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04/10/2024
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Cessation of Proton Pump Inhibitors in Critically Ill Patients Impacts Morbidity and Mortality: A Propensity Score-Matched Cohort Study

Palmowski L, von Busch A, Unterberg M, Bergmann L, Schmitz S, Schluter A, Peters J, Adamzik M, Rahmel T. Timely

Crit Care Med 2024;52:190-199.

Texte
Prophylaxie des ulcères de stress par les IPP : un traitement possiblement efficace mais surement pas aussi anodin que cela. *SUP : Stress Ulcer Prophylaxis
Question évaluée

La poursuite après la sortie de l’hôpital, des IPP instaurés en service de réanimation, est-elle associée à une augmentation de la morbi-mortalité et du taux de réhospitalisations ?

Type d’étude

Analyse rétrospective d’une cohorte nationale de 591207 patients, issus de la base de l’assurance maladie, hospitalisés en Allemagne entre janvier 2017 et décembre 2018, avec un suivi de deux ans.

Population étudiée

Inclusion de 11576 patients de soins critiques ayant reçu une prophylaxie de l’ulcère de stress par IPP pour la première fois durant leur séjour en réanimation sans indication à leur poursuite. Stratification de cette population en fonction de la poursuite ou non de ce traitement plus de 8 semaines après la sortie de l’hôpital.

Méthode

Extraction à partir de cette base d’assurance santé des différentes caractéristiques des patients, de leur traitement dont les IPP à distance de l’hospitalisation et des différents critères de jugement incluant :  1) le nombre d’effets secondaires liés aux IPP, 2) le taux d’hospitalisation à 1 an, 3) la mortalité à deux ans. Après appariement sur score de propension, et ajustement, évaluation de la survie par un modèle de survie de Cox, en fonction de la poursuite ou non des IPP après hospitalisation, alors même que ce traitement n’était pas justifié

Résultats essentiels

41,7 % des patients ayant reçu des IPP lors de leur séjour en réanimation verront ce traitement poursuivi après leur sortie de l’hôpital, en l’absence d’indication. Par rapport au groupe de patients, chez qui, ce traitement a été arrêté, le risque de survenue d’une pneumonie est augmenté (OR 1.27 ;95% [1.15-1.39] ; p<0.001) de même que le risque de survenue d’un évènement cardiovasculaire (OR 1.17 ;95% [1.08-1.261], p<0.001). Le risque de réhospitalisation à un an est accru (OR 1.34 ; 95% [1.23-1.47]. Le risque de mortalité à deux ans est majoré de 20% (OR 1.17 ;95% [1.08-11.27]).

Commentaires

Cette importante cohorte aborde un versant moins classique de la prévention de l’ulcère de stress par les IPP (1). En effet, ce travail explore une question pertinente, car si l’indication des IPP en réanimation, dans le cadre de la prévention de l’ulcère de stress, est toujours actuellement débattu, la poursuite de ce traitement au sortir de la réanimation et au terme du séjour hospitalier est la majeure partie du temps injustifiée et expose aux risques associés à ce traitement.

Points forts

Il s’agit d’une cohorte de très grande taille. Les résultats de cette étude rappellent que le traitement au long cours par IPP n’est pas anodin et que comme tout traitement médicamenteux, il expose à des complications spécifiques, souvent mal connues. Ce mésusage des IPP a d’autre part un coût financier. Cette analyse est donc plus que pertinente. La qualité du codage semble excellente car peu de dossiers ont été exclus pour données manquantes. Un premier résultat mérite d’emblée d’être souligné : 41.7% (4,825 of 11,576) des patients ayant reçu une prophylaxie de l’ulcère de stress pendant leur séjour en réanimation continuent à recevoir des IPP 8 semaines après leur sortie de réanimation. On ne peut que s’interroger sur la raison de la poursuite de ce traitement. Les taux de réhospitalisation dans l’année et de mortalité à deux ans sont aussi significativement plus élevés (+6% et 2% respectivement en valeur absolue) dans le groupe chez qui les IPP ont été poursuivis au-delà de 8 semaines après le séjour en réanimation. Il est inattendu, dans le cadre de la littérature sur l’efficacité des IPP de lire un graphique de survie de Kaplan Meier avec un HR qui démontre une mortalité significativement accrue à deux ans. Les auteurs observent aussi une augmentation significative de l’incidence de complications classiquement associées ou censées être associées à l’utilisation de la prévention de l’ulcère de stress par anti-acide, comme l’augmentation de la survenue des infections à Clostridium difficile et des infections pulmonaires. Une augmentation de 4% de complications cardiovasculaires est rapportée alors même que le contingent des patients recevant un traitement antiplaquettaire a été identifié et exclu du suivi car soumis à un traitement par IPP alors justifié. Une augmentation de 3% de l’incidence d’insuffisance rénale chronique est également rapportée. D’autres effets plus ou moins inattendus bien que classiques sont observés : carence en vitamine B 12, ostéoporose, déficit en magnésium, hypocalcémie avec là encore des incidences modestement mais significativement augmentées (2,3,4).

Points faibles

Le design du travail, correspondant à un suivi rétrospectif du traitement par IPP au-delà du séjour en réanimation à partir des données du codage, n’autorise pas (malgré l’utilisation d’un score de propension) à affirmer des relations de cause à effet mais autorise à mettre en évidence des associations. Certaines associations constatées méritent d’être soulignées. Quelques résultats peuvent cependant mettre en doute la pertinence de la question et la méthode avec laquelle les auteurs ont essayé d’y répondre. Ainsi la poursuite du traitement par IPP, considérée comme non justifiée, est significativement associée à un risque accru de survenue de cancer œsophagien, colique et pancréatique. Au-delà de l’impossibilité de vérifier la relation de cause à effet entre ces deux phénomènes, on peut imaginer que le traitement par IPP a été poursuivi pour soulager une symptomatologie douloureuse œsophagienne ou abdominale et n’est alors pas complètement injustifiée. La poursuite des IPP a été affirmée jusqu’à 8 semaines au-delà du séjour en réanimation et, pour 55% de ces patients, ce traitement était poursuivi jusqu’à un an, mais on ignore si ce traitement a été poursuivi au-delà. La méthodologie décrit l’utilisation d’un score de propension dont les résultats ne sont abordés que dans les suppléments.

Implications et conclusions

Malgré certaines faiblesses (dont le dessin rétrospectif…), ce travail explorant un collectif de taille significative a le grand mérite de rappeler que l’utilisation des IPP au sortir de la réanimation (où ils avaient été prescrits comme prophylaxie de l’ulcère de stress) expose à un taux non négligeable de complications variées attendues pour certaines (infection à Clostridium difficile, pneumonies…) inattendues pour d’autres (décès à deux ans, réhospitalisations… ) voire probablement totalement méconnues des réanimateurs pour les dernières (insuffisance rénale, complications métaboliques…)(3,4,5) . Il faut aussi garder à l’esprit le coût de la poursuite injustifiée des IPP au-delà du séjour en réanimation.

Ce travail est à mettre en perspective avec le dernier essai multicentrique randomisé publié par D Cook évaluant la prophylaxie de l’ulcère de stress par IPP chez les patients de réanimation traités par ventilation mécanique (6) et alimentant une énième méta analyse sur la question (7). D Cook et al observe une diminution de l’incidence des hémorragies cliniquement significatives sans effet sur la mortalité. L’effet est certes statistiquement significatif (incidence passant de 3,5% à 1%) mais 1) l’endoscopie digestive ne semble pas incontournable dans ce travail, 2) l’incidence de la transfusion (supérieure à 2 CG) est identique chez les patients du groupe IPP  79,8% vs 80% chez les patients du groupe placebo, enfin 3) l’origine du saignement est non identifiée, peu claire (unclear) chez 53,3 % du groupe placebo et 41,5 % du groupe IPP. La prophylaxie par IPP ne diminue donc pas la mortalité, ni le nombre de transfusions associées à une complication très rare, non mortelle et mal caractérisée. Cette stratégie est, en revanche, souvent associée à la poursuite au-delà du séjour en réanimation qui expose à des complications à mettre en balance avec un bénéfice plus qu’hypothétique.

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RÉFÉRENCES

  1. Palmowski L, von Busch A, Unterberg M, Bergmann L, Schmitz S, Schluter A, Peters J, Adamzik M, Rahmel T. Timely Cessation of Proton Pump Inhibitors in Critically Ill Patients Impacts Morbidity and Mortality: A Propensity Score-Matched Cohort Study. Crit Care Med 2024;52:190-199.
  2. Al-Aly Z, Maddukuri G, Xie Y .Proton pump inhibitors and the kidney: Implications of current evidence for clinical practice and when and how to deprescribe. Am J Kidney Dis. 2020 ;75:497-507
  3. Xie Y, Bowe B, Li T, Xian H, Yan Y, Al-Aly Z .Long-term kidney outcomes among users of proton pump inhibitors without intervening acute kidney injury. Kidney Int 2017; 91:1482-1494
  4. Bai AD, Wilkinson A, Almufleh A, Rai M, Razak F, Verma AA, Srivastava S. Ceftriaxone and the Risk of Ventricular Arrhythmia, Cardiac Arrest, and Death Among Patients Receiving Lansoprazole. JAMA NetwOpen 2023 6(10): e2339893.
  5. Bataille P, Lebrun-Vignes B, Tubach F, Aroux-Pavard M Philibert C, Chasset F Barbaud A  Proton Pump Inhibitors Associated With Drug-Induced Lupus Erythematosus . JAMA Dermatol 2022 ;158:1208-1210.
  6. Cook D, Deane A, Lauzier F et al Stress Ulcer Prophylaxis during Invasive Mechanical Ventilation. New Eng J Med 2024391:9-20.
  7. Wang Y, Parpia S, Ge L, et al. Proton pump inhibitors to prevent gastrointestinal bleeding — an updated meta-analysis. NEJM Evid 2024;3(7)
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Éric Maury, Médecine Intensive Réanimation, CHU Saint Antoine Sorbonne Université, France.

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

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