Remplir le patient avant de l’intuber, est-ce superflu ?

07/07/2023
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PREPARE II Investigators and the Pragmatic Critical Care Research Group. Effect of Fluid Bolus Administration on Cardiovascular Collapse Among Critically Ill Patients Undergoing Tracheal Intubation: A Randomized Clinical Trial.
Russell DW, Casey JD, Gibbs KW, et al.
JAMA. 2022 Jul 19;328(3):270-279. doi: 10.1001/jama.2022.9792. PMID: 35707974; PMCID: PMC9204618.

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Question évaluée

Est-ce qu’un remplissage vasculaire avant induction lors de la procédure d’intubation trachéale permet de diminuer le collapsus cardiovasculaire?

Type d’étude

Etude randomisée contrôlée multicentrique (11 centres Nord-Américains) en ouvert avec un ratio 1:1 avec stratification par centre.

Population étudiée

Tous les patients nécessitant une intubation orotrachéale avec une préoxygénation par ventilation à pression positive au masque (via ballon autoremplisseur à valve unidirectionnelle ou via le respirateur en mode ventilation non-invasive) entre l’induction et la laryngoscopie ont été inclus.

N’ont pas été inclus, les patients nécessitant une intubation orotrachéale en urgence avant la procédure de randomisation ou ayant une contre-indication au remplissage vasculaire, selon l’appréciation du clinicien.

Méthode

Il s’agit d’une étude en groupe parallèle réalisée entre février 2019 et mai 2021 (interrompue pendant 6 mois durant la pandémie COVID-19), visant à comparer l’administration d’un remplissage vasculaire à l’absence de remplissage vasculaire chez les patients nécessitant une intubation en soins critiques.

  1. Groupe interventionnel : remplissage vasculaire avec 500 ml de cristalloïde isotonique (au libre choix de l’opérateur) avec une administration :
    1. par gravité ou pression manuelle ou poche de pression
    2. du maximum possible du soluté avant l’induction sans retarder la procédure d’intubation
    3. du reste du soluté après l’induction durant la procédure d’intubation.
  2. Groupe contrôle : aucun remplissage vasculaire n’était autorisé sauf en cas d’hypotension artérielle ou si l’opérateur le jugeait nécessaire pour la sécurité du patient.

Le choix des agents d’induction, de l’utilisation de vasopresseurs pour prévenir ou traiter une hypotension et le recours au remplissage vasculaire après l’induction étaient laissés au libre choix de l’opérateur.

Le critère de jugement principal était un critère composite appelé collapsus cardiovasculaire et comprenant au moins un des critères parmi :

  1. La mise en place ou l’augmentation de vasopresseurs (en bolus ou IVSE) entre l’induction et 2 minutes après l’intubation
  2. Une pression artérielle systolique inférieure ou égale à 65 mmHg entre l’induction et 2 minutes après l’intubation
  3. L’arrêt cardiaque entre l’induction et 1heure après l’intubation
  4. Le décès entre l’induction et 1h après l’intubation.

Le critère de jugement secondaire était le taux de décès dans les 28 jours avec comme censure la sortie d’hôpital.

Le calcul d’effectif a été revu à la hausse suite à l’analyse intermédiaires, après l’inclusion de 375 patients, le taux de collapsus cardiovasculaire étant plus faible qu’initialement prévu.

Résultats essentiels

1065 patients (42% de femmes) ont été inclus et analysés avec un âge médian de 62 ans (IQR 51-70 ans). L’insuffisance respiratoire aiguë était le motif principal de recours à l’intubation (60%). 20% des patients ont été traité avec des vasopresseurs et 10% ont reçu un remplissage vasculaire avant l’inclusion et la randomisation.

Les caractéristiques à l’inclusion étaient identiques entre les groupes intervention (n=538) et contrôle (n=527) notamment concernant les méthodes de préoxygénation, le choix des drogues d’induction, la pression artérielle systolique et la SpO2 à l’induction.

Environ 12% des patients ont reçu des vasopresseurs entre l’inclusion et l’induction en prévention d’une hypotension artérielle. 97% des patients ont été ventilés par pression positive entre l’induction et la laryngoscopie.

535 patients (99.4%) dans le groupe intervention et 6 patients (1.1%) dans le groupe contrôle ont reçu un remplissage vasculaire entre l’inclusion et l’induction.

Dans le bras interventionnel, le volume médian administré entre la randomisation et 2 minutes après l’intubation était de 500mL (IQR, 300-500 ml), la majorité du remplissage était administré avant l’induction (300 ml ; IQR 150 – 450 ml).

Cet essai n’a pas mis en évidence de différence concernant la survenue d’un collapsus cardiovasculaire (critère de jugement principal) (21% dans le groupe interventionnel vs 18.2% le groupe contrôle, différence absolue, 2.8%, IC 95% [-2.2% à 7.7%], p=0.25). Les auteurs n’ont pas relevé de différences concernant les autres critères de jugement principaux. Cependant, l’instauration (ou l’augmentation) de vasopresseurs était la complication la plus fréquente (20.6% dans le groupe interventionnel vs 17.6% dans le groupe contrôle) suivie par l’hypotension artérielle systolique (3.9% dans le groupe interventionnel vs 4.2% dans le groupe contrôle).

Les auteurs n’ont pas retrouvé de différence concernant le taux de mortalité à J28 entre le groupe intervention et le groupe contrôle (40.5% vs 42.3% respectivement (différence absolue, -1.8%, IC 95% [-7.9% à 4.3%], p=0.55)).

Commentaires

Le collapsus cardiovasculaire est une complication fréquente lors de l’intubation des patients de réanimation (jusqu’à 42%), due à l’hypovolémie, la vasoplégie secondaire à l’instauration des drogues d’induction et la diminution du retour veineux due à la pression positive sous ventilation mécanique[1, 2].

Les sociétés savantes conseillent de pratiquer une expansion volémique prudente avant l’intubation, cependant ni le moment adéquat, ni la quantité à administrer ne sont précisés[3, 4].

Cette étude prospective fait suite à un premier travail (étude PrePARE) qui se déroulait suivant le même schéma interventionnel lors de l’intubation en réanimation (administration de remplissage vasculaire avant induction ou absence de remplissage vasculaire). Dans cette première étude, aucune procédure n’était imposée durant la préoxygénation ou entre l’induction et la laryngoscopie. L’étude avait été arrêtée pour futilité. Cependant, l’analyse statistique avait révélé, dans le sous-groupe des patients ayant reçu une pression positive entre l’induction et la laryngoscopie, que le collapsus cardiovasculaire semblait être diminué après un remplissage vasculaire[5].

La même équipe avait par ailleurs, démontré les bénéfices d’utiliser la ventilation en pression positive entre l’induction et la laryngoscopie [6].

La ventilation en pression positive serait un facteur de diminution du retour veineux, les auteurs ont donc cherché à évaluer si le remplissage vasculaire avant intubation pourrait prévenir la survenue de complications cardiovasculaires dans ce groupe de patients.

Cette étude montre que l’administration d’un remplissage vasculaire avant l’induction d’anesthésie lors d’une intubation chez les patients sous ventilation positive entre l’induction et la laryngoscopie ne permet pas de prévenir la survenue de complications cardiovasculaires.

Points forts
  • Etude randomisée de grande envergure avec une procédure de ventilation standardisée et bien respectée entre l’induction et la laryngoscopie.
  • Respect de l’allocation du bras de traitement
  • Etude pragmatique avec des résultats généralisables
  • Equipe experte sur la question de la procédure d’intubation
Points faibles
  • Absence de standardisation concernant la procédure d’intubation, notamment les drogues d’anesthésie
  • Aucune donnée sur le niveau de pression positive administrée entre l’induction et la laryngoscopie
  • Aucune donnée sur les réglages ventilatoires après l’intubation (volume courant et PEEP)
  • Le recours ou l’augmentation des doses de vasopresseurs était l’élément le plus fréquent du critère de jugement principal composite. Ce critère reste relativement subjectif et donc discutable.

Le délai très court pour juger de la survenue d’un collapsus cardiovasculaire (jusqu’à 2 min après intubation)

Implications et conclusions

Le remplissage vasculaire avant induction ne permet pas de prévenir la survenue de complications cardiovasculaires liée à l’intubation en réanimation, y compris en cas de ventilation positive entre l’induction et la laryngoscopie.

Les complications cardiovasculaires lors d’une intubation en réanimation étant fréquentes, les études à venir devraient porter sur l’intérêt d’administrer des vasopresseurs de façon préventive avant l’induction et sur le choix des drogues à privilégier pour l’induction.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Mai-Anh Nay, Médecine Intensive Réanimation, CHR d’Orléans, France.

Les auteures déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (mai-anh.nay@chr-orleans.fr) et/ou à la CERC.

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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
S. BOURCIER
M. Arnaud BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
G. LABRO
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

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RÉFÉRENCES

  1. Russotto V, Myatra SN, Laffey JG, et al (2021) Intubation Practices and Adverse Peri-intubation Events in Critically Ill Patients From 29 Countries. JAMA 325:1164–1172. https://doi.org/10.1001/jama.2021.1727
  2. Jaber S, Jung B, Corne P, et al (2010) An intervention to decrease complications related to endotracheal intubation in the intensive care unit: a prospective, multiple-center study. Intensive Care Med 36:248–255. https://doi.org/10.1007/s00134-009-1717-8
  3. Quintard H, l’Her E, Pottecher J, et al (2019) Experts’ guidelines of intubation and extubation of the ICU patient of French Society of Anaesthesia and Intensive Care Medicine (SFAR) and French-speaking Intensive Care Society (SRLF) : In collaboration with the pediatric Association of French-speaking Anaesthetists and Intensivists (ADARPEF), French-speaking Group of Intensive Care and Paediatric emergencies (GFRUP) and Intensive Care physiotherapy society (SKR). Ann Intensive Care 9:13. https://doi.org/10.1186/s13613-019-0483-1
  4. Higgs A, McGrath BA, Goddard C, et al (2018) Guidelines for the management of tracheal intubation in critically ill adults. Br J Anaesth 120:323–352. https://doi.org/10.1016/j.bja.2017.10.021
  5. Janz DR, Casey JD, Semler MW, et al (2019) Effect of a fluid bolus on cardiovascular collapse among critically ill adults undergoing tracheal intubation (PrePARE): a randomised controlled trial. Lancet Respir Med 7:1039–1047. https://doi.org/10.1016/S2213-2600(19)30246-2
  6. Casey JD, Janz DR, Russell DW, et al (2019) Bag-Mask Ventilation during Tracheal Intubation of Critically Ill Adults. N Engl J Med 380:811–821. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1812405