Hé ! ho ! Hé ! ho ! Une mine d’infos nommée « REO » sur les éosinophilies en réanimation !

28/12/2023
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Texte

Epidemiology, clinical presentation, and outcomes of 620 patients with eosinophilia in the intensive care unit.

Gaillet A, Bay P, Peju E, et al.

Intensive Care Med 2023; 49(3): 291-301.

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Question évaluée

Quels sont l’épidémiologie, la présentation clinique et le pronostic des éosinophilies ≥ 1 G/L en réanimation ?

Type d’étude

Etude de cohorte rétrospective multicentrique (14 services de réanimation en France). Etude « REO ».

Population étudiée

Patients adultes hospitalisés en réanimation, quel que soit le motif, et présentant une éosinophilie ≥ 1 G/L (établie sur deux NFS indépendantes) dans les 24h précédant l’admission en réanimation jusqu’à la fin du séjour.

Méthode

Deux sous-groupes sont définis a priori en fonction du timing de survenue de l’éosinophilie : éosinophilie survenue le jour de l’admission en réanimation ou durant les 24h précédentes (ICU-Eo1) ; éosinophilie survenue après le jour de l’admission en réanimation (ICU-Eo2).

Etude de l’association entre le timing (initial vs. différé) d’une part, et la survie, le diagnostic étiologique et les atteintes d’organes imputables à l’éosinophilie d’autre part.

Outcome
  • Mortalité à J60
  • Facteurs associés à la mortalité
  • Diagnostic étiologique retenu in fine (pneumopathies à éosinophiles, pathologies malignes, infections parasitaires, pathologies auto-immunes, causes médicamenteuses, autres)
  • Atteintes d’organes et complications imputables à l’éosinophilie (atteintes pulmonaires, cutanées, rénales, cardiovasculaires)
  • Traitements administrés
Résultats essentiels

Inclusion de 620 patients de réanimation ayant présenté une éosinophilie (≥1 G/L) sur deux numérations leucocytaires indépendantes, dans 14 centres français entre 2013 et 2018. 248 patients (40%) ont été inclus dans le groupe ICU-Eo1, et 348 patients (56%) dans le groupe ICU-Eo2, le timing n’étant pas connu pour 24 patients (4%).

Les causes médicamenteuses (hors DRESS) sont la 1ère cause d’éosinophilie modérée (<1,5 G/L) tandis que les éosinophilies massives (>5 G/L) sont principalement en lien avec des causes onco-hématologiques.

Dans le groupe ICU-Eo1, on retrouvait une étiologie en lien avec une pathologie maligne dans 25,8% des cas (dont un tiers de leucémies aiguës myéloïdes) ou avec une maladie respiratoire dans 14,9% des cas (l’asthme à éosinophiles et l’exacerbation de BPCO étant les causes les plus fréquentes). L’éosinophilie était considérée comme symptomatique dans 58,1% des patients du groupe ICU-Eo1, les atteintes organiques les plus fréquemment associées étant respiratoires et dermatologiques. A noter, la survenue d’une atteinte cardiaque dans 6% des cas. Les thromboses veineuses étaient plus fréquentes dans ce groupe (n = 10/13), toutes les thromboses artérielles (n = 8) et les accidents vasculaires cérébraux multifocaux étaient signalés dans ce groupe. Une corticothérapie était administrée dans 35,1% des cas.

Dans le groupe ICU-Eo2, l’étiologie médicamenteuse était prédominante (46,8%), les DRESS représentant un dixième des causes médicamenteuses (4,6%). Les antibiotiques étaient responsables à eux seuls de 76% des étiologies médicamenteuses. Seuls 25% des patients du groupe ICU-Eo2 présentaient des atteintes organiques imputables à l’éosinophilie (principalement dermatologiques).

La mortalité à J60 était de 21,4% et 17,2% (p = 0.22) dans les groupes ICU-Eo1 et ICU-Eo2, respectivement. En analyse multivariée, les facteurs associés à la mortalité à J60 dans le groupe ICU-Eo1 étaient la nécessité d’un traitement vasopresseur à l’admission en réanimation, la présence d’un traitement immunosuppresseur à l’admission en réanimation, ou l’origine onco-hématologique de l’éosinophilie ; tandis que l’âge, ainsi que le recours aux vasopresseurs ou à la ventilation mécanique au moment de la survenue de l’éosinophilie étaient associés à la mortalité dans le groupe ICU-Eo2.

Commentaires

Chez les patients présentant une éosinophilie (1) en réanimation, cette étude rétrospective met en évidence deux groupes de patients différents, présentant une éosinophilie initiale versus différée.

En plus de souligner des étiologies différentes (pathologies malignes et respiratoires dans les éosinophilies précoces versus causes médicamenteuses dans les éosinophilies différées), cette étude met en évidence une proportion plus élevée d’atteintes d’organes (notamment respiratoires) en lien avec l’éosinophilie dans le groupe précoce (2, 3).

L’étude ne permet pas, compte tenu de son caractère rétrospectif, de déterminer la chronologie entre la survenue de l’éosinophilie et les atteintes d’organes, en particulier dans les éosinophilies initiales. Cette question est prégnante notamment pour les atteintes pulmonaires, dans lesquelles l’imputabilité (cause ou conséquence de l’éosinophilie) ne peut être établie (4).

Néanmoins, dans un esprit pragmatique et devant une problématique courante « au lit du malade » en réanimation (éosinophilie), ce constat amène les auteurs à dépasser la question de l’imputabilité et à proposer un algorithme de prise en charge diagnostique et thérapeutique (1, 5). On peut notamment retenir de cet avis d’experts la proposition de débuter en urgence une corticothérapie, un traitement antiparasitaire (ivermectine au minimum), et de discuter une anticoagulation, en présence d’une éosinophilie compliquée d’atteinte viscérale mettant en jeu le pronostic vital. A compléter par un bilan étiologique, bien entendu !

Points forts
  • Etude portant sur une problématique assez courante en réanimation
  • Effectif important au vu du problème étudié (n=620, soit 0,9% des 66040 patients admis sur la période d’inclusion)
  • Eléments d’orientation diagnostique en fonction du caractère initial ou différé par rapport à l’admission en réanimation
  • Quantification des atteintes d’organes en lien avec l’éosinophilie
  • Proposition d’un algorithme de prise en charge diagnostique et thérapeutique
Points faibles
  • Caractère rétrospectif induisant un biais de confusion quant au diagnostic étiologique (bien souvent d’élimination) et quant aux atteintes d’organes imputables à l’éosinophilie, même si les critères choisis sont aussi bien décrits que possible, notamment dans les Supplementary materials
  • Le design de l’étude ne permet pas d’établir de façon certaine la chronologie de l’atteinte respiratoire (cause ou conséquence) par rapport à l’éosinophilie
  • Absence de réel comité d’adjudication quant au diagnostic étiologique de l’éosinophilie (remplacé par l’avis d’un expert dans le domaine, et d’un second expert en cas de doute)
  • Biais de sélection possible : absence de centres participants hors de France métropolitaine, et donc prévalence attendue comme plus faible concernant les causes parasitaires
  • Le screening ayant permis de retenir les 620 éosinophilies est peu détaillé et on ignore s’il s’agit d’une extraction automatisée à partir des serveurs de résultats de biologie (supposée plus exhaustive), d’un screening manuel, ou encore à partir des codages (avec risque de biais de sélection)
Implications et conclusions

Cette étude rétrospective donne des éléments diagnostiques en fonction du caractère initial ou différé des éosinophilies constatées en réanimation, avec évaluation des répercussions organiques potentielles, en particulier respiratoires.

Elle s’accompagne d’une proposition d’algorithme décisionnel, diagnostique et thérapeutique, sur avis d’experts.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Yonatan Perez et Raphaël Clere-Jehl, Médecine intensive – Réanimation, Hôpital de Hautepierre, Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, France.

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (yonatan.perez@chru-strasbourg.frraphael.clere@chru-strasbourg.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI