Céfidérocol dans les infections à BGN résistants aux carbapénèmes : beaucoup d'attentes... et un peu de déception !

27/05/2021
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Article Lancet
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Efficacy and safety of cefiderocol or best available therapy for the treatment of serious infections caused by carbapenem-resistant Gram-negative bacteria (CREDIBLE-CR): a randomised, open-label, multicenter, pathogen-focused, descriptive, phase 3 trial
Bassetti et al.
Lancet Infect Dis 2020 (e-pub)

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Question évaluée

Le céfidérocol, une nouvelle céphalosporine sidérophore, est-il plus efficace que le meilleur traitement disponible (MTD) dans les infections à bacilles à Gram négatif résistants aux carbapénèmes (BGN-RC) ?

Type d’étude

Essai multicentrique, international, randomisé, en ouvert, conçu et financé par la firme pharmaceutique produisant le céfidérocol.

Population étudiée
  • Patients adultes présentant une pneumonie nosocomiale, une infection urinaire compliquée (IUc), une bactériémie ou un sepsis (secondaire à une source autre qu’urinaire ou pulmonaire) documenté(e) à BGN-RC (essai pathogène-ciblé).
  • Principaux critères de non-inclusion : administration d’une antibiothérapie active sur le pathogène dans les 72 heures précédentes, score APACHE II>30 points (mortalité prédite >70%) et « choc réfractaire » (défini dans le protocole de l’étude comme la non-réponse au remplissage vasculaire, sans notion de lactatémie ni de recours aux catécholamines).
Méthodes
  • Randomisation 2:1 (avec stratification sur sites d’infection, score APACHE II et zone géographique) dans le bras céfidérocol [2 grammes toutes les 8 heures, posologie réduite en cas d’insuffisance rénale et augmentée à 2 grammes toutes les 6 heures si clairance de la créatinine >120 mL/min, perfusion sur 3 heures, en monothérapie ou en association avec un seul autre antibiotique (hors polymyxines, céphalosporines et carbapénèmes) sur décision de l’investigateur local] ou dans le bras MTD (un à trois antibiotiques, sur décision de l’investigateur).
  • Durée de traitement recommandée dans les 2 bras : 7 à 14 jours (au minimum 5 jours pour les IUc), avec extension possible à 21 jours sur décision de l’investigateur.
  • Critère de jugement principal : guérison clinique à la visite test-of-cure (ToC, 5 à 9 jours après l’arrêt du traitement) pour les infections hors IUc, et éradication microbiologique à la visite ToC pour les IUc.
  • Principaux critères de jugement secondaires : réponse clinique et éradication microbiologique à la fin du traitement, à J14 et J28, et mortalité toute cause à J14 et J28.
  • La tolérance du traitement (safetyanalysis) a été évaluée dans les 2 bras.
  • Les analyses étaient purement descriptives, sans comparaison statistique.
Résultats essentiels
  • 152 patients ont été inclus, parmi lesquels 150 (101 dans le bras céfidérocol, 49 dans le bras MTD) ont reçu au moins une dose du traitement de l’étude et ont été retenus pour l’analyse en intention de traiter et l’évaluation de la tolérance. Les sites infectés (pneumonies nosocomiales 45% dont PAVM 25%, bactériémies 31%, IUc 24%), la distribution des BNG-CR (principalement A. baumannii 46%, K. pneumoniae 33% et P. aeruginosa 19%, CMI90 de céfidérocol mesurées respectivement à 1 mg/l, 4 mg/l et 2 mg/l), le score APACHE II à l’inclusion (>15 points pour 45% des patients inclus), et les proportions de patients ventilés (51%) et immunodéprimés (25%) étaient similaires dans les 2 bras. Les patients âgés ≥65 ans (73% versus 45%), hospitalisés en réanimation (56% versus 43%) et en « état de choc » à l’inclusion (19% versus 12%) étaient plus nombreux dans le bras céfidérocol que dans le bras MTD. Dans le bras céfidérocol, 85% des patients ont été traités en monothérapie (bithérapie pour 15%, essentiellement avec tigécycline ou fosfomycine). Dans le bras MTD, 61% des patients ont reçu un traitement basé sur la colistine [en association avec un ou deux autre(s) antibiotique(s) pour 45%]. Les durées médianes (intervalle interquartile) de traitement dans les bras céfidérocol et MTD étaient respectivement de 11 (8-14) et 13 (10-15) jours pour les patients avec pneumonie ou bactériémie, et de 10,5 (8-15) et 6,5 (6-11) jours pour ceux avecIUc.
  • Globalement, les taux de guérison clinique étaient similaires dans les bras céfidérocol et MTD à la visite ToC (53% versus 50%), notamment pour les patients avec pneumonie (50% versus 53%). Les taux d’éradication microbienne (31% versus 24% pour le bras MTD) et de rechute (3% versus 11% pour le bras MTD) étaient respectivement supérieurs et inférieurs en valeurs numériques dans le bras céfidérocol.
  • Dans les infections à BGN producteurs de métallo-β-lactamase, les taux de guérison clinique à la visite ToC étaient de 75% dans le bras céfidérocol (n = 16) et 29% dans le bras MTD (n = 7).
  • Point essentiel, la mortalité toute cause était numériquement supérieure dans le bras céfidérocol à J14 (19% versus 12%), à J28 (25% versus 18%) et à la fin de l’étude (34% versus 18%). Cette surmortalité dans le bras céfidérocol, sans facteur prédictif à l’inclusion identifiable par régression logistique multivariée, était essentiellement expliquée par les infections à A. baumannii (mortalité à 49% dans le bras céfidérocol versus 18% dans le bras MTD). Les taux de mortalité étaient similaires dans les 2 bras pour les infections à P. aeruginosa et K. pneumoniae. Seuls 5 patients avec infection à S. maltophilia ont été inclus, tous randomisés dans le bras céfidérocol : 4 d’entre eux sont décédés.
  • Dans une analyse post-hoc sur les patients évaluables (ré-isolement du BNG-CR initial sous ou après traitement), une élévation de la CMI du céfidérocol ne dépassant pas le seuil de sensibilité a été constatée chez 15% des patients traités avec cette molécule alors qu’une élévation de la CMI d’au moins un des antibiotiques administrés a été observée chez 13% des patients du bras MTD, la CMI devenant supérieure au seuil de sensibilité pour toutes les souches concernées.
  • Il n’a pas été constaté de différence probante entre les 2 bras sur la fréquence des effets indésirables. La survenue d’une défaillance rénale attribuée au traitement de l’étude a été rapportée chez 8% des patients du bras MTD (versus aucun dans le bras céfidérocol).
Commentaires

La résistance aux carbapénèmes chez les BGN responsables d’infection nosocomiale est une problématique globale.1 Le céfidérocol est une nouvelle céphalosporine sidérophore internalisée par la cellule bactérienne via les systèmes de transport transmembranaire du fer, donc sans résistance conférée par des mutations chromosomiques modifiant l’expression de certaines pompes à efflux ou la structure des porines de la membrane externe (imperméabilité), deux mécanismes de résistance fréquents chez les BGN multi-résistants.2 Cette molécule est par ailleurs stable vis-à-vis de l’action hydrolytique des β-lactamases produites par les BGN – y compris les métallo-β-lactamases, insensibles aux nouvelles associations β-lactamine/inhibiteur de β-lactamase.2 Ces propriétés font du céfidérocol une alternative potentiellement intéressante aux molécules disponibles (notamment les polymyxines, en monothérapie ou en association) pour le traitement des infections à BGN-RC, en particulier les entérobactéries productrices de carbapénémase (EPC), S. maltophilia (espèce naturellement résistante aux carbapénèmes par expression d’une métallo-β-lactamase chromosomique), et les souches RC de P. aeruginosa et d’A. baumannii. La molécule est en effet active in vitro (seuil de CMI à 4 mg/l) sur ≥97% des souches de BGN-RC isolées de prélèvements cliniques dans des réseaux de surveillance internationaux.3 Deux essais randomisés ont démontré une efficacité comparable du céfidérocol versus carbapèmes dans le traitement des IUc et des pneumonies nosocomiales à BGN.4,5 Cependant, il n’y avait pas de donnée disponible sur l’efficacité de cette molécule dans les infections à BGN-RC. L’étude CREDIBLE-CR était donc très attendue.

Points forts
  • Première étude randomisée évaluant le céfidérocol dans son indication théorique principale, à savoir les infections à BGN-RC.
  • Design pragmatique.
  • Population étudiée pertinente pour les réanimateurs (hospitalisation en unité de soins intensifs et ventilation mécanique pour environ 50% des patients inclus).
Points faibles
  • Résultats présentés de façon purement descriptive (pas de calcul d’effectif, aucune comparaison statistique sur les critères de jugement principal et secondaires).
  • Inclusion uniquement sur infections documentées à BGN-RC, donc pas d’évaluation de la molécule dans le cadre d’un traitement probabiliste, à la phase initiale de l’infection.
  • La majorité des EPC n’étaient pas productrices de métallo-β-lactamases : ces souches étaient probablement productrices de carbapénémases de classe A (KPC) ou D (OXA-48 et enzymes apparentées). Une comparaison du céfidérocol avec les autres nouvelles options disponibles (associations β-lactamine/inhibiteur de β-lactamase – exemple : ceftazidime-avibactam) aurait été instructive.
  • Pas de comparaison versus aztréonam-avibactam dans les infections à entérobactéries productrices de métallo-β-lactamase.
  • Association céfidérocol/polymyxine non autorisée par le protocole de l’étude, donc non évaluée versus polymyxines seules.
  • Nombre très limité d’infections à S. maltophilia.
Implications et conclusions

Compte-tenu des attentes majeures vis-à-vis de cette molécule, les résultats de l’essai CREDIBLE-CR sont relativement décevants : le céfidérocol est aussi efficace – mais pas plus efficace – que le MTD dans les pneumonies et les bactériémies à entérobactéries et P. aeruginosaCR. Cette étude suggère un bénéfice du céfidérocol dans les infections à BGN producteurs de métallo-β-lactamase : l’effectif de patients concernés étant restreint, ce point reste cependant à confirmer dans le cadre d’études plus larges. La surmortalité observée avec le céfidérocol n’autorise pas, dans l’état actuel des connaissances, à positionner la molécule en 1ère ligne dans les infections à A. baumannii CR. Enfin, le très faible nombre de patients avec infection à S. maltophiliane ne permet pas de définir la place du céfidérocol dans cette indication : les résultats de l’essai incitent cependant à la plus grande prudence (4 décès pour 5 patients traités par céfidérocol).

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr François Barbier, PH, MIR, CHR Orléans.

L'auteur déclare les liens d'intérêt suivants sur les 36 derniers mois : MSD et BioMérieux.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (francois.barbier@chr-orleans.fr) à la CERC.

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Références

  1. Timsit JF, Bassetti M, Cremer O, et al. Rationalizing antimicrobial therapy in the ICU: a narrative review. Intensive Care Med 2019; 45: 172-189
  2. KatsubeT, Echols R, Wajima T. Pharmacokinetic and pharmacodynamic profiles of cefiderocol, a novel siderophore cephalosporin. Clin Infect Dis 2019; 69(S7): S552-S558
  3. Kazmierczak KM, Tsuji M, Wise MG, et al. In vitro activity ofcefiderocol, a siderophore cephalosporin, against a recent collectionof clinically relevant carbapenem-non-susceptible Gram-negativebacilli, including serine carbapenemase- and metallo-β-lactamase-producingisolates (SIDERO-WT-2014 Study).Int J Antimicrob Agents 2019; 53: 177-84
  4. Portsmouth S, van Veenhuyzen D, Echols R, et al. Cefiderocol versusimipenem–cilastatin for the treatment of complicated urinary tractinfections caused by Gram-negative uropathogens: a phase 2, randomised,double-blind, non-inferiority trial. Lancet Infect Dis 2018; 18: 1319-28
  5. Wunderink RG, Matsunaga Y, Ariyasu M, et al. Cefiderocol versus highdose,extended-infusion meropenem for the treatment of Gram-negativenosocomial pneumonia (APEKS-NP): a randomised,double-blind, phase 3, non-inferiority trial. Lancet Infect Dis 2020;published online Oct 12. https://doi.org/10.1016/ S1473-3099(20)30731-3
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON