Utilisation de la terlipressine pour le traitement du syndrome hépato-rénal : « Yes, we can ! »

15/10/2021
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Terlipressin plus Albumin for the Treatment of Type 1 Hepatorenal Syndrome.
Wong F, Pappas SC, Curry MP, Reddy KR, Rubin RA, Porayko MK, Gonzalez SA, Mumtaz K, Lim N, Simonetto DA, Sharma P, Sanyal AJ, Mayo MJ, Frederick RT, Escalante S, Jamil K; CONFIRM Study Investigators.
N Engl J Med. 2021;384:818-828.

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Question évaluée

Intérêt de la terlipressine en association à l’albumine pour le traitement du syndrome hépato-rénal (SHR).

Type d’étude

Essai contrôlé randomisé (ECR) contre placebo, en double aveugle, multicentrique nord-américain (60 centres).

Réalisé avec le soutien financier de la firme pharmaceutique produisant la terlipressine.

Population étudiée
  • Patients cirrhotiques présentant les trois critères suivants :
    • Un SHR de type 1
    • Une ascite
    • Une insuffisance rénale aiguë rapidement progressive définie par un doublement de la créatininémie jusqu’à un minimum de 199 µmol/L dans les 14 jours précédant la randomisation.
  • Critères de non inclusion :
    • Diminution de la créatininémie de plus de 20% ou une créatininémie devenant < 199 µmol/L après au moins 48h d’arrêt des diurétiques et administration d’albumine.
    • Créatininémie > 619 µmol/L
    • Au moins une paracentèse ≥ 4 L dans les 2 jours précédant la randomisation
    • Sepsis et/ou infection bactérienne non contrôlée traité(e) par antibiotiques depuis ≥ 2 jours
    • Maladie cardiovasculaire sévère
    • Epuration extra-rénale dans les 4 semaines précédant la randomisation
Méthode
  • Phase de screening de 48h (arrêt des diurétiques et perfusion d’albumine) pour affirmer le SHR de type 1.
  • Randomisation 2:1 dans les groupes « terlipressine + albumine » (G1) ou « placebo + albumine » (G2) ; stratification sur la créatininémie < 301 μmol/L ou ≥ 301 μmol/L et sur la nécessité de paracentèse de grand volume ≥ 4L  entre J-14 et J-3 avant randomisation.
  • Administration IV de terlipressine (1mg) ou placebo (1mg), toutes les 6h jusqu’à 24h après l’obtention d’une créatininémie ≤ 133 µmol/L, ou jusqu’à J14.
  • Arrêt du traitement en cas de :
    • Majoration de la créatininémie à J4 par rapport à la valeur initiale.
    • Nécessité d’épuration extra-rénale, d’introduction d’un autre traitement vasopresseur.
    • Transplantation hépatique.
    • Pose de TIPS.
  • Visites de suivi entre J20 et J40, entre J46 et J74, entre J76 et J104.
  • Analyse en intention de traiter
  • Critère principal de jugement :
    • Réversibilité « vérifiée » du SHR (définie par 2 mesures consécutives de créatininémie ≤ 133 µmol/L à au moins 2h d’intervalle entre J0 et J14 et survie sans épuration extra-rénale pendant au moins 10 jours supplémentaires)
  • Critères secondaires de jugement :
    • Réversibilité du SHR (créatininémie ≤ 133 µmol/L entre J0 et J14)
    • Réversibilité du SHR sans épuration extra-rénale jusqu’à J30
    • Réversibilité du SHR chez les patients ayant un syndrome de réponse inflammatoire systémique
    • Réversibilité du SHR sans récidive à J30
Résultats essentiels
  • 300 patients ont été randomisés dont 199 dans le G1 et 101 dans le G2. Les caractéristiques initiales des patients étaient similaires entre les deux groupes. Il s’agissait majoritairement d’hommes, d’âge moyen 54 ans. La cirrhose était principalement de cause alcoolique. Les scores de Child-Pugh et MELD étaient respectivement de 10.0±1.85 (G1) vs 10.2+1.89 (G2) et 32.7+6.6 (G1) vs 33.1+6.2 (G2).
  • De l’albumine était administrée chez 165 patients (83%) dans le G1 (199.4+146.8 g), vs 92 patients (91%) dans le G2 (239.5+183.6 g).
  • Critère de jugement principal : la réversibilité « vérifiée » du SHR était significativement plus fréquente dans le G1 par rapport au G2 (32% vs 17%, p=0,006).
  • Critères de jugement secondaires :
    • Réversibilité du SHR : G1: N=78 (39%) vs G2: N=18 patients (18%) ; p<0,001
    • Réversibilité du SHR sans épuration extra-rénale jusqu’à J30 : G1 : N=68 (34%) vs 17 (17%) ; p= 0,001
    • Réversibilité du SHR chez les patients ayant un syndrome de réponse inflammatoire systémique : G1 : N=31 (37%) vs G2 : N= 3 (6%) ; p<0,001
    • Réversibilité du SHR sans récidive à J30 : G1 : N=52 (26%) vs G2 : N= 17 (17%), p= NS
  • A 3 mois, 101 patients (51%) étaient décédés dans le G1, vs 45 patients (45%) dans le G2, p=NS.
  • Le pourcentage de patients transplantés entre J0 et J90 était plus faible dans le G1 par rapport au G2 (23% vs 29%).
  • Des effets indésirables (tous stades de sévérité) étaient rapportés chez 176 patients (88%) dans le G1 vs 88 patients (89%) dans le G2. La proportion de patients chez qui le traitement devait être définitivement interrompu en raison d’effets indésirables était plus élevée dans le G1 (12% vs 5% dans le G2). La principale cause de décès sous traitement était la défaillance respiratoire (6% dans le G1 vs 0% dans le G2).
Commentaires

Le SHR est la manifestation la plus extrême de la dysfonction rénale au cours de la cirrhose. Il est caractérisé par une diminution de la perfusion rénale et du débit de filtration glomérulaire, consécutive à la vasodilatation artérielle splanchnique et systémique. Le seul traitement curatif du SHR est la transplantation hépatique mais plusieurs études randomisées ont montré que le SHR peut être réversible suite à l’administration de drogues vasopressives en association à la perfusion d’albumine (1). La terlipressine (analogue de la vasopressine ayant un effet vasoconstricteur splanchnique) est utilisée dans cette indication dans de nombreux pays européens et asiatiques. Cependant, elle n’était pas autorisée jusqu’à présent aux Etats-Unis, car un précédent ECR nord-américain n’avait pas permis de démontrer sa supériorité par rapport au placebo (2). Ce large ECR confirme la supériorité significative de la terlipressine par rapport au placebo (réversibilité du SHR chez 32% vs 17% des patients, respectivement). De surcroît, cet effet est possiblement sous-estimé car le seuil de créatininémie retenu dans l’étude (199 µmol/L) était plus élevé que dans la définition actuelle du SHR (élévation de plus de 26,5 µmol/L dans les 48h suivant l’admission, sans réponse à l’expansion volémique (3)). Ainsi, l’on peut supposer qu’en utilisant cette définition, le pourcentage de patients répondeurs à la terlipressine aurait été plus important (4). Cet ECR n’était pas dimensionné pour montrer une différence de survie. Le pourcentage de décès à 3 mois identique entre les groupes pourrait s’expliquer par : 1/ l’existence d’une mortalité compétitive liée à d’autres complications que le SHR, fréquentes chez ces patients avec une hépatopathie avancée 2/ la survenue d’effets indésirables cardiorespiratoires parfois létaux, plus nombreux dans le groupe « terlipressine ». Les auteurs n’excluent pas que ces complications puissent expliquer en partie le moindre accès à la greffe des patients du groupe « terlipressine ». L’administration de fortes doses d’albumine chez ces patients cirrhotiques ayant souvent une cardiomyopathie, a probablement contribué à la survenue des événements cardiorespiratoires (notamment par œdème pulmonaire), comme cela avait déjà été suggéré dans un ECR français (5).

Points forts
  • ECR multicentrique en double aveugle contre placebo
  • Large effectif
  • Supériorité de la terlipressine par rapport au placebo pour obtenir la réversibilité du SHR.
Points faibles
  • Utilisation de l’ancienne définition du SHR
  • Absence de bénéfice de survie
Implications et conclusions

La terlipressine en association avec l’albumine est plus efficace que le placebo pour obtenir la réversibilité du SHR, mais son utilisation s’accompagne d’effets indésirables parfois sévères. L’administration d’albumine à forte dose peut être délétère chez les patients les plus graves : des outils de monitorage des fonctions cardiopulmonaires devront être développés pour anticiper la survenue de complications (5).

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Delphine Weil-Verhoeven, Service d’Hépatologie, CHU de Besançon.

L'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.

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Références

  1. Facciorusso A, Chandar AK, Murad MH, et al. Comparative efficacy of pharmacological strategies for management of type 1 hepatorenal syndrome: a systematic review and network meta-analysis. Lancet Gastroenterol Hepatol 2017;2:94-102.
  2. Boyer TD, Sanyal AJ, Wong F, et al. Terlipressin Plus Albumin Is More Effective Than Albumin Alone in Improving Renal Function in Patients With Cirrhosis and Hepatorenal Syndrome Type 1. Gastroenterology 2016;150:1579-1589.e2.
  3. Angeli P, Ginès P, Wong F, et al. Diagnosis and management of acute kidney injury in patients with cirrhosis: revised consensus recommendations of the International Club of Ascites. J Hepatol 2015;62:968-74.
  4. Garcia-Tsao G. Terlipressin and Intravenous Albumin in Advanced Cirrhosis - Friend and Foe. N Engl J Med 2021;384:869-871
  5. Thévenot T, Bureau C, Oberti F, et al. Effect of albumin in cirrhotic patients with infection other than spontaneous bacterial peritonitis. A randomized trial. J Hepatol 2015;62:822-30.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ