Y-a-t-il une alternative thérapeutique à la transplantation hépatique en cas d’hépatite alcoolique aiguë sévère corticorésistante ?

01/10/2020
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Article Hepatology
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Efficacy of Granulocyte Colony-stimulating Factor in the Management of Steroid-Nonresponsive Severe Alcoholic Hepatitis: A Double-Blind Randomized Controlled Trial.
Shasthry SM, Sharma MK, Shasthry V, Pande A, Sarin SK.
Hepatology. 2019 Sep;70(3):802-811. doi: 10.1002/hep.30516. Epub 2019 Mar 25. PMID: 30664267.

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Question évaluée

Intérêt du G-CSF en cas d’hépatite alcoolique aiguë (HAA) sévère cortico-résistante ?

Type d’étude

Etude monocentrique, randomisée en double aveugle contre placebo

Population étudiée

Patients de plus de 18 ans, avec :

  1. Une HAA sévère, définie par un score de Maddrey > 32
  2. Une histologie hépatique confirmant l’HAA
  3. Une « non-réponse » après 7 jours de corticoïdes, définie par score de Lille > 0,45

Critères d’exclusion avant la mise sous corticoïde :

  • Infection prouvée ou suspectée, antécédent ou présence d’une tuberculose
  • Infection chronique virale B ou C
  • Hémorragie digestive dans les 5 jours précédents
  • Diabète non contrôlé
  • Altération de la fonction rénale (créatininémie > 88 µmol/L)

Critères d’exclusion des « non-répondeurs » à la corticothérapie à J7 :

  • Patient nécessitant de soins intensifs, quelle que soit la raison
  • Encéphalopathie hépatique de grade 3 ou 4
  • Infection en cours
  • Hémorragie digestive
  • Créatininémie > 133 µmol/L ou présence d’une AKI
  • Antécédent d’hypersensibilité au G-CSF
Méthode

Traitement par corticoïdes de tous les patients ayant une HAA sévère prouvée histologiquement  entre mars 2013 et juin 2016:

  • Prednisolone 40 mg/j pendant 7 jours.
  • Calcul du score de Lille au 7ème jour :
    • les patients « répondeurs » (score de Lille ≤ 0,45) poursuivent la corticothérapie pendant 4 semaines à la même dose puis une décroissance des doses sur deux semaines jusqu’à l’arrêt.
    • les patients « non-répondeurs » à la corticothérapie sont éligibles à une randomisation (ratio 1 :1) en deux groupes : un groupe 1 (Gp 1) traité par G-CSF et un groupe 2 (Gp 2) par placebo (sérum physiologique).

Randomisation dans les 48-72 heures suivant le diagnostic de non-réponse à la corticothérapie :

  • 56 patients non-répondeurs à la corticothérapie était souhaités, soit 28 patients par groupe.
  • Randomisation en double aveugle avec des seringues pré-remplies de G-CSF ou de sérum physiologique.
  • Le Gp 1 recevait 5 µg/kg/jr de G-CSF (maximum 300 µg/jr) SC pendant 5 jrs, puis tous les 3 jrs pdt 4 semaines (12 doses au total), et le Gp 2 recevait du sérum physiologique.
  • Les apports nutritionnels étaient contrôlés par un diététicien un total de 35 kcal/kg/jr et 1,2 g de protéines/kg/jr
  • La dose du médicament étudié était diminuée si la leucocytose dépassait 40000/mm3.
  • Les patients étaient hospitalisés au moins les 5 premiers jours puis était suivis toutes les semaines pendant 1 mois puis tous les 15 jours jusqu’à 3 mois.
Critères de jugement
  • Le critère principal de jugement était la survie à 28 jours
  • Les critères de jugement secondaires étaient la survie à 90 jours, la variation des scores MELD et Child-Pugh au cours des 3 mois de suivi
Résultats essentiels
  • 132 patients ayant une HAA sévère ont reçu une corticothérapie et 33 patients (25%) étaient non-répondeurs. Cinq patients n’étaient pas éligibles à la randomisation, si bien que seulement 28 patients non-répondeurs (score de Lille moyen à 0,68±0,2) ont été randomisés.
  • Il s’agissait de 27 hommes, l’âge moyen était de 40 ans, et les scores de Child-Pugh et MELD étaient respectivement de 10,8±1,2 et de 26,2±4,3. Les données clinico-biologiques initiales étaient similaires dans les deux groupes traités.
  • La survie à 28 jours ne différait pas significativement entre les deux groupes (Gp 1 vs Gp2 : 78,6% vs71,4% ; p=0,69)
  • Le bénéfice de survie à 90 jours était significatif pour les patients du Gp1 (64,3% vs28,6% ; p=0,04)
  • En analyse post-hoc, le différentiel de survie à 6 mois était toujours en faveur du Gp 1 (57,1% vs28,6% ; p=0,04)
  • Le taux d’infection était plus faible dans le groupe G-CSF (28 % vs71 % ; p<0,001).
  • A l’inverse des patients sous placebo, les scores de Child-Pugh (10,9±1,2 à 10,2±1,5 ; p=0,67) et de MELD (24,3±3,9 à 19,4±3,7 ; p=0,02) s’amélioraient après 3 mois de traitement
  • En analyse de Cox univariée, seule la fonction rénale (créatinine) et l’utilisation de G-CSF prédisait la survie à 3 mois
  • Il n’y a pas eu d’effets indésirables graves inattendus. Deux patients ont stoppé le G-CSF car les leucocytes étaient supérieurs à 40000/mm3et un patient a ressenti de fortes douleurs osseuses nécessitant une réduction des doses et de la fréquence des injections.
Commentaires

L’HAA est caractérisée par un ictère récent (< 3 mois) chez un patient ayant une consommation prolongée et excessive d’alcool et l’HAA est dite « sévère » lorsque le score de Maddrey est ≥ 32 [1]. L’HAA sévère non traitée est associée à une mortalité à 28 jours de 30 à 50 % [1]. Actuellement, seuls les corticoïdes (associés ou non à la N-acétylcystéine) améliorent la survie à court terme [1,2], mais ils ne peuvent être considérés comme un traitement idéal car : 1) ils peuvent augmenter le risque d’infections bactériennes, 2) près de 35 % des patients sont considérés comme des non-répondeurs et 3) la mortalité à court terme chez les patients traités reste élevée (20%). Pour les patients non-répondeurs aux corticoïdes, la transplantation hépatique (TH) précoce offre d’excellents résultats chez des patients soigneusement sélectionnés [3], mais le recours à la TH dans cette indication reste hétérogène parmi les centres de transplantation et soulève un problème éthique dans de nombreux pays. L’utilisation de facteurs de croissance, comme le G-CSF, dans l’HAA est une option thérapeutique intéressante, non seulement pour tenter de restaurer la fonction hépatique mais aussi pour améliorer la fonction des neutrophiles et ainsi réduire le risque de sepsis et de décompensation hépatique [4].Les capacités régénérativesdu pool hépatocytaire résiduel sont vite dépassées en cas d’agression massive du foie, comme c’est le cas dans l’HAA sévère. Les cellules souches de la moelle osseuse (CSMO), mobilisées par le G-CSF, peuvent atteindre le parenchyme hépatique via la circulation systémique et participer à la régénération hépatique [5].Dans l’étude de Shasthry et al. commentée ici, la non-amélioration de la survie à 28 jours pourrait être lié à l’effet retardé du G-CSF pour restaurer la fonction hépatique. Le point limitant majeur est le faible effectif de cette étude, de surcroît monocentrique.Pour tenter de palier à cet écueil, un large essai multicentrique coréen [6]a été initié pour évaluer l’efficacité du G-CSF chez des patients ayant une HAA sévère « répondeurs partiels » ou « répondeurs nuls ». Plusieurs essais cliniques utilisant le G-CSF seul ou combiné avec la N-acétylcystéine dans l’HAA sont actuellement en cours dans l’espoir de fournir des réponses plus robustes que les essais actuellement disponibles [7]. L’innocuité du G-CSF devra aussi être confirmée car les résultats intérimaires d’un large essai allemand chez des patients ayant une cirrhose avec défaillance d’organes rapportaient davantage d’effets secondaires sévères sous G-CSFsi bien que cet essai a été interrompu prématurément[8].

Points forts
  • Etude randomisée en double aveugle contre placebo
Points faibles
  • Absence d’amélioration de la survie à 28 jours
  • Etude monocentrique de faible effectif (14 patients par bras seulement)
Implications et conclusions

Il n’existe pas de traitement médical de secourspour les patients avec une HAA sévère et non répondeurs aux corticoïdes. La transplantation hépatique est un traitement efficace mais demeure encore peu accessible pour cette catégorie de patients (pénurie de greffons, coût, problème éthique). L’utilisation du G-CSF dans ce contexte apparaît donc comme une alternative séduisante.

Cependant, des études complémentaires de plus grande envergure sont nécessaires pour conforter l’innocuité et les bons résultats affichés de cette étude incluant des patients avec une HAA sévère et une corticorésistance.

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LIENS UTILES

  1. EASL Clinical Practice Guidelines: Management of alcohol-related liver disease. J Hepatol 2018 ; 69 : 154-181.
  2. Nguyen-Khac E, Thevenot T, Piquet MA, et al. Glucocorticoids plus N-acetylcysteine in severe alcoholic hepatitis. N Engl J Med 2011; 365:1781-9.
  3. Mathurin P, Moreno C, Samuel D, et al. Early liver transplantation for severe alcoholic hepatitis. N Engl J Med 2011;365: 1790-1800.
  4. Moreau R, Rautou PE. G-CSF therapy for severe alcoholic hepatitis: targeting liver regeneration or neutrophil function? Am J Gastroenterol 2014 ; 109 : 1424-26.
  5. Pureur D, Merlen G, Weil-Verhoeven D, et al. Utilisation des facteurs de croissance dans les maladies hépatiques. Hepato-Gastro et Oncologie digestive 2020 ; 27 : 278-286.
  6. Cho Y, Park YS, Kim HY, et al Efficacy of granulocyte colony stimulating factor in patients with severe alcoholic hepatitis with partial or null response to steroid (GRACIAH trial): study protocol for a randomized controlled trial. Trials 2018 ; 19 : 696.
  7. Vergis N, Atkinson SR, Thursz MR. The future of therapy for alcoholic hepatitis – Beyond corticosteroids. J Hepatol 2019 ; 70 : 785-87.
  8. Engelmann C, Herber A, Bruns T, et al. Granulocyte-colony stimulating factor (G-CSF) to treat acute-on-chronic liver failure (GRAFT trial): interim analysis of the first randomized European multicenter trial. Hepatology 2019 ; 70 (Suppl 1) : A17.
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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Thierry Thévenot, Service d’Hépatologie et de Soins Intensifs Digestifs, hôpital Jean Minjoz, 25000 Besançon.

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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX