Administration de Calcium dans l’arrêt cardiaque extrahospitalier : attention prudence

29/09/2022
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Article JAMA
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Effect of Intravenous or Intraosseous Calcium vs Saline on Return of Spontaneous Circulation in Adults With Out-of-Hospital Cardiac Arrest: A Randomized Clinical Trial.
Vallentin MF, Granfeldt A, Meilandt C, Povlsen AL, Sindberg B, Holmberg MJ, Iversen BN, Mærkedahl R, Mortensen LR, Nyboe R, Vandborg MP, Tarpgaard M, Runge C, Christiansen CF, Dissing TH, Terkelsen CJ, Christensen S, Kirkegaard H, Andersen LW.

JAMA. 2021 Dec 14;326(22):2268-2276. doi: 10.1001/jama.2021.20929. PMID: 34847226; PMCID: PMC8634154.

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Question évaluée

Les auteurs se proposent de montrer que l’administration de calcium lors de la réanimation d’un arrêt cardiaque extrahospitalier améliore la probabilité de reprise d’une activité circulatoire spontanée [1].

Type d’étude

Etude contrôlée, randomisée, en double aveugle, de supériorité, en groupe parallèle, contre placebo.

Population étudiée

L’étude se déroule au Danemark dans une région de 1.3 million d’habitants. Tous les patients de l’étude sont pris en charge dans le même centre hospitalo-universitaire. Sont inclus, les patients adultes victimes d’un arrêt cardiaque extrahospitalier de cause cardiaque ou non, de rythme choquable ou non et ayant reçu au moins 1 mg d’Adrénaline. Sont exclus, les arrêts cardiaques traumatiques, par pendaison ou strangulation, asphyxique par corps étranger, les femmes enceintes et un contexte clinique évident imposant l’administration de calcium (hypocalcémie ou hyperkaliémie).

Méthode

Les patients sont randomisés par bloc de 2, 4 ou 6. La randomisation est stratifiée sur le centre de secours mobilisé pour la réanimation pré-hospitalière. L’intervention consiste à administrer par voie veineuse ou intra-osseuse immédiatement après la première dose d’adrénaline soit 200 mg de chlorure de calcium (Groupe Calcium) soit du chlorure de sodium 9 mg/ml (Groupe Placebo). Une seconde dose peut être administrée après l’administration d’une seconde dose d’adrénaline. Les patients, les médecins pré-hospitaliers et les équipes de réanimation sont aveugles au traitement reçu.

Le critère de jugement principal est la reprise d’une activité circulatoire spontanée stable, défini par une absence de besoin de massage cardiaque externe pendant au moins 20 minutes. Les critères de jugement secondaires sont la survie globale à 30 jours et la survie avec bonne évolution neurologique à 30 jours (score de Rankin modifié 0-3). Sur la base d’un retour à une activité circulatoire spontanée dans 27% des cas du Groupe Calcium et de 18% du Groupe Placebo, les auteurs prévoyaient un recrutement de 674 patients pour montrer une différence significative avec une puissance de 80% et un risque alpha de première espèce de 0.05. Les critères de jugement principal et secondaires sont comparés par un test Exact de Fisher. L’analyse statistique inclue aussi une analyse de sensibilité du critère de jugement principal ajustée sur des facteurs pronostiques connus (âge, témoins, massage cardiaque par témoins, rythme initial), une analyse exploratoire dans 5 groupes prédéfinis (rythme initial, délais d’administration du traitement, administration intra-osseuse ou intraveineuse, présence d’un témoin, réanimation initiée par un témoin) et une analyse Bayesienne évaluant la probabilité d’un effet positif ou négatif du traitement administré.

Résultats essentiels

L’étude est arrêtée prématurément pour signal indiquant un effet délétère dans le Groupe calcium à 15 mois de recrutements, après une analyse intermédiaire programmée. L’analyse principale porte donc sur 391 patients randomisés (193 Groupe Calcium et 198 Groupe Placebo). Les deux groupes sont comparables à la randomisation concernant leurs caractéristiques démographiques, les caractéristiques de l’arrêt cardiaque et les modalités de réanimation. La population inclus trois quart d’hommes avec un âge moyen de 68 ans. L’arrêt cardiaque survient au domicile dans plus de 80% des cas, devant témoins dans près de 60% des cas. Un rythme non choquable est rapporté dans les trois quarts des cas et les causes d’arrêt sont présumées cardiaques dans la grande majorité des cas. Les délais médians entre la survenue de l’arrêt cardiaque et la première dose d’adrénaline et de traitement sont comparables de l’ordre de 17 minutes (IQR, 13-23). La proportion de déviation au protocole est comparable dans les deux groupes, de l’ordre de 5%.

Les deux groupes ne différent que par le taux de calcium ionisé sérique à la reprise de l’activité circulatoire spontanée.

L’analyse des données ne montre aucune différence statistique significative entre les deux groupes concernant la reprise d’une activité circulatoire spontanée stable (CJP ; 19% Groupe Calcium vs 27% Groupe Placebo (Risk ratio, 0.72 [95%CI,0.49-1.03], P=.09)), la survie globale (CJS; 5.2% Groupe Calcium vs 9.1% Groupe Placebo (Risk ratio, 0.57 [95%CI,0.27-1.18], P=.17)) ou la survie avec évolution neurologique favorable à J30 (CJS; 3.6% Groupe Calcium vs 7.6% Groupe Placebo (Risk ratio, 0.48 [95%CI,0.20-1.12], P=.12)). Ces résultats sont identiques même après ajustement et quels que soient les sous-groupes prédéfinis de patients. Il existe même une différence en faveur du Groupe Placebo avec une reprise d’une activité circulatoire spontanée stable augmentée de près de 50% et une survie globale ou avec une évolution favorable augmentée de plus du double à J30 et J90. Enfin, l’analyse Bayésienne conforte la très faible probabilité d’un effet bénéfique de l’administration de calcium.

Commentaires

Etude intéressante et pragmatique éclairant sur l’impact de l’administration de calcium au cours de l’arrêt cardiaque extrahospitalier, une pratique rapportée fréquente (25 à 30%) mais sans rationnel clair [2].

Le rationnel de l’étude est d’ailleurs sous tendu par des observations antérieures d’une hypocalcémie ionisée au cours des arrêts cardiaques prolongés, sur les effets inotropes et sur le tonus vasculaire du calcium. Cependant, comme le soulignent les auteurs dans la discussion, des travaux antérieurs rapportent aussi l’effet délétère potentiel de l’administration de calcium dans l’arrêt cardiaque. En effet, ce dernier favoriserait une hypercontraction myocardique par une surcharge calcique cytosolique et mitochondriale et serait impliqué dans de nombreuses voies de signalisation intracellulaire participant du syndrome d’ischémie reperfusion. Dans une publication ancienne de 1997, Gando et al. [3] explore les causes possibles de la déplétion en calcium ionisé au cours de l’arrêt cardiaque. Les auteurs privilégient un mécanisme d’influx intracellulaire secondaire à l’ischémie reperfusion, d’autant plus marqué que l’arrêt cardiaque est prolongé. Ils accordent un rôle plus modéré à un mécanisme de chélation par le lactate, le pyruvate ou le bicarbonate ou encore du rôle du pH. L’hypocalcémie ionisée observée, relative et souvent modérée, comme dans cette étude, pourrait alors être davantage un marqueur de gravité plus qu’une cible thérapeutique.

L’arrêt prématuré de l’étude, compréhensible au regard de la tendance vers un effet délétère, ne permet malheureusement pas de conclure définitivement sur un effet, notamment délétère, du calcium dans cette indication. Message d’importance, s’il en est, dans la réanimation de l’arrêt cardiaque.

Points forts
  • Etude randomisée en double aveugle contre placebo
  • Relatif large effectif
  • Critères de jugement principal mais surtout secondaires robustes
  • Peu de déviations au protocole rapportées
  • La dose de calcium administrée s’accompagne bien d’une augmentation significative de la calcémie (75% d’hypercalcémie légère ou modérée dans le Groupe Calcium contre 2% dans le Groupe Placebo)
  • Analyse statistique adaptée
Points faibles
  • Absence de critères prédéfinis d’arrêt de l’étude (efficacité, danger, futilité) avec arrêt prématuré de l’étude
  • Relative faiblesse du rationnel
  • Un effectif insuffisant pour apprécier l’impact de la stratégie testée dans différents sous- groupes
Implications et conclusions

Cette recherche ne plaide pas en faveur de l’administration de calcium lors de la réanimation de l’arrêt cardiaque extrahospitalier. Elle suggère même un effet délétère potentiel invitant à la prudence. Dans ce contexte, l’administration de calcium devrait être réservée à des situations d’arrêt cardiaque de causes particulières, hyperkaliémie ou hypocalcémie sévère avérées ou d’intoxication aux inhibiteurs calciques [4].

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Cédric Daubin, Service de Médecine Intensive et Réanimation, CHU de Caen, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (daubin-c@chu-caen.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. Effect of Intravenous or Intraosseous Calcium vs Saline on Return of Spontaneous Circulation in Adults With Out-of-Hospital Cardiac Arrest: A Randomized Clinical Trial.
    Vallentin MF, Granfeldt A, Meilandt C, Povlsen AL, Sindberg B, Holmberg MJ, Iversen BN, Mærkedahl R, Mortensen LR, Nyboe R, Vandborg MP, Tarpgaard M, Runge C, Christiansen CF, Dissing TH, Terkelsen CJ, Christensen S, Kirkegaard H, Andersen LW.
    JAMA. 2021 Dec 14;326(22):2268-2276.
  2. American Heart Association’s Get With The Guidelines – Resuscitation Investigators. Trends Over Time in Drug Administration During Adult In-Hospital Cardiac Arrest.
    Moskowitz A, Ross CE, Andersen LW, Grossestreuer AV, Berg KM, Donnino MW
    Crit Care Med. 2019 Feb;47(2):194-200.
  3. Ionized hypocalcemia during out-of-hospital cardiac arrest and cardiopulmonary resuscitation is not due to binding by lactate.
    Gando S, Igarashi M, Kameue T, Nanzaki S.
    Intensive Care Med. 1997 Dec;23(12):1245-50.
  4. Adult Basic and Advanced Life Support Writing Group. Part 3: Adult Basic and Advanced Life Support: 2020 American Heart Association Guidelines for Cardiopulmonary Resuscitation and Emergency Cardiovascular Care.
    Panchal AR, Bartos JA, Cabañas JG, Donnino MW, Drennan IR, Hirsch KG, Kudenchuk PJ, Kurz MC, Lavonas EJ, Morley PT, O'Neil BJ, Peberdy MA, Rittenberger JC, Rodriguez AJ, Sawyer KN, Berg KM
    Circulation. 2020 Oct 20;142(16_suppl_2): S366-S468.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. FOSSAT
S. GOURSAUD
N. HEMING
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ
V. ZINZONI