Caplacizumab dans le PTT : l’objectif mortalité nulle semble atteignable

26/12/2019
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Caplacizumab treatment for acquired Thrombotic Thrombocytopenic Purpura.

Marie Scully, Spero R. Cataland, Flora Peyvandi, Paul Coppo, Paul Knöbl, Johanna A. Kremer Hovinga, Ara Metjian, Javier de la Rubia, Katerina Pavenski, Filip Callewaert, Debjit Biswas, Hilde De Winter, and Robert K. Zeldin, for the HERCULES Investigators.

N Engl J Med 2019; 380:335-346

Texte

Question évaluée

Intérêt d’associer un anti-thrombotique ciblant spécifiquement le facteur von Willebrand (VWF) lors de la prise en charge initiale du purpura thrombotique thrombocytopénique (PTT).

Le PTT acquis est caractérisé par un déficit en ADAMTS13 à l’origine de la persistance de multimères de haut poids moléculaire du VWF et de la formation de micro-thrombi. Le caplacizumab est un nanobody humanisé (petit fragment fonctionnel d’une chaine lourde d’immunoglobuline) qui cible le domaine A1 du VWF et inhibe l’adhésion des plaquettes au sous-endothélium via le VWF.

Type d’étude

Etude multinationale de phase III, randomisée en double aveugle contre placebo.

Population étudiée
Patients de plus de 18 ans
  • Avec un diagnostic de microangiopathie thrombotique (thrombopénie et anémie hémolytique mécanique).
  • Nécessitant des échanges plasmatiques (EP) quotidiens ;
  • et ayant déjà reçu une première séance d’EP.
Critères d’exclusion
  • MAT n’ayant pas les critères de PTT : plaquettes > 100 G/L, créatinine > 200 µmol/L si plaquettes < 30 G/L, tableaux de SHU typiques ou atypiques, greffés d’organe solide ou de cellules souches hématopoïétiques, sepsis, CIVD, HTA maligne.
  • PTT congénital.
  • Facteurs de risque hémorragiques autres que la thrombopénie : saignement actif ou patient à haut risque de saignement, anticoagulant au long cours qui ne peut pas être stoppé.
  • Pathologies autres que le PTT limitant l’espérance de vie à moins de 6 mois.
  • Femmes enceintes ou allaitantes, hypersensibilité connue au produit, participation à un autre essai interventionnel.
Méthode
Traitement standard du PTT
  • EP quotidiens au PFC jusqu’à 2 jours après l’obtention d’un taux de plaquettes > 150 G/L. Puis, arrêt des EP recommandé sur 2 à 4 jours.
  • Corticothérapie ≥ 1 mg/kg/jour jusqu’à une semaine après l’arrêt des EP puis diminution progressive. Objectif : arrêt des corticoïdes à J30 de l’arrêt des EP.
Randomisation après le 1er EP : caplacizumab vs placebo
  • Au 2ème EP : injection de 10 mg IV avant la séance puis 10 mg SC après la séance.
  • A partir du 3ème EP : 10 mg SC après chaque séance.
  • A l’arrêt des EP : 10 mg SC/jour pendant 30 jours (possible à domicile).

Possible période d’extension de traitement de 7 jours, renouvelable (maximum 4 x 7 jours supplémentaires) si activité ADAMTS13 toujours effondrée < 10% ou persistance de signes cliniques. Optimisation du traitement immunosuppresseur en parallèle.

Possible administration de caplacizumab en ouvert si exacerbation (reprise évolutive de la maladie dans les 30 premiers jours de traitement) ou rechute pendant la période d’extension de traitement : administration de caplacizumab en ouvert, sans levée d’aveugle sur le produit reçu les jours précédents + EP quotidiens et adaptation des immunosuppresseurs à la discrétion des cliniciens.

Période de suivi de 28 jours après l’arrêt du traitement à l’étude

Stratification sur le score de Glasgow : ≤ 12 / > 13.

Critère de jugement principal : délai de réponse au traitement (définie par un taux de plaquettes > 150 G/L), à partir de la première injection de caplacizumab ou de placebo.

Résultats essentiels
  • 145 patients ont été inclus de novembre 2015 à avril 2017 : 72 dans le bras caplacizumab, 73 dans le bras placebo. Les deux groupes étaient comparables. Pour 7 patients (4%), le diagnostic de PTT n’avait pu être confirmé.
  • Arrêt prématuré de traitement (toxicité, retrait de consentement ou sur décision médicale) chez 13 patients du groupe caplacizumab et 23 patients du groupe placebo.
  • Nombre de patients traités par caplacizumab en ouvert pour une exacerbation ou une rechute : n=26 dans le groupe placebo vs n=2 dans le groupe caplacizumab.
Critères d’efficacité analysés en intention de traiter

Critère de jugement principal : le délai d’obtention d’une réponse biologique (taux de plaquettes > 150 G/L) était significativement plus court dans le groupe caplacizumab (délai médian 2.69 jours [intervalle de confiance 1,89-2,83] versus 2.88 jours [IC 2,68- 3,56] ; P = 0,01).

Critères de jugement secondaires
  • Critère composite (décès lié au PTT, exacerbation du PTT, au moins un accident thrombo-embolique majeur pendant la période de traitement). Ces évènements étaient significativement plus fréquents dans le groupe placebo (49% vs 12%, p<0.001).
    • Faible taux de décès pendant la période de traitement : aucun dans le groupe caplacizumab, 3 (4%) dans le groupe placebo. Un malade du groupe caplacizumab était décédé pendant la période de suivi.
    • Taux d’exacerbations et de rechutes plus faible dans le groupe caplacizumab (12% vs 38%, p<0.001), de même que le taux de PTT réfractaires (non réponse au traitement à J4) mais de façon non significative (0% vs 4%, p=0.06).
  • Délai de normalisation de 3 marqueurs de souffrance d’organe (LDH, troponine, créatinine) était plus court dans le groupe caplacizumab (2.86 vs 36 jours).
  • Diminution du nombre de séances d’EP nécessaires dans le groupe caplacizumab.
  • Diminution de la durée d’hospitalisation en réanimation et hospitalière dans le groupe caplacizumab

En dehors de la corticothérapie, le principal immunosuppresseur utilisé était le Rituximab (39% dans le groupe caplacizumab vs 48% dans le groupe placebo).

Parmi les malades ayant présenté une exacerbation après l’arrêt des EP, 28/31 avaient une activité ADAMTS13 encore < 10%. Au cours de la période de suivi après l’arrêt du caplacizumab ou du placebo, 24% des malades avaient une activité ADAMTS13 < 10% et un tiers d’entre eux ont rechuté.

Effets indésirables analysés selon le nombre réel de patients exposés au caplacizumab (randomisation initiale + traitement en ouvert dans le groupe placebo).

  • Les principaux effets indésirables étaient hémorragiques (principalement épistaxis et gingivorragies), plus fréquents dans le groupe caplacizumab (65 % vs 48% ; hémorragies sévères : 11% vs 1%).

Des évènements indésirables sévères (généralement hémorragiques ou thrombotiques) non liés au PTT, furent notés chez 32 % des patients du groupe caplacizumab versus 16% des malades du groupe placebo. Ces évènements ont conduit à stopper le traitement chez 5 patients sous caplacizumab et 9 patients sous placebo. Aucun décès n’était attribuable à un effet indésirable.

Commentaires

Le PTT acquis est une pathologie caractérisée par un déficit en ADAMTS13, le plus souvent d’origine auto-immune. Le pronostic est directement lié aux atteintes ischémiques d’organes. Le traitement de ces microthrombi est donc primordial. Ces thrombi étant principalement formés de plaquettes, les anticoagulants n’ont pas grand intérêt et sont même contre-indiqués à la phase initiale en raison du risque hémorragique associé à la thrombopénie. Les études sur les antiagrégants plaquettaires sont rares et peu concluantes. Le caplacizumab n’a pas d’effet sur les thrombi déjà constitués car son site de liaison au VWF n’est plus accessible une fois que la plaquette y a adhéré. En revanche, il prévient la phase initiale de formation du thrombus et augmente la clairance du VWF, ce qui explique son potentiel intérêt à la phase précoce des PTT.

L’étude montre que cette utilisation précoce est associée à une meilleure réponse initiale et à une diminution du nombre d’exacerbations ou de rechutes avec un profil de toxicité acceptable. Même s’il ne s’agissait pas du critère de jugement principal, on peut noter que c’est la première fois qu’une étude sur le PTT enregistre aussi peu de décès et aucun sous traitement par caplacizumab que ce soit dans cet essai de phase III ou dans la phase II précédente.

Les études de phase II et III suggèrent également un effet protecteur du caplacizumab après l’arrêt des EP, alors que l’activité ADAMTS13 est encore basse, c’est-à-dire dans les 30 jours suivant l’arrêt des EP, voire plus longtemps pour certains patients. Ces essais ne permettent cependant pas de déterminer parfaitement la durée optimale de traitement par caplacizumab.

Cela souligne surtout l’importance d’un traitement multimodal des PTT :

  • Un apport URGENT en protéine ADAMTS13 par les échanges plasmatiques.
  • Un traitement inhibant l’adhésion plaquettaire à la phase précoce. A l’heure actuelle, seul le caplacizumab, via cette étude, a montré son intérêt.
  • Un traitement immunosuppresseur afin de restaurer le plus rapidement et durablement possible l’activité de la protéine ADAMTS13, inhibée par des auto-anticorps.

Le caplacizumab ne peut se substituer à l’apport de plasma et aux immunosuppresseurs.

Points forts

Nature multinationale, prospective et randomisée.

Points faibles
  • Le critère d’évaluation principal limité à la réponse biologique au traitement initial.
  • L’absence d’élément sur l’évolution clinique des atteintes d’organes ou les séquelles, notamment neurologiques.
  • L’absence d’homogénéité dans l’utilisation du Rituximab.
  • L’absence de données sur les antiagrégants ou anticoagulants utilisés par les praticiens et leur rôle dans la survenue des complications hémorragiques.
Implications et conclusions

Sur la base de cette étude, une AMM européenne du Caplacizumab a été délivrée en septembre 2018 et l’ANSM a accordé une ATU de cohorte en France en août 2018 pour l’indication : « Traitement des adultes présentant un épisode de purpura thrombotique thrombocytopénique acquis (PTTa) conjointement à un traitement par échanges plasmatiques et par immunosuppresseurs ».

L’utilisation du Caplacizumab est donc actuellement justifiée dans la prise en charge initiale des PTT acquis de l’adulte, en faisant particulièrement attention aux facteurs de risque hémorragique.

Plusieurs questions restent cependant en suspens :

  • La gestion d’éventuels traitements antiagrégants ou anticoagulants associés,
  • La durée optimale de traitement en fonction ou non de l’activité ADAMTS13 résiduelle,
  • L’uniformisation du traitement immunosuppresseur associé,
  • L’analyse médico-économique.

Un observatoire de l’utilisation du caplacizumab en conditions réelles (en dehors d’une étude industrielle) parait donc nécessaire afin de répondre à ces questions et d’évaluer notamment la toxicité et le risque hémorragique.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr Amélie Seguin, service de Médecine Intensive Réanimation, CHU Nantes, Hôtel-Dieu, France.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.

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CERC

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