficacité démontrée ou de futilité (probabilité d’objectiver l’existence d’un traitement plus efficace ou moins efficace que les autres < 1%).
Méthode
– Randomisation

Aux urgences, stratification selon l’âge : 2 à 17 ans ; 18 à 65 ans ; > 65 ans

– Traitement
  • Uniformisé, récupéré dans un kit dédié.
  • Administré par voie intra veineuse pendant 10 minutes, vitesse de perfusion adaptée au poids du patient
  • Posologie administrée :
    • Lévétiracétam : 60 mg/kg (maximum 4500 mg)
    • Fosphénytoïne : 20 mg EP/kg (maximum 1500 mg EP)
    • Valproate de sodium : 40 mg/kg (maximum 3000 mg)
  • En cas de convulsions persistantes ou récidivantes 20 minutes après le début du traitement de l’étude, administration d’un autre traitement choisi par le médecin en charge.
– Critère de jugement principal
  • À 60 minutes après le début de l’administration du traitement de l’étude :
    • Absence de manifestations épileptiques (mouvements tonico-cloniques généralisés ou focaux, mouvements oculaires rythmiques ou nystagmus, myoclonies généralisées ou segmentaires)
    • ET amélioration de la vigilance (réponse adaptée aux stimuli nociceptifs, réponses aux ordres simples ou réponse verbale).
– Critères de jugement secondaires
  • Efficacité :
    • Délai d’arrêt des convulsions après le début du traitement de l’étude
    • Hospitalisation en réanimation
    • Durées de séjour en réanimation et à l’hôpital
  • Sécurité :
    • Hypotension artérielle ou arythmie menaçantes dans les 60 premières minutes
    • Intubation oro-trachéale dans les 60 premières minutes
    • Récurrence comitiale clinique ou électrique entre 1h et 12h après le début du traitement de l’étude
    • Réaction anaphylactique
    • Tout événement indésirable pendant les premières 24 heures.
    • Tout événement indésirable grave ou décès jusqu’à la sortie de l’hôpital ou les 30 premiers jours si patient toujours hospitalisé à J30.
Résultats essentiels

400 inclusions ont été réalisées dans 57 centres nords -américains, l’étude ayant été clôturée après la première analyse intermédiaire pour cause de futilité.

Il y a eu 16 patients exclus de l’analyse en intention de traiter (double inclusion dans l’étude) et 108 patients inclus (27% de l’effectif total) ont été retirées de l’analyse per-protocole pour déviation des critères d’inclusions :

  1. Non-conformité de l’administration des benzodiazépines chez 76 patients (posologie inadéquate chez 26 patients, délai entre l’injection et la randomisation non respecté chez 50 patients)
  2. Diagnostic erroné d’EME (40 patients), principalement crise non épileptique psychogène (33 patients).

Les groupes étaient comparables en termes d’âge, d’étiologie de l’état de mal, d’antécédent d’épilepsie (67%), de durée de l’état de mal épileptique avant la randomisation (61 mn) ; les diagnostics erronés d’EME (10%) étaient également répartis dans les 3 groupes ; la dose médiane de benzodiazépines reçues avant le traitement de l’étude était comparable dans les 3 groupes.

Le résultat principal de l’étude a montré une absence de différence d’efficacité évaluée sur le critère principal (arrêt des convulsions et amélioration de la vigilance à la 60ème minute), entre les 3 traitements : 47% avec le Lévétiracétam, 45% avec la Fosphénytoïne et 46% avec le Valproate de sodium.

Les critères secondaires d’efficacité ont confirmé l’impossibilité de démonter la supériorité de l’un des traitements dans une étude randomisée : absence de différence significative pour le délai d’arrêt des convulsions après l’initiation du traitement de l’étude (10,5 mn pour le Lévétiracétam, 11,7 mn pour la Fosphénytoïne, 7 mn pour le Valproate de sodium), l’admission en réanimation (respectivement de 60%, 58,3% et 58,7%) et les durées de séjour en réanimation (1 jour) et à l’hôpital (3 jours).

En termes de tolérance, aucune différence significative concernant la survenue d’une hypotension sévère (0.7% avec le Lévétiracétam, 3.2% avec la Fosphénytoïne, 1.6% avec le Valproate), ou d’un trouble du rythme (0.7% avec le Lévétiracétam, aucun avec les 2 autres traitements) n’a été observé. Le pourcentage de décès a été de 4,7% dans le groupe Lévétiracétam, 2,4 % pour la Fosphénytoïne, 1,6% dans le groupe Valproate. Il n’y a pas eu de décès imputable aux traitements de l’étude.

Commentaires

L’état de mal épileptique est une urgence neurologique fréquente, responsable d’une importante morbi-mortalité1 conditionnée par la rapidité de sa prise en charge2.

Si l’utilisation de benzodiazépines comme traitement de première intention dans l’état de mal est aujourd’hui bien établie3,4, 30 à 40% des patients ne répondent pas à cette première ligne de traitement5.

Cinq traitements antiépileptiques de longue durée d’action disponibles par voie veineuse sont utilisés dans l’EME6, qui sont, du plus ancien au plus récent, le Phénobarbital, la Phénytoïne, le Valproate de sodium, le Lévétiracétam et plus récemment le Lacosamide. Le traitement de seconde ligne, n’avait, jusqu’à cet essai, pas fait l’objet d’une étude randomisée contrôlée en aveugle.

Le choix des traitements de l’étude est peu discuté dans l’article, mais a été vraisemblablement guidé par i) le profil de tolérance, avec éviction du phénobarbital, responsable d’un trouble de la vigilance prolongé ii) le peu de données dans la littérature concernant l’efficacité du Lacosamide dans l’EME tonico-clonique généralisé. Les posologies utilisées de Lévétiracétam sont plus importantes que celles habituellement recommandées, sans impact sur sa tolérance.

Le choix d’un critère principal combiné avec arrêt des convulsions et ébauche de réveil a pu sous-estimer le pourcentage d’arrêt de l’état de mal parmi les patients ne présentant plus de convulsions mais qui sont encore comateux à 60 mn, mais permet de garantir l’absence d’EME larvé.

La difficulté de mise en place d’une telle étude dans un contexte de premier accès aux soins via les services d’urgence est à souligner, d’ailleurs confirmée par la part importante de déviations du protocole, cependant sans incidence sur les résultats de l’étude.

Points forts
  • Premier essai randomisé contrôlé dans le traitement de deuxième ligne de l’EME
  • Étude de grande qualité méthodologique et de grande envergure.
Points faibles
  • Taux important de patients (27%) présentant des erreurs à l’inclusion, essentiellement dans l’administration des benzodiazépines en 1ère
Implications et conclusions

Les résultats de cette étude vont modifier dans les années à venir les recommandations et les pratiques dans le traitement de deuxième ligne de l’EME, avec possiblement l’utilisation préférentielle du Lévétiracétam, ayant probablement le meilleur profil de tolérance et une absence de précaution d’utilisation, y compris chez la femme en âge de procréer.

Cette étude confirme par ailleurs que les traitements de deuxième ligne dans l’EME tonico-clonique généralisé sont en échec dans plus de 50% des cas. La prochaine étape sera de poursuivre les études dans le traitement des EME réfractaires, challenge difficile des années à venir.

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LIENS UTILES

  1. Betjemann, J. P. & Lowenstein, D. H. Status epilepticus in adults. The Lancet Neurology 14, 615–624 (2015).
  2. Lowenstein, D. H. The Management of Refractory Status Epilepticus: An Update. Epilepsia 47, 35–40 (2006).
  3. Alldredge, B. K., Allen, F. & Neuhaus, J. M. A Comparison of Lorazepam, Diazepam, and Placebo for the Treatment of Out-of-Hospital Status Epilepticus. The New England Journal of Medicine 7 (2001).
  4. Silbergleit, R. et al. Intramuscular versus Intravenous Therapy for Prehospital Status Epilepticus. N Engl J Med 366, 591–600 (2012).
  5. Navarro, V. et al. Prehospital treatment with levetiracetam plus clonazepam or placebo plus clonazepam in status epilepticus (SAMUKeppra): a randomised, double-blind, phase 3 trial. The Lancet Neurology 15, 47–55 (2016).
  6. Yasiry, Z. & Shorvon, S. D. The relative effectiveness of five antiepileptic drugs in treatment of benzodiazepine-resistant convulsive status epilepticus: A meta-analysis of published studies. Seizure 23, 167–174 (2014).
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Victor Altmayer et Sophie Demeret, Réanimation Neurologique Médicale, Sorbonne Université, Hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris, France.

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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX