Troubles psychiatriques et traitements psychotropes avant et après la réanimation : l’état des liens

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Article ICM
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The 5-year pre- and post-hospitalization treated prevalence of mental disorders and psychotropic medication use in critically ill patients: a Canadian population-based study.
Olafson K, Marrie RA, Bolton JM, et al.
Intensive Care Med. 2021

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Question évaluée

Quelle est la prévalence des troubles mentaux et la consommation de médicaments psychotropes des patients avant et après leur hospitalisation en réanimation ?

Type d’étude

Étude de cohorte rétrospective sur base de données administrative.

Population étudiée

Trois cohortes sont comparées dans la province du Manitoba au Canada entre 2000 et 2012,  où 98% de la population est affiliée à un système universel et public de soins dont les données administratives ont été évaluées : 49 439 patients hospitalisés en réanimation; 146 968 patients hospitalisés sans passage par la réanimation ; 141 937 personnes non hospitalisées.

Méthode

Comparaison entre les 3 populations de la prévalence des troubles mentaux et de l'utilisation de médicaments psychotropes sur une période de 10 ans – 5 années précédant l’hospitalisation et 5 années suivant l’hospitalisation.

Les auteurs ont identifié les troubles en utilisant les définitions de la base de données de la province de Manitoba au Canada - basées sur l'identification de tous les diagnostics de troubles mentaux identifiés par tout médecin prestataire (soins primaires et spécialistes) en milieu hospitalier et en consultation externe : troubles de la personnalité, troubles de l'humeur, troubles anxieux, addictions, troubles psychotiques, et un composite de n'importe lequel de ces troubles mentaux.

Les auteurs ont également examiné les données de prescription des personnes inclues, en identifiant l'ensemble des médicaments psychotropes délivrés pour chaque participant à l'étude dans les 5 années précédant et suivant leur date d'indexation.

Les médicaments ont été classés dans les catégories suivantes : antidépresseurs, anxiolytiques, sédatifs et hypnotiques, antipsychotiques, lithium et stimulants en utilisant la classification de l'Organisation mondiale de la santé (OMS).

Résultats essentiels

La prévalence des troubles mentaux traités sur 5 ans dans la population de réanimation est passée de 41,5 % avant l'hospitalisation à 55,6 % après l'hospitalisation (respectivement 43% et 54% chez les patients hospitalisés hors réanimation et 28.8% et 36.5% chez les personnes non hospitalisées).

Comparés aux patients hospitalisés hors réanimation, la prévalence ajustée des troubles mentaux traités chez les patients de réanimation était plus faible avant l'hospitalisation  (taux de prévalence ajusté un an avant 0.94 intervalle de confiance 95% [0.92-0.97], cinq ans avant 0.99 [0.97-1]) mais plus élevé après la sortie de l'hôpital (taux de prévalence ajusté un an après 1.08 [1.05-1.11], cinq ans après 1.03 [1.01-1.05]), avec une interaction significative entre le type d’hospitalisation et la période de temps (aussi bien à 1 an qu’à 5 ans, p<0.001).

Une proportion élevée de patients de réanimation a reçu des prescriptions d'antidépresseurs, d'anxiolytiques et de sédatifs-hypnotiques avant et après leur hospitalisation.

L’analyse multivariée montre que l’hospitalisation en réanimation est associée à une augmentation des troubles de l'humeur, de l'anxiété et des troubles psychotiques, ainsi que de la consommation de sédatifs-hypnotiques jusqu’à 5 ans au décours du séjour en réanimation par rapport à la population des patients hospitalisés hors réanimation.

Commentaires

Cette étude confirme que survivre à une maladie grave est associée à des effets négatifs sur la santé mentale – aussi appelé le « syndrome post-réanimation » (1), qui associe des troubles physiques, cognitifs et psychiques. De nombreuses études ont également montré une prévalence importante des symptômes anxieux, dépressifs et de stress post traumatiques (2), et montré que la présence d’un trouble dépressif augmente la mortalité dans les deux ans après le séjour en réanimation (3).

Si pendant longtemps l’attention a porté sur le rétablissement physique et fonctionnel des patients de réanimation, aujourd’hui le rétablissement psychique prend une place plus importante. La compréhension de l’association entre la maladie grave (prise en charge en réanimation) et la morbidité psychiatrique (4) est une étape clé dans le développement d'interventions visant à améliorer la prise en charge des patients de réanimation, à la fois pendant mais aussi après le séjour en réanimation.

De manière intéressante, cette étude montre qu’il y a aussi une prévalence accrue de troubles mentaux avant la maladie grave nécessitant une hospitalisation – une donnée forte pour mieux appréhender la trajectoire de ces patients et le développement des troubles psychiques à moyen et long terme.

Points forts
  • Nombre de patient et exhaustivité de la base de données
  • Méthodologie statistique robuste
  • Étude menée sur 12 ans permettant un suivi de longue durée (5 ans avant et après l’hospitalisation)
  • Étude conjointe des différents troubles mentaux
Points faibles
  • Les auteurs n’ont pas examiné la mortalité / survie des patients ayant des troubles mentaux avant l’hospitalisation (ce sera sans doute l’objet d’une une prochaine publication sur la même base de données).
  • Le syndrome de stress post traumatique n’a pas été individualisé dans les diagnostics (classifié dans les troubles anxieux ou de l’humeur), alors qu’il est le trouble le plus fréquent identifié dans les études dédiées, et que cela empêche une comparaison avec les études historiques.
  • Utilisation d’une base de données administratives
  • Absence de standardisation des diagnostics psychiatriques
Implications et conclusions

Cette étude confirme, grâce à une base de données très exhaustive, qu’une hospitalisation en réanimation est associée à un plus mauvais pronostic en termes de santé mentale qu’une hospitalisation hors réanimation ou qu’une absence d’hospitalisation.

La question majeure qui découle de ce papier est le suivi des patients après un séjour en réanimation. Quel est leur accès aux soins, et comment l’améliorer ? Bien que les consultations post-réanimation se développent, elles restent encore trop marginales (5,6). Les soignants de réanimation ne connaissent souvent pas le devenir de leurs patients et les services d’aval, y compris en dehors de l’hôpital et la médecine générale, n’ont pas toujours conscience des impacts potentiels d’un séjour en réanimation sur la santé mentale des patients. De plus, se pose la question du vécu de leurs proches : ont-ils conscience de la vulnérabilité du patient ? Comment peuvent-ils faire face à cette situation alors qu’ils sont eux-mêmes vulnérables et à risque de développer un syndrome post-réanimation ? (7). Cette étude remarquable apporte une pierre essentielle dans la construction d’une interdisciplinarité entre la réanimation et la psychiatrie.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Nancy Kentish-Barnes, Sociologue, et Frédéric Pochard, Psychiatre, Groupe de recherche Famiréa, APHP, Hôpital Saint Louis, Paris.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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Références

  1. Patient and Family Post-Intensive Care Syndrome.
    Davidson JE, Harvey MA.
    AACN Adv Crit Care. 2016 Apr-Jun;27(2):184-6.
  2. Post-traumatic stress disorder and post-traumatic stress symptoms following critical illness in medical intensive care unit patients: Assessing the magnitude of the problem.
    Jackson JC, Hart RP, Gordon SM, et al.
    Crit Care. 2007;11:R27.
  3. Anxiety, Depression and Post Traumatic Stress Disorder after critical illness: a UK-wide prospective cohort study.
    Hatch R, Young D, Barber V, Griffiths J, Harrison DA, Watkinson P.
    Crit Care. 2018 Nov 23;22(1):310.
  4. Chicken or the egg? Critical illness and mental health.
    Weiss B, Prince E.
    Intensive Care Med. 2021 Dec;47(12):1478-1480.
  5. Recovery, rehabilitation and follow-up services following critical illness: an updated UK national cross-sectional survey and progress report.
    Connolly B, Milton-Cole R, Adams C, at al.
    BMJ Open. 2021 Oct 4;11(10):e052214.
  6. Implementation of an ICU Recovery Clinic at a Tertiary Care Academic Center.
    Bakhru RN, Davidson JF, Bookstaver RE, et al.
    Crit Care Explor. 2019 Aug 9;1(8):e0034.
  7. Patients' and Their Caregivers' Interest in Learning About Post-ICU Syndrome and Seeking Help for It.
    Weinhouse GL, Salomon S, Nisotel L, et al.
    2020 Nov 23;2(12):e0285.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI