ALERTER, MASSER, DEFIBRILLER et ECPR : nouvelle chaine de survie ?

24/02/2021
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Article Lancet
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Advanced reperfusion strategies for patients with out-of-hospital cardiac arrest and refractory ventricular fibrillation (ARREST): a phase 2, single centre, open-label, randomised controlled trial.
Demetris Yannopoulos et al.
Lancet 2020; 396: 1807–16

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Question évaluée

Évaluation de l’assistance circulatoire (E-CPR) « précoce » dans l’arrêt cardiaque réfractaire sur rythme choquable

Type d’étude

Étude randomisée mono-centrique sans aveugle de phase 2

Population étudiée

Patient de 18 à 75 ans présentant un arrêt cardiaque avec rythme choquable réfractaire (défini par l’absence de reprise d’activité cardiaque spontanée (RACS) après 3 chocs électriques externes) arrivant à l’hôpital en moins de 30 minutes, et pouvant bénéficier d’un massage cardiaque automatisé.

Méthode

Étude randomisée mono-centrique sans aveugle de phase 2. L’analyse de cette étude se fait via une méthodologie hybride : classique et Bayésienne pour les analyses intermédiaires et pour une randomisation adaptative. Le risque alpha est à 0,05 et beta 0,10. L’analyse est en intention de traiter.

Les patients avec une RACS après le 4 chocs sont aussi inclus. La randomisation est faite à l’admission à l’hôpital. (Randomisation par bloc de taille variable). Le calcul d’effectif est réalisé sur la base d’une survie prévisible du groupe intervention ECPR à 0,37 et à 0,12 dans le groupe contrôle. La taille de l’échantillon prévue est de 150 patients complété d’une une analyse intermédiaire tous les 30 patients. Des critères précis d’arrêt de l’étude sont spécifiés.

Les patients du groupe contrôle bénéficient d’une réanimation par l’équipe du service d’accueil des urgences de l’hôpital sans protocole spécifique, la réanimation étant poursuivie au minimum 15 min après admission ou au minimum 60 min après l’appel des secours.

Le groupe intervention est transféré en salle de coronarographie immédiatement, pour être mis sous ECMO et pris en charge par une équipe dédiée. La réanimation est arrêtée si le patient présente 2 critères parmi les suivants : ETCO2 < 10 mmHg ; Pa02 < 50 mmHg ou SPO2 <85% ; lactates >18 mmol/L. Les patients mis sous ECMO ou pour lesquels une reprise d’activité cardiaque spontanée est observé bénéficient d’une coronarographie +/-angioplastie.

Les soins post-arrêt cardiaque ne sont pas protocolés, le centre pratique une hypothermie à 34°C pendant 24 h et ne réalise pas d’évaluation neurologique avant 72H.

L’objectif principal est la survie à la sortie de l’hôpital. Les objectifs secondaires sont une évaluation de la survie et du pronostic fonctionnel évalué par le Cerebral Prefomance Score (CPC) et le score de Rankin à la sortie de l’hôpital, à 3 et 6 mois.

Résultats essentiels

L’étude est arrêtée après la première analyse intermédiaire à la demande du DSMB. L’ECPR précoce dans l’arrêt cardiaque réfractaire sur rythme choquable améliore de manière significative la survie à la sortie de l’hôpital et améliore significativement le pronostic fonctionnel comparativement à une réanimation classique.

Commentaires

Il s’agit de la première étude randomisée sur l’ECPR publiée. Cette étude retrouve un résultat positif, qui a provoqué l’arrêt de l’étude prématurément après randomisation de seulement 30 patients ! La méthodologie utilisée est très intéressante surtout dans le contexte de l’arrêt cardiaque. Il s’agit d’une équipe hyperspécialisée dans le domaine, qui a déjà publié plusieurs travaux. Ce travail est intermédiaire d’où la notion de phase 2, qui doit aboutir à une étude sur la pose en pré-hospitalier des ECPR. Les objectifs sont clairs et correspondent à la volonté d’avoir des patients survivants avec de bons pronostics fonctionnels. Ce pronostic fonctionnel à 6 mois est excellent dans le groupe ECPR. Ce pronostic s’améliore progressivement dans le temps en relation avec la gravité de la maladie et l’intensité de la réanimation.

Par contre, dans le groupe standard, il n’y a qu’un survivant qui va décéder autour de J105. Ce mauvais résultat est surprenant. En effet, il est très loin de ce que les auteurs avaient anticipé ( 0,12) sur les bases de leurs publications précédentes qui étaient de 23%(1). On doit se poser la question de la validité du groupe contrôle. En effet, ce groupe n’aurait-il pas subi une perte de chance lié au transport précoce vers un centre hospitalier? Il a été montré dans le système nord-américain que le transport rapide vers les urgences lors des arrêts cardiaques abaissait la survie.(2) On voit par exemple que plus de 30% des patients ont une reprise transitoire d’activité cardiaque, on ne peut s’empêcher de penser que si les patients étaient intubés, avec un support de catécholamines il y aurait une meilleure survie dans ce groupe contrôle. Il aurait probablement fallu randomiser les patients sur le lieu de l’arrêt cardiaque et non à l’admission à l’hôpital. Cette même équipe avait déjà décrit que des patients ayant plus de 39 min de réanimation classique n’avait pas d’espoir.(1) Sur le plan éthique, il est donc discutable de ne pas avoir de cross-over en sauvetage pour ces patients. On notera aussi qu’il s’agit d’une équipe hyper entrainée capable de mettre en place l’ECPR en 7 min en moyenne… Il y a probablement de ce fait une limitation sur le groupe contrôle qui ne bénéficie pas d’une prise en charge par une équipe spécifique, avec un protocole strict.

Cette publication confirme l’intérêt de l’ECPR très précoce et confirme l’intérêt pour l’ECPR sur le terrain pour réduire les temps d’accès. En effet le nombre de patients inclus est faible sur la durée pour une pathologie fréquente, car il s’agit des patients de bon pronostics (la plupart ont une RACS avant le 3 chocs) et par la limitation de délai (30 min de l’hôpital).

Points forts
  • Réponse à une question en suspens
  • Randomisation
  • Méthodologie mixte
  • Résultats forts sur la survie et pronostic fonctionnel
Points faibles
  • Survie du groupe contrôle
  • Randomisation tardive
  • Hypersélection des patients
Implications et conclusions

Ce travail confirme de manière forte l’intérêt de l’ECPR. Il paraît peu probable que suivant cette étude randomisée interrompue précocement qu’une autre étude sans ECPR de sauvetage dans le groupe contrôle ne soit envisageable. Cette étude implique la mise en place de filière spécialisée accessible sur tout le territoire. Ce travail devrait faire évoluer les recommandations, rappelons-nous que l’adrénaline utilisée quotidiennement n’a pas d’étude randomisée favorable…

Il reste des questions en suspens :

  • Qui sont les bons candidats ?
    Dans cette étude les patients étaient hypersélectionnés, la question de l’indication après asystolie ou dissociation électromécanique reste entière. Probablement qu’une sélection sur la présence de signes de vie reflet d’un meilleur pronostic neurologique serait plus pertinent que le rythme cardiaque.(3)
  • Comment réduire les délais ?
    Ce travail montre bien l’intérêt de l’ECPR précoce. Il faut discuter comment réaliser une ECPR précoce sans perdre des chances de reprises d’activités cardiaques spontanées aux patients. C’est là que la question de l’ECPR pré-hospitalière se pose. Nous avons pu montrer qu’elle était possible avec de bons résultats (4) et transmissible à d’autres équipes. Ainsi l’équipe de Londres travaille sur une pose à la 30ième minute sur place.(5)

Ce travail est fondamental, car ils nous obligent à réfléchir à cette filière de soins qui devient indispensable et opposable. L’ECPR devient un nouveau maillon de la chaine de survie.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Lionel LAMHAUT, DAR et SAMU de Paris, CHU Necker, APHP, Paris,France.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (lionel@lamhaut.fr) ou à la CERC.

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RÉFÉRENCES

  1. Bartos JA, Grunau B, Carlson C, Duval S, Ripeckyj A, Kalra R, et al. Improved Survival With Extracorporeal Cardiopulmonary Resuscitation Despite Progressive Metabolic Derangement Associated With Prolonged Resuscitation. Circulation. 2020 Mar 17;141(11):877–86.
  2. Grunau B, Kime N, Leroux B, Rea T, Van Belle G, Menegazzi JJ, et al. Association of Intra-arrest Transport vs Continued On-Scene Resuscitation With Survival to Hospital Discharge Among Patients With Out-of-Hospital Cardiac Arrest. JAMA. 2020 Sep 15;324(11):1058.
  3. Debaty G, Babaz V, Durand M, Gaide-Chevronnay L, Fournel E, Blancher M, et al. Prognostic factors for extracorporeal cardiopulmonary resuscitation recipients following out-of-hospital refractory cardiac arrest. A systematic review and meta-analysis. Resuscitation. 2017 Mar;112:1–10.
  4. Lamhaut L, Hutin A, Puymirat E, Jouan J, Raphalen J-H, Jouffroy R, et al. A Pre-Hospital Extracorporeal Cardio Pulmonary Resuscitation (ECPR) strategy for treatment of refractory out hospital cardiac arrest: An observational study and propensity analysis. Resuscitation [Internet]. 2017 Apr [cited 2017 Jun 28]; Available from: http://linkinghub.elsevier.com/retrieve/pii/S0300957217301673
  5. Singer B, Reynolds JC, Davies GE, Wrigley F, Whitbread M, Faulkner M, et al. Sub30: Protocol for the Sub30 feasibility study of a pre-hospital Extracorporeal membrane oxygenation (ECMO) capable advanced resuscitation team at achieving blood flow within 30 ​min in patients with refractory out-of-hospital cardiac arrest. Resusc Plus. 2020 Dec;4:100029.
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX