Arrêt cardiaque inopiné en réanimation (ACIR) chez les patients atteints de Covid-19 : fin de partie ?

20/10/2021
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Article BMJ
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In-hospital cardiac arrest in critically ill patients with Covid-19: multicenter cohort study.
Hayek SS, Brenner SK, Azam TU et al.
BMJ 2020; 371: m3513.

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Question évaluée

Évaluer l’incidence, les facteurs de risque et le devenir associés à la survenue d’un arrêt cardiaque inopiné en réanimation (ACIR) chez les patients admis pour une infection à SARS-CoV-2.

Type d’étude

Extraction d’une base de données multicentrique observationnelle (registre STOP-COVID) incluant les patients admis pour une infection à SARS-CoV-2 prouvée dans 68 réanimations sur l’ensemble du territoire américain.

Population étudiée

Patients majeurs hospitalisés en réanimation dans le cadre d’une infection à SARS-CoV-2 prouvée.

Méthode

Trois comparaisons étaient réalisées, chacune incluant une analyse multivariée afin d’identifier les paramètres associés :

  • A la survenue d’un ACIR dans les 14 jours suivants l’admission en réanimation.
  • A la réalisation d’une réanimation cardiopulmonaire (RCP) en cas d’ACIR.
  • Au décès hospitalier après la survenue ACIR réanimé.

Les analyses multivariées incluaient au minimum dans leur modèle les paramètres suivants : âge, sexe, origine ethnique, index de masse corporelle, antécédents, score mSOFA (défaillance(s) d’organe(s)) le jour de l’admission en réanimation et le nombre de lits de réanimation de l’établissement où le patient était admis.   

Résultats essentiels

Sur les 5019 patients admis entre mars et juin 2020 pour une infection à SARS-CoV-2, 701 patients (14%) ont présenté un ACIR, 400/701 (57%) ont été réanimés et 135/400 (34%) ont présenté un retour à une activité circulatoire spontanée (RACS) considérée stable.

Un ACIR est survenu le jour de l’admission en réanimation chez 15% des patients.

L’analyse multivariée retrouvait l’âge, le fait d’être admis dans un hôpital avec moins de lits de réanimation, l’origine afro-américaine et le mSOFA comme paramètres associés à la survenue d’un ACIR.

Les 301 patients non réanimés avaient tous été limités sur la RCP en amont de l’ACIR. L’âge était inversement proportionnel à la probabilité d’être réanimé et était associé aux tentatives de RCP de plus courte durée. Les rythmes non choquables étaient largement majoritaires (74%) et le temps médian de RCP était de 10 minutes.

L’analyse multivariée retrouvait l’âge > 65ans comme seul paramètre associé au fait de ne pas être réanimé.

Au total, 48 patients sont sortis vivants de l’hôpital dont 28 avec une évolution neurologique favorable (score CPC de 1 ou 2). Rapporté au nombre total d’ACIR, aux patients ayant bénéficié d’une RCP et à ceux ayant présenté un RACS, le taux de survie avec évolution neurologique favorable était de 4, 7 et 21% respectivement. 

L’analyse multivariée retrouvait l’âge > 80ans, le sexe masculin et le fait d’être admis dans un établissement avec moins de lits de réanimation comme paramètres associés à la mortalité chez les patients réanimés d’un ACIR. 

Commentaires

Les premiers constats furent dramatiques concernant l’incidence et la mortalité des arrêts cardiaques intra-hospitaliers (ACIH) chez les patients admis pour infection à SARS-CoV-2. Une étude chinoise décrivait en effet une incidence d’ACIH proche de 20% chez ce type de patient (1), mais surtout l’ensemble des premiers travaux observationnels rapportaient un taux de mortalité hospitalière proche ou égal à 100% (1–4). Ces études ont engendré des positions discutables sur la futilité de la RCP d’un arrêt cardiaque chez ces patients, mettant en balance les risques pris par les soignants pour leur propre santé et le pronostic extrêmement sombre d’un tel évènement (5).

Notons cependant le caractère mono-centrique de ces travaux et/ou regroupant dans des proportions variées des ACIH survenus en services « conventionnels » et des ACIR (aux pronostics bien différents), dans des régions aux capacités hospitalières sursaturées durant la première vague (Wuhan, New-York, etc.).

L’étude américaine présentée dans cette REACTU représente actuellement la plus importante cohorte multicentrique d’ACIR liés au SARS-CoV-2. Celle-ci nous confirme que l’incidence des ACIR chez les patients infectés par le SARS-CoV-2 semble supérieure à celle des patients admis en réanimation pour d’autres pathologies (estimée entre 0,5 et 5% selon les études).

Par ailleurs, bien que la survie avec bonne évolution neurologique rapporté au nombre d’ACIR reste basse (4%), ce chiffre est à relativiser. Soulignons que la survie avec bonne évolution neurologique rapportée aux patients réanimés avec RACS dépassait 20%, se rapprochant des résultats du groupe « ACIR » publiée avant la première vague (la survie avec bonne évolution neurologique à 6 mois atteignait 25% chez les patients réanimés avec RACS) (6).

Cette étude est également la première ayant identifié des facteurs associés à la survenue d’un ACIR lié au SARS-CoV-2, à la décision de RCP et à la survie hospitalière des patients réanimés.

Plusieurs points sont cependant à souligner :

  1. Seuls les patients dont l’ACIR est survenus dans les 14 jours de l’admission en réanimation ont été inclus. L’incidence et les caractéristiques des ACIR tardifs n’ont donc pas été étudiées, chez des patients dont les durées de séjour étaient pourtant très prolongées.
  2. Bien que la grande majorité des ACIR présentait un rythme non choquable, les étiologies des ACIR n’ont pas relevées (causes directement ou indirectement liées au SARS-CoV-2 ? Complications des soins de réanimation ?).
  3. Les auteurs n’ont apporté aucune précision sur la gravité des patients et les défaillances d’organes au moment de l’ACIR (hormis pour les 15% des ACIR survenus le jour de l’admission en réanimation).
  4. La saturation des capacités hospitalières n’a pas été évaluée, or celle-ci a pu contribuer aux décisions de limitation thérapeutique et au faible taux d’ACIR avec RACS (34% dans cette étude vs 50-75% dans les études pré-pandémie).
Points forts
  • Plus importante cohorte observationnelle multicentrique, focalisée exclusivement sur les ACIR « précoces » liés au SARS-CoV-2.
  • Première étude ayant identifié des facteurs associés à la survenue d’un ACIR lié au SARS-CoV-2, à la décision de RCP et à la survie hospitalière chez les patients réanimés.
Points faibles
  • Possible sous-estimation de l’incidence des ACIR liés à cette pathologie.
  • Causes de survenue de l’ACIR non identifiées.
  • Pas de donnée sur la gravité des patients au moment de l’ACIR.
  • Saturation des capacités hospitalières ayant pu biaiser l’analyse.
Implications et conclusions

Bien que le pronostic global des ACIR (et plus largement des ACIH) chez les patients admis pour infection à SARS-CoV-2 semble médiocre, cette étude démontre qu’on ne peut considérer la RCP de ces patients comme systématiquement futile.

Les travaux à venir devront déterminer chez quels patients une RCP semble réellement futile et ceux pouvant en bénéficier avec un pronostic finalement équivalent aux données des ACIR liés à d’autres pathologies. Les équipes de réanimation devront s’attacher à adapter leurs procédures de RCP afin de maintenir leur efficacité tout en garantissant la sécurité des soignants.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Jonathan Chelly, Service de Réanimation Polyvalente – Centre Hospitalier Intercommunal Toulon – La Seyne sur Mer.

L'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (jonathan.chelly@ch-toulon.fr) à la CERC.

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Références

  1. In-hospital cardiac arrest outcomes among patients with COVID-19 pneumonia in Wuhan, China.
    Shao F, Xu S, Ma X et al.
    Resuscitation 2020; 151: 18–23.
  2. Outcomes of in-hospital cardiac arrest in patients with COVID-19 in New York City.
    Sheth V, Chishti I, Rothman A et al.
    Resuscitation 2020; 155: 3–5.
  3. Clinical Outcomes of In-Hospital Cardiac Arrest in COVID-19.
    Thapa SB, Kakar TS, Mayer C et al.
    JAMA Intern Med 2020; doi:10.1001/jamainternmed.2020.4796.
  4. Is Cardiopulmonary Resuscitation Futile in Coronavirus Disease 2019 Patients Experiencing In-Hospital Cardiac Arrest?
    Shah P, Smith H, Olarewaju A et al.
    Crit Care Med 2021; 49(2): 201–8.
  5. Covid-19: Doctors are told not to perform CPR on patients in cardiac arrest.
    Mahase E, Kmietowicz Z.
    BMJ 2020; 368: m1282.
  6. Unexpected cardiac arrests occurring inside the ICU: outcomes of a French prospective multicenter study.
    Leloup M, Briatte I, Langlois A et al.
    Intensive Care Med 2020; doi: 10.1007/s00134-020-05992-w.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
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T. KAMEL
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L. POIROUX
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