Bloquer les canaux sodiques ou potassiques pour contrôler les troubles du rythme supraventriculaires au cours d’un choc septique : du pareil au même ?

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« Propafenone versus amiodarone for supraventricular arrhythmias in septic shock: a randomised controlled trial », Balik, & al, Intensive Care Medecine, 2023

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Question évaluée

L'objectif de l'étude était de comparer l'efficacité et la tolérance hémodynamique de la propafénone avec l'amiodarone pour la prise en charge des troubles du rythme supra-ventriculaires (TRSV) « de novo » ou paroxystique chez des patients en choc septique.

Hypothèse de l’étude

la propafénone pourrait être plus efficace que l'amiodarone pour obtenir et maintenir un rythme sinusal chez les patients dont la FEVG est normale ou modérément altérée.

Type d’étude 

Essai de supériorité, prospectif, randomisé, contrôlé, en double aveugle bi-centrique dans deux hôpitaux universitaires de Prague.

Population étudiée 

Population adulte (16-85 ans) avec survenue d’un trouble du rythme supra-ventriculaire « de novo » ou paroxystique, au cours d’un choc septique.

Critère d’inéligibilité 

FA permanente ou persistante.

Critères d’exclusion 

altération sévère de la fonction myocardique (FEVG < 35%), bloc de conduction (autre que BAV 1), haute dose de noradrénaline (> 1µg/kg/min soit environ 5 mg/h pour un patient de 80 kg), dépendance à un stimulateur cardiaque (BAV complet éléctro-entrainé).

Méthode 

Randomisation en 1 : 1. Aveugle : seringue noire.

Bras propafénone : bolus de 70 mg puis 400–840mg/24 h

Bras amiodarone : bolus de 300 mg IV amiodarone puis 600–1800 mg/24 h

Objectif de contrôle du rythme 

Fréquence cardiaque entre 80-110 / min et Pam > 70 mmHg

Surveillance :

  • Électrocardiogramme 12 dérivations toutes les 12h;
  • Échocardiographie à 1h  et 4h post-cardioversion puis tous les jours. En cas d’apparition d’une dysfonction ventriculaire gauche avec diminution de la FEVG à moins de 35%, l’aveugle est levée et la propafénone est arrêtée. Un relais est possible par l’amiodarone (sans bolus).
Critère de jugement principal (CJP)

Proportion de patients en rythme sinusal à 24 heures du début de la perfusion ET le maintien du rythme sinusal en soins intensifs, au cours de l’hospitalisation et à 1 an de la sortie de l’hôpital.

Critères de jugements secondaires (CJS):
  • Proportion de patient ayant nécessité une cardioversion électrique;
  • Proportion de patient ayant nécessité la levée de l’aveugle et/ou l’administration d’un anti-arythmique alternatif;
  • Mortalité en soins intensifs, à l’hôpital et à 1 an;
  • Durée d’hospitalisation en soins intensifs;
Etude de sous-groupe 
  • Avec et sans dilatation de l’oreillette gauche (LAVI) ≥ 40 ml/m2
  • Avec et sans dysfonction ventriculaire droite définie par une dilatation modérée à sévère du ventricule droit, une dilatation de l’anneau tricuspide, et un TAPSE < 15 et PAPS > 40 mmHg
Résultats essentiels 

209 patients ont été randomisés sur les 458 étudiés.

Les TRSV sont survenus dans un délai médian de 53 h (12,8 - 115,7) après l'admission et les patients ont reçu un traitement anti-arythmique dans un délai médian de 1,5 h (0,5-4,6h) du début de la TRSV.

La cardioversion a été obtenu dans un délai médian de 6h (1,8 - 15,7 h).

La durée médiane de perfusion de l’anti-arythmique était de 109,5 h (46,8 – 138,2 h).

Critère de jugement principal 
  • A 24h, 72,8% des patients du groupe propafénone et 67,3% du groupe amiodarone étaient en rythme sinusal. Pas de différence significative (p = 0,4).  
  • A la sortie de soins intensifs, 61,5% des patients du groupe propafénone et 55,2% du groupe amiodarone étaient en rythme sinusal. Pas de différence significative (p = 0,2).
  • A la sortie de l’hôpital, 76,5 % du groupe propafénone et 70,5% du groupe amiodarone étaient en rythme sinusal. Pas de différence significative. 
  • La cardioversion était significativement plus rapide dans le groupe propafénone (3,7h vs 7,3h ; p = 0,022).
  • Les récurrences étaient plus fréquentes et plus nombreuses au cours de la perfusion d’amiodarone (récurrences: 76,2% vs 51,9%, p< 0,001 ; > 3 récurrences: 16,7% vs 38,8%, p = 0,006). 
Critères de jugement secondaires 
  • Le taux de cardioversion électrique était similaire entre les deux groupes (40,4% vs 32,4%, p = 0,2).
  • La tolérance hémodynamique était similaire dans les deux bras. La diminution des doses de vasopresseurs était similaire dans les deux bras (0,3  0,23 µg/kg/min à H24)
  • Mortalité en soins intensifs, à la sortie de l’hôpital et à un an similaire.
Études de sous-groupes 
  • L’amiodarone pourrait être plus efficace chez les patients avec une dilatation de l’oreillette gauche (p = 0,05).
  • Pas de différence significative dans le groupe avec dysfonction ventriculaire droite.
Commentaires 

La survenue « de novo » d’un trouble du rythme supra-ventriculaire TRSV, principalement la fibrillation atriale, est un évènement fréquent au cours du choc septique (1–3). La survenue de cet évènement ainsi que sa durée sont des facteurs indépendamment associés à la mortalité en réanimation et à distance (4–7).

Le biais principal de cette étude est que les auteurs considèrent en première intention une stratégie de « rythm control » avec une stratégie de cardioversion médicamenteuse. Néanmoins, à ce jour  aucune étude randomisée n’a évalué le bénéfice d’une stratégie de contrôle du rythme pour la prise en charge des TRSV au cours du choc septique (4). Dans un essai randomisé comparant une stratégie de contrôle du rythme versus contrôle de la fréquence cardiaque pour la prise en charge d’un TRSV survenant de novo  en post-opératoire d’une chirurgie cardiaque, aucune des deux stratégies n'a montré d'avantage clinique (8).

Aussi, le bénéfice d’une telle stratégie - utilisant soit l’amiodarone soit la propafénone -est incertain dans le contexte de choc septique.  L’étude CAFS (« Control Atrial Fibrillation during Septic shock ») actuellement en cours (NCT04844801) permettra peut-être de nous éclairer sur cette question en comparant 3 stratégies de rythm control, rate control ou risk control dans les TRSV de novo au cours du choc septique.

La seconde limite majeure est l’exclusion des patients les plus sévères sur le plan hémodynamique, soit en raison d’un dysfonction systolique VG (FEVG < 35 %) soit d’une vasoplégie profonde avec besoin en noradrénaline > 1µg/kg/min. En effet, bien qu’aucune étude ne le démontre formellement, il est physiologiquement vraisemblable que ce soit dans ce sous-groupe de patient que le passage en TRSV soit le plus mal toléré et qu’une stratégie de cardioversion médicamenteuse associée à un traitement anti-arythmique à visée de rythm control puisse être opportun.

Points forts 

Il s’agit d’un essai randomisé, prospectif, en aveugle.

Absence de biais méthodologique majeur.

Points faibles 
  • Exclusion des patients les plus graves : instabilité hémodynamique (> 1µg/kg/min), FEVG < 35 %.
  • Inclusion des patients avec un antécédent de FA paroxystique (22% dans le groupe propafénone et 13 % dans le groupe amiodarone) qui ne sont probablement pas comparables aux autres patients. Bien qu’ils aient prévu une étude de sous-groupe pour les patients avec une oreillette gauche dilatée, où d’ailleurs les résultats sont discordants avec les résultats de l’étude principale puisque l’amiodarone semble plus efficace dans cette population.

- Critère d’arrêt de la perfusion d’anti arythmique non disponible.

- Critère de cardioversion électrique non disponible.

Implications et conclusions 

La propafénone comparée à l'amiodarone chez les patients présentant un choc septique avec une fonction systolique du ventricule gauche normale ou modérément réduite ne permet pas un meilleur contrôle du rythme à 24 heures en cas de TRSV.

La propafénone permet néanmoins une cardioversion plus rapide et moins de récidives d'arythmie, en particulier chez les patients dont l'oreillette gauche n'est pas dilatée. L’amiodarone semble plus efficace pour la population de patient ayant une oreillette gauche dilatée.  

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Juliette Bernier & Jérémie Joffre, CHU Saint-Antoine, Paris, France

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de l'auteur, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (juliette.bernier@aphp.fr, jérémie.joffre@aphp.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI