Le ceftobiprole : peut-être une nouvelle option dans la bactériémie à SARM ?

14/02/2024
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Holland TL et al. ERADICATE Study Group. Ceftobiprole for Treatment of Complicated Staphylococcus aureus Bacteremia. N Engl J Med. 2023 Oct 12;389(15):1390-1401.

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Question évaluée 

Le ceftobiprole est-il non inférieur à la daptomycine dans le traitement d’une bactériémie compliquée à Staphylococcus aureus ?

Type d’étude

Essai de phase 3, prospectif, randomisé, en double aveugle, avec double-placebo, multicentrique international

Population étudiée

Patients adultes ayant une hémoculture positive à S. aureus (< 72h avant la randomisation) ET répondant à la définition de bactériémie compliquée :

  • Soit persistante ≥3 jours malgré une antibiothérapie adaptée (avant la randomisation)
  • Soit chez un patient en hémodialyse au long cours
  • Soit associée à l’une des situations suivantes :
    • Une infection des parties molles
    • Un abcès abdominal
    • Une infection ostéo-articulaire
    • Une thrombophlébite septique
    • Un embole pulmonaire septique
    • Un abcès épidural ou cérébral
    • Une endocardite sur valve native du cœur droit

Les critères d’exclusion comprenaient notamment :

  • Présence de matériel endovasculaire non amovible (y compris stimulateurs cardiaques et prothèses valvulaires)
  • Pneumonie
  • Antibiothérapie systémique potentiellement efficace sur le staphylocoque de plus de 48 heures dans les 7 jours avant la randomisation (hors bactériémie persistante)
  • Infection concomitante à bacille gram-négatif résistant au ceftobiprole ou l’aztréonam
  • Endocardite du cœur gauche
  • Neutropénie (<0.5x109/L), infection opportuniste récente, taux de CD4<100cellules/mm3, traitement prophylactique par Cotrimoxazole.

L’essai a eu lieu dans 17 pays (60 sites, 97% des patients hors des Etats-Unis) d’août 2018 à mars 2022.

Méthode

Les sujets inclus étaient randomisés avec un ratio 1:1 pour recevoir :

  • Ceftobiprole IV 500 mg/6 h pendant 8 jours puis 500 mg/8 h.

OU

  • Daptomycine 6-10 mg/kg/24 h
    • +/- Aztreonam (pour une couverture anti-Gram négatif si estimé nécessaire à la discrétion des cliniciens)

Tous les sujets recevaient, en plus du ceftobiprole ou de la daptomycine, un placebo de l’autre antibiotique.

Le critère de jugement principal était le succès clinique à 70 jours après la randomisation, critère composite défini par l’ensemble des critères suivants :

  • La survie
  • La stérilisation des hémocultures
  • L’amélioration des symptômes
  • L’absence de nouvelle complication liée à la bactériémie à S. aureus
  • L’absence d’utilisation d’un autre antibiotique potentiellement efficace

Le calcul d’effectif s’appuyait sur une marge de non-infériorité de l’intervalle de confiance de la différence d’efficacité entre les deux groupes fixée à 15%.

L’essai était conçu et financé par le laboratoire pharmaceutique Suisse Basilea qui commercialise le ceftobiprole (Mabelio®).

Résultats essentiels
  • 387 patients (189 ceftobiprole, 198 daptomycine) ont été inclus, avec un age médian de 58 ans (69.3% d’hommes).
  • La bactériémie était compliquée par une infection des tissus mous (61.2% des patients), une infection ostéo-articulaire (17.3%), un abcès intra-abdominal (14.2%), une dialyse chronique (12.7%), une bactériémie persistante (8.3%), une endocardite du cœur droit (6.5%).
  • Il y avait 24.3% de bactériémie à S. aureus résistants à la méticilline (SARM) dans les 2 groupes (45 dans le bras ceftobiprole, 49 dans le bras daptomycine). Les CMI au ceftobiprole étaient entre 0.12-1 mg/l pour les S. aureus sensibles à la méticilline (SASM) et entre 0.5-2 mg/l pour les SARM.
  • La durée médiane de traitement était de 21 jours. L’aztréonam a été prescrit chez 41.4% des patients ayant reçu de la daptomycine (un pourcentage équivalent de patient a reçu le placebo dans le bras ceftobiprole). La dose médiane de daptomycine utilisée était de 6.1 mg/kg, et 11.1% des patients ont reçu une dose > 7.0 mg/kg.
  • Le ceftobiprole n’était pas inférieur à la daptomycine pour le critère de jugement principal : le succès du traitement était atteint pour 69.8% des patients traités par ceftobiprole contre 68.7% dans le bras daptomycine (différence ajustée entre les deux groupes : 2.0% (-7.1 to 11.1)).
  • Il n’était pas retrouvé de différence entre les groupes pour les critères de jugement secondaires, en particulier sur la mortalité (9% dans le groupe Ceftobiprole versus 9.1% dans le groupe daptomycine). Le temps médian de stérilisation des hémocultures était d’une part pour les SASM de 3 jours [95%IC :3-5] dans le groupe ceftobiprole, et 4 jours [95%IC : 3-5] dans le groupe daptomycine ; d’autre part pour les SARM de 5 jours [95%IC :3-6] dans le groupe ceftobiprole et 5 jours [95%IC : 4-6] dans le groupe daptomycine 
  •  La fréquence des effets indésirables était similaire entre les groupes ceftobiprole et daptomycine respectivement (63.4% versus 59.1%), Il y avait selon les investigateurs plus d’effets indésirables dans le groupe ceftobiprole en particulier plus de troubles gastro-intestinaux (9.4% versus 1.5%) et d’hypokaliémie (8.9% vs 2.5%).
Commentaires

L’étude conclut à la non-infériorité du ceftobiprole par rapport à la daptomycine dans le traitement des bactériémies compliquées à S. aureus.

Le ceftobiprole, comme la ceftaroline, est une céphalosporine ayant une activité bactéricide sur les SASM et les SARM. L’intérêt du ceftobiprole réside surtout dans le traitement des infections graves à SARM car peu de molécules ont été évaluées et sont disponibles dans cette indication.

Les résultats de cet essai randomisé comparant deux molécules en monothérapie dans le traitement des bactériémies à S. aureus étaient attendus car le précédent remonte à 20061. Les auteurs ont choisi la daptomycine comme comparateur en raison d’une probable meilleure efficacité par rapport à la vancomycine dans la bactériémie à SARM. Le succès de traitement sous daptomycine était plus important qu’attendu dans cette étude pour plusieurs raisons : des durées d’antibiothérapies plus longues (2 jours versus 14 jours), et une prise en charge plus agressive du contrôle de la source. La ceftaroline a été plus testée que le ceftobiprole dans les bactériémies à SARM, cependant les études portent essentiellement sur l’usage de ces β-lactamines en combinaison avec la daptomycine ou la vancomycine et peu de données sont disponibles sur leur utilisation en monothérapie. Les CMI du ceftobiprole vis-à-vis des SARM sont probablement plus basses que celles de la ceftaroline. Le spectre du ceftobiprole est également plus large avec une meilleure activité sur les entérocoques et P. aeruginosa mais avec le risque inhérent d’une plus forte pression de sélection et de risque d’émergence de résistance.

Points forts 
  • Le design de l’étude multicentrique en double aveugle avec double placebo est le principal point fort avec une méthodologie robuste et un bilan d’extension standardisé.
  • La randomisation est homogène et les résultats sont cohérents sur les critères de jugement secondaires et dans les sous-groupes.
  • Les données de tolérance sont particulièrement détaillées.
Points faibles

L’étude pose trois principaux problèmes limitant la généralisation des résultats :

    • D’une part, seuls 24% des patients inclus sont infectés à SARM alors que ce sous-groupe constitue l’indication cible du ceftobiprole. Or les CMI au ceftobiprole pour les SARM sont 2 à 4 fois plus élevées que pour les SASM. Cela est d’autant plus questionnant que la daptomycine semble avoir une meilleure efficacité dans le sous-groupe des patients infectés à SARM.
    • D’autre part, on peut se demander si la daptomycine a été utilisée dans des conditions garantissant une efficacité optimale. Les doses utilisées de daptomycine pour la grande majorité des patients de l’étude (dose médiane : 6.1mg/kg/jour) sont plus basses que celles recommandées et utilisées en France pour les bactériémies compliquées à SARM
    • Enfin, on peut interroger la définition de bactériémie compliquée utilisée. En effet, 61% des patients ont été inclus sur le critère bactériémie « associée à une infection des tissus mous ». L’inclusion de ces patients dont le pronostic est meilleur pourrait en partie expliquer le taux de succès plus élevé observé dans cette étude.
Implications et conclusions

La non-infériorité du ceftobiprole aurait-elle été confirmée sur une population de patients présentant une bactériémie à SARM authentiquement compliquée en comparaison à la daptomycine à la dose de 8-10 mg/kg/j ? L’étude ne permet pas de répondre à cette question. En revanche cet essai apporte tout de même de précieuses informations sur l’efficacité du ceftobiprole et de la daptomycine dans les bactériémies à S. aureus avec la qualité de recueil d’un essai prospectif. Les profils d’efficacité et de tolérance du ceftobiprole mis en évidence dans l’étude s’ajoutent aux données déjà disponibles sur la ceftaroline pour laisser une place progressive à ces nouvelles beta-lactamines dans le traitement des infections sévères à SARM. Il est important de garder à l’esprit que ces β-lactamines anti-SARM ont un spectre beaucoup plus large que les glycopeptides ou la daptomycine. Elles ne constituent donc pas une option écologiquement pertinente dans le traitement définitif des bactériémies monomicrobiennes à Staphylococcus aureus.

À la suite de la publication de l’essai, le laboratoire Basilea a fait une nouvelle demande de NDA (New Drug Application) auprès de la FDA. Demande qui avait été rejetée une première fois en 2008. Réponse attendue pour 2024. D’autres études sont encore nécessaires notamment pour explorer l’intérêt des associations ceftobiprole/ceftaroline avec vancomycine/daptomycine pour les endocardites du cœur gauche, les infections de matériel endovasculaires ou les bactériémies soutenues.

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RÉFÉRENCES

1.        Fowler VG, Boucher HW, Corey GR, et al. Daptomycin versus Standard Therapy for Bacteremia and Endocarditis Caused by Staphylococcus aureus. N Engl J Med. 2006;355(7):653-665. doi:10.1056/NEJMoa053783

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Pierre Danneels et le Pr Vincent Dubée, Service des maladies infectieuses et tropicales du CHU d’Angers.

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (Pierre.danneels@chu-angers.fr; Vincent.dubee@chu-angers.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI