Choc cardiogénique, l’ECMO n’est pas automatique …

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Thiele H, Zeymer U, Akin I, et al. Extracorporeal Life Support in Infarct-Related Cardiogenic Shock. N Engl J Med. 2023 Oct 5;389(14):1286-1297. doi: 10.1056/NEJMoa2307227. Epub 2023 Aug 26. PMID: 37634145.

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Question évaluée :  

L’utilisation précoce et systématique de l’Extracorporeal Membrane Oxygenation (ECMO-VA) est-elle supérieure au traitement médical seul en terme de survie à 30 jours, chez des patients en choc cardiogénique dans les suites d’un infarctus du myocarde (IDM) ?

Type d’étude : 

Essai contrôlé randomisé, multicentrique, ouvert, de supériorité.

Population étudiée : 

Patients âgés de 18 à 80 ans admis pour un choc cardiogénique dans les suites d’un IDM (avec ou sans sus-décalage du segment ST) chez qui une revascularisation coronaire était planifiée (chirurgicale ou endovasculaire). Le choc cardiogénique était défini par une pression artérielle systolique <90 mmHg pendant plus de 30 minutes (ou la nécessité de vasopresseur pour maintenir cette pression), le lactate >3 mmol/l et des signes cliniques d’atteinte de la perfusion des organes.  

Les principaux critères de non inclusion étaient : l’arrêt cardiocirculatoire (ACR) prolongé (>45 min), la présence d’une complication mécanique de l’IDM, un délai >12 heures entre l’installation du choc et la randomisation ainsi que la présence d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs sévère antérieurement connue.

Méthodes et analyse statistique : 

Cet essai contrôlé multicentrique en ouvert a randomisé les patients 1:1 dans deux groupes parallèles, avec une procédure utilisant des blocs de randomisation de taille variable et une stratification selon le centre :  

  1. Dans le bras interventionnel, l’ECMO-VA était implantée de façon précoce et systématique, si possible lors de la coronarographie, et avant revascularisation par angioplastie.
  2.  Dans le bras contrôle, les patients recevaient le traitement médical optimal usuel. Les crossovers pour l’ECMO-VA devaient être évités et en cas de détérioration sévère de l’état hémodynamique, un ballon de contre-pulsion intra aortique ou une pompe micro-axiale trans-valvulaire aortique (type IMPELLA®) pouvaient être implantés.

Dans les deux bras de randomisation les patients devaient obligatoirement bénéficier d’une revascularisation coronaire précoce, de préférence par voie endovasculaire (à défaut une revascularisation chirurgicale).

Le critère de jugement principal était la mortalité toutes causes confondues à 30 jours.

Pour le calcul de l’effectif, le taux de mortalité avait été estimé à 49% dans le bras contrôle et la réduction absolue du risque de décès grâce à l’intervention fixée à 14%, soit une mortalité attendue de 35% dans le bras interventionnel. Avec un risque alpha à 5%, une puissance à 80% et un taux de perdus de vue/exclus de 6%, les auteurs avaient prévu la randomisation de 420 patients.

Résultat essentiel : 

De juin 2019 à novembre 2022, 420 patients ont été randomisés dans les 44 centres participants (allemands et slovènes). 417 patients ont pu être analysés (209 dans le bras ECMO et 208 dans le bras traitement médical seul).

Le taux de mortalité toutes causes à 30 jours était de 48% dans le groupe interventionnel et de 49% dans le groupe traitement médical (risque relatif 0.98 ; IC95% 0.80 –1.19, P=0.81). De même, aucune différence de survie n’a été observée dans les sous-groupes prédéfinis.

Dans le bras ECMO, un nombre plus important d’ischémies de membre inférieur (11% vs. 3.8%, RR 2.86, IC95% 1.31 – 6.25) ainsi que de saignements modérés à sévères selon la classification de BARC (23.4% vs. 9.6%, RR 2.44, IC95% 1.5– 3.95) ont été constatés.

Commentaires : 

L’étude ECLS-SHOCK a été dessinée et réalisée par un groupe de recherche particulièrement expert dans la conduite des études cliniques dans le choc cardiogénique de l’IDM et la méthodologie utilisée est irréprochable. C’est l’étude la plus large à ce jour évaluant une assistance cardiaque mécanique temporaire dans cette indication. Quelques particularités de l’essai doivent cependant être discutées pour tenter d’expliquer la neutralité de ses résultats.

Population de l’étude :

Le pourcentage de malades inclus ayant présenté un ACR était très élevé (77.7%) et largement supérieur à ceux rapportés dans les autres essais randomisés sur le choc cardiogénique post-IDM (45% dans l’essai IABP-SHOCK-II [1] et 53% dans l’essai CULPRIT-SHOCK [2]) et dans les registres internationaux (environ 40% d’ACR pré-hospitaliers dans cette situation) [3,4]. La durée du low-flow était également très prolongée (médiane de 20 minutes pour la période de réanimation continue la plus longue). Comme le phénotype hémodynamique des malades inclus dans l’essai n’a pas été déterminé, il est probable que certains aient présenté un profil principalement vasoplégique avec préservation du débit cardiaque, comme peut aussi le suggérer le faible pourcentage (35%) de malades recevant de la dobutamine à l’inclusion. Il faut souligner que l’ECMO-VA est peu utile dans ce contexte, à l’inverse des situations de grand bas débit cardiaque où l’assistance permet de restaurer la perfusion tissulaire.

Concernant les assistances circulatoires utilisées dans le bras contrôle :

Dans ECLS-SHOCK, 26 (12.5%) patients ont bénéficié d’une ECMO en « crossover » dans le bras contrôle et 28 (15%) ont reçu une autre assistance (principalement une pompe micro-axiale trans-valvulaire aortique IMPELLA®), soit au total 26% de la population contrôle. ECLS-SHOCK a donc en fait comparé ECMO systématique précoce et assistance circulatoire mécanique en cas de détérioration hémodynamique sous traitement médical. Par ailleurs, 55% (56/102) des décès du bras contrôle étaient dus à un choc cardiogénique réfractaire, posant la question d’une sous-utilisation de l’assistance dans cette situation.

Concernant la prise en charge des malades dans le bras interventionnel :

Une des limites majeures de cette étude est le très faible recours (5.8%) à la mise en place d’une décharge ventriculaire gauche (par IABP ou pompe IMPELLA) dans le bras interventionnel, alors que des données récentes suggèrent un bénéfice important (mortalité réduite de 25% à 35%) avec cette association [5,6].

Par ailleurs, la durée médiane d’ECMO-VA dans le bras interventionnel n’a été que de 2.7 (IQR 1.5 – 4.8) jours, ce qui est très court (7 à 10 jours dans les registres et études antérieurs) et questionne encore une fois le phénotype hémodynamique des malades inclus ainsi que le protocole de sevrage de l’ECMO. Il est également surprenant que 51% des malades du bras ECMO soient décédés de choc cardiogénique réfractaire malgré l’ECMO. Enfin, un seul malade de ce groupe a bénéficié d’une assistance ventriculaire de longue durée et aucun n’a été transplanté alors que 6% à 40% des survivants d’un choc cardiogénique post-IDM avaient nécessité une transplantation ou une assistance ventriculaire de longue durée pour absence de récupération de la fonction cardiaque dans des séries antérieures [1].

Points forts :
  • Premier essai randomisé de grande envergure s’intéressant à cette problématique
  • Equipe rompue à la conduite des études cliniques dans le choc cardiogénique
  • Méthodologie de l’étude irréprochable
Points faibles : 
  • Taux très élevé d’ACR pré randomisation biaisant l’analyse de la survie et de l’efficacité de l’ECMO
  • Très peu d’utilisation de décharge ventriculaire gauche sous ECMO, ayant pu conduire à une augmentation importante de la mortalité
  • Phénotype hémodynamique des malades inclus non caractérisé
  • Plus d’un quart des malades dans le bras contrôle ont reçu une assistance circulatoire dont l’ECMO elle-même.
Implications et conclusions : 

Pour ce qui est de la mortalité à 30 jours, l’étude ECLS-SHOCK n’a pas démontré la supériorité de l’emploi précoce et systématique de l’ECMO-VA dans une population de patients non sélectionnés en choc cardiogénique dans les suites d’un IDM (dont 80% avaient présenté un arrêt cardiaque souvent prolongé). Ces résultats insistent sur la nécessité d’affiner les critères de sélection des patients candidats à l’ECMO-VA et n’encourage pas l’emploi systématique de l’ECMO dans cette situation. D’autres résultats sont attendus de l’essai français ANCHOR (NCT04184635) actuellement en cours.

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RÉFÉRENCES

[1]      Thiele H, Zeymer U, Neumann F-J, et al. Intraaortic Balloon Support for Myocardial Infarction with Cardiogenic Shock. N Engl J Med 2012;367:1287–96. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1208410.

[2]       Thiele H, Akin I, Sandri M, et al. PCI Strategies in Patients with Acute Myocardial Infarction and Cardiogenic Shock. N Engl J Med 2017;377:2419–32. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1710261.

[3]       Jentzer JC, van Diepen S, Barsness GW, et al. Cardiogenic Shock Classification to Predict Mortality in the Cardiac Intensive Care Unit. J Am Coll Cardiol 2019;74:2117–28. https://doi.org/10.1016/j.jacc.2019.07.077.

[4]       Berg DD, Bohula EA, van Diepen S, et al. Epidemiology of Shock in Contemporary Cardiac Intensive Care Units: Data From the Critical Care Cardiology Trials Network Registry. Circ Cardiovasc Qual Outcomes 2019;12. https://doi.org/10.1161/CIRCOUTCOMES.119.005618.

[5]       Grandin EW, Nunez JI, Willar B, et al. Mechanical Left Ventricular Unloading in Patients Undergoing Venoarterial Extracorporeal Membrane Oxygenation. J Am Coll Cardiol 2022;79:1239–50. https://doi.org/10.1016/j.jacc.2022.01.032.

[6]       Schrage B, Becher PM, Bernhardt A, et al. Left Ventricular Unloading Is Associated With Lower Mortality in Patients With Cardiogenic Shock Treated With Venoarterial Extracorporeal Membrane Oxygenation: Results From an International, Multicenter Cohort Study. Circulation 2020;142:2095–106. https://doi.org/10.1161/CIRCULATIONAHA.120.048792.

 

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    CONFLIT D'INTÉRÊTS

    Article commenté par Ouriel SAURA, David LÉVY et Alain Combes, Service de Médecine Intensive Réanimation, APHP-Sorbonne Université Pitié Salpêtrière, Paris.

    Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

    Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

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    CERC

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