Sauver la pénombre : une approche efficace pour les AVC ischémiques

04/07/2019
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Thrombectomy for stroke at 6 to 16 hours with selection by perfusion imaging
Albers GW, Marks MP, Kemp S, Christensen S, Tsai JP, Ortega-Gutierrez S, McTaggart RA, Torbey MT, Kim-Tenser M, Leslie-Mazwi T, Sarraj A, Kasner SE, Ansari SA, Yeatts SD, Hamilton S, Mlynash M, Heit JJ, Zaharchuk G, Kim S, Carrozzella J, Palesch YY, Demchuk AM, Bammer R, Lavori PW, Broderick JP, Lansberg MG; DEFUSE 3 Investigators.
N Engl J Med. 2018 Feb 22;378(8):708-718.

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Question évaluée

Des travaux récents ont montré l’efficacité clinique de la thrombectomie chez les patients présentant une occlusion artérielle cérébrale proximale (i.e. carotide interne ou premier segment de l’artère cérébrale moyenne), quand celle-ci était effectuée dans les 6 premières heures après le début des symptômes [1]. L’étude DEFUSE-3 a évalué les effets de ce geste thérapeutique de reperméabilisation vasculaire, chez des patients atteints d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique par occlusion artérielle cérébrale proximale, symptomatiques depuis plus longtemps (6 à 16 heures). Point important: tous les patients traités présentaient un profil de « mismatch » en IRM à leur admission (i.e. présence d’un volume plus important de tissu cérébral en situation d’ischémie réversible – pénombre – par rapport au volume de tissu cérébral définitivement infarci).

Type d’étude

Multicentrique. Prospective. Randomisée. Ouverte.

Population étudiée

Ont été inclus les patients présentant: (i) une occlusion artérielle cérébrale proximale et symptomatique depuis 6 à 16 heures, et (ii) un profil de « mismatch » en IRM avec un volume d’ischémique irréversible < 70 ml (séquences DWI) et un volume de tissu en situation d’ischémie réversible (i.e. pénombre ; séquences PWI) au moins 1.8 fois plus important que le volume cérébral infarci.

Méthode : Les patients inclus ont été randomisés (1:1 et stratifiés en fonction de l’âge, des centres, du volume d’ischémie irréversible, du délai entre le début de symptômes et du niveau d’atteinte fonctionnelle évaluée à l’aide du NIHSS score) en deux groupes : traitement « standard » en suivant les recommandations de l’AHA/ASA2 et traitement « thrombectomie » qui associait au précèdent un geste de récanalisation endovasculaire artériel. L’utilisation d’une anesthésie générale était déconseillée, de même que celle de la thrombolyse (t-PA) car les symptômes évoluaient depuis plus de 4.5 heures (entre 6 et 16 heures). Le critère de jugement principal était le niveau de dépendance fonctionnelle évalué de manière indépendante à 3 mois à l’aide du score de Rankin. Les critères de jugement secondaires ciblaient l’évaluation des données cliniques (mortalité à 3 mois, survenue d’un AVC hémorragique et scores de Rankin et NIHSS à 24 heures après la randomisation, à la sortie de l’hôpital et à 30 et 90 jours) et d’imagerie à 24 heures (volume d’ischémie irréversible, croissance du volume ischémique, reperfusion et recanalisation). Un plan d’analyse par enrichissement adaptatif était prévu (i.e. mise à jour au cours de l’étude des critères d’éligibilité) avec un nombre de sujets nécessaires estimé à 476 patients.

Résultats essentiels

• Au total, 182 patients ont été randomisés à partir d’un échantillon issu de 39 centres nord-américains.
• Le traitement « thrombectomie » comparé au traitement « standard » a été associé à une diminution significative du niveau de dépendance fonctionnelle à 3 mois (Score de Rankin de 0 à 6, OR = 2.77, p value < 0.001) avec une augmentation significative des patients indépendants (Score de Rankin de 0 à 2 ; différence absolue de 28% ; p value < 0.001).
• La mortalité à 3 mois était de 14% dans le groupe « thrombectomie » et de 26% dans le groupe « standard » (p value < 0.05) sans différence significative du taux de complications sévères dont la survenue d’un AVC hémorragique. • Taux de reperfusion et de recanalisation plus importants à 24 heures dans le groupe « thrombectomie » par rapport au groupe « standard » ( reperfusion > à 90%, OR = 4.39, p value < 0.001 ; recanalisation complète, OR = 4.31, p value < 0.001).

Points forts
  • Méthodologie adaptée.
  • Population et procédures de référence représentatives des pratiques et des recommandations actuelles2.
  • Cohérence des résultats cliniques et radiologiques : les diminutions du niveau de dépendance fonctionnelle (score de Rankin) et de déficit neurologique (score NIHSS) à 3 mois ont été accompagnées des taux de reperfusion et de recanalisation plus importants à 24 heures dans le groupe « thrombectomie » par rapport au groupe « standard ».
Points faibles
  • Interruption prématurée de l’étude. Suite à la publication de l’étude DAWN (ayant démontré l’efficacité de la thrombectomie artérielle réalisée dans les premières 24 heures de la survenue d’un AVC ischémique proximal avec une discordance clinico-radiologique) [2], l’étude DEFUSE-3 a été stoppée et une analyse intermédiaire a été effectuée.
  • Probable manque de puissance pour permettre certaines analyses en sous-groupes. A noter l’absence de différence significative au niveau des critères d’imagerie de perfusion (volume d’ischémie irréversible, croissance du volume ischémique) entre les deux groupes à 24 heures.
  • Faible utilisation de thrombolyse globale (t-PA), probablement en défaveur du groupe « standard ».
Implications et conclusions
  • Nouvelles recommandations : les résultats de cette étude, associés aux données de l’étude DAWN3, sont à l’origine d’une modification substantielle des recommandations concernant le délai d’instauration de la thrombectomie artérielle dans la prise en charge des AVC ischémiques proximaux (recommandations AHA/ASA 2018 : grade 1A) [3].
  • Du banc d’essai au chevet du malade (« bench to bedside »): ce travail contribue avec d’autres études récentes (EXTEND-IA, SWIFT PRIME) [4, 5] au transfert clinique réussi des connaissances fondamentales autour du concept de pénombre ischémique [6].
  • Un exemple à suivre : face à l’échec des nombreux grands essais interventionnels pour la prise en charge des patients cérébrolésés sévères en réanimation (e.g. traumatisme crânien, anoxo-ischémie) [7], l’utilisation des nouvelles techniques de neuroimagerie apparaît comme une voie prometteuse, pouvant permettre de : (i) prendre en compte de manière adapté l’importante hétérogénéité de ces modèles lésionnels et (ii) faciliter le développement d’approches thérapeutiques innovantes plus efficaces, au sein d’une démarche « médicale plus individualisée ».
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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Pr. Stein Silva, Réanimation URM, CHU de Purpan, 31300 Toulouse, France.

Stein Silva déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (silva.s@chu-toulouse.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Goyal M, Menon BK, van Zwam WH, et al. Endovascular thrombectomy after large-vessel ischaemic stroke: a meta-analysis of individual patient data from five randomised trials. Lancet 2016;387:1723-1731.
  2. Nogueira RG, Jadhav AP, Haussen DC, et al. Thrombectomy 6 to 24 Hours after Stroke with a Mismatch between Deficit and Infarct. N Engl J Med 2018;378:11-21.
  3. Powers WJ, Rabinstein AA, Ackerson T, et al. 2018 Guidelines for the Early Management of Patients With Acute Ischemic Stroke: A Guideline for Healthcare Professionals From the American Heart Association/American Stroke Association. Stroke 2018;49:e46-e110.
  4. Campbell BC, Mitchell PJ, Kleinig TJ, et al. Endovascular therapy for ischemic stroke with perfusion-imaging selection. N Engl J Med 2015;372:1009-1018.
  5. Saver JL, Goyal M, Bonafe A, et al. Stent-retriever thrombectomy after intravenous t-PA vs. t-PA alone in stroke. N Engl J Med 2015;372:2285-2295.
  6. Baron JC. Protecting the ischaemic penumbra as an adjunct to thrombectomy for acute stroke. Nat Rev Neurol 2018;14:325-337.
  7. Menon DK, Maas AI. Traumatic brain injury in 2014. Progress, failures and new approaches for TBI research. Nat Rev Neurol 2015;11:71-72.
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
S. HRAIECH
G. JACQ
JF. LLIJTOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX