Choc cardiogénique : stimulation β trop c’est trop !

05/09/2019
Image
reactu-choc cardiogenique
Texte

Epinephrine Versus Norepinephrine for Cardiogenic Shock After Acute Myocardial Infarction.

Levy B, Clere-Jehl R, Legras A, Morichau-Beauchant T, Leone M, Frederique G, Quenot JP, Kimmoun A, Cariou A, Lassus J, Harjola VP, Meziani F, Louis G, Rossignol P, Duarte K, Girerd N, Mebazaa A, Vignon P; Collaborators.

J Am Coll Cardiol. 2018 Jul 10;72(2):173-182. doi: 10.1016/j.jacc.2018.04.051.

Texte

Question évaluée

Les médecins réanimateurs sont souvent amenés à prendre en charge des patients en choc cardiogénique. Il s’agit d’un syndrome menaçant, pouvant compliquer de nombreuses maladies, de nature strictement cardiaque, avec en première ligne le syndrome coronaire aigu, et d’autres pathologies comme la myocardite ou les valvulopathies, plus rarement d’autres étiologies comme l’embolie pulmonaire, le sepsis ou les causes toxiques.
Ces dernières années, de nombreuses études ont permis de valider l’intérêt des techniques avancées de support hémodynamique telles que l’ECMO, et de formaliser des recommandations pour la pratique notamment en ce qui concerne la revascularisation précoce dans l’infarctus du myocarde. En revanche, certains aspects de la prise en charge du choc cardiogénique demeurent controversés, c’est le cas en particulier du traitement pharmacologique (1) ; question évaluée dans cette étude.

Type d’étude

Levy et al. ont comparé dans un essai randomisé en double aveugle et sur bras parallèles, l’efficacité et la tolérance de la noradrénaline vs l’adrénaline pour le traitement du choc cardiogénique.

Population étudiée

Cette étude a inclus 57 patients adultes (30 dans le bras noradrénaline et 27 dans le bras adrénaline), hospitalisés en réanimation pour prise en charge d’un choc cardiogénique dans les suites d’un geste de revascularisation pour infarctus du myocarde récent.

Méthodes

Il s’agit d’une étude multicentrique (9 services de réanimation) conduite sur une période de 5 ans (de septembre 2011 à Juin 2016). La randomisation a utilisé une liste préétablie par ordinateur, avec des blocs de 4, et des enveloppes opaques, telles que seul le pharmacien de chaque centre avait connaissance des traitements reçus par les patients. Les traitements de l’étude étaient titrés par paliers de 0,2 µg/kg/min sans limite maximale pour maintenir une pression artérielle moyenne à 65-70 mmHg. Le critère de jugement principal pour l’efficacité était la variation de l’index cardiaque et pour la tolérance la survenue d’un choc réfractaire. Il était prévu d’inclure 40 patients par bras pour détecter une différence moyenne d’au moins 0,38 l/min/m2 pour l’index cardiaque.

Résultats

L’étude a été arrêtée prématurément après l’inclusion du 57ème patient en raison d’une proportion jugée trop élevée de choc réfractaire, notamment dans le bras adrénaline.
Comparativement à la noradrénaline, l’adrénaline a davantage augmenté l’index cardiaque, un effet précoce mais transitoire (jusqu’à 6 heures post-randomisation), , témoignant d’une action inotrope supérieure. Malheureusement, l’adrénaline a eu un effet chronotrope plus important associé à une plus forte augmentation du double produit et donc de la consommation myocardique d’oxygène. (2) L’adrénaline a également entrainé une acidose lactique aérobique, sans différence significative entre noradrénaline et adrénaline concernant les indices de perfusion d’organe, notamment le SvO2 et la différence veino – artérielle de PCO2. Sans qu’il soit possible d’établir de lien de causalité, ces effets beta-adrénergiques semblent avoir été associés à un risque plus grand de choc réfractaire (37% vs 7% des patients dans le groupe « noradrénaline »), effet secondaire ayant conduit à l’arrêt prématuré de l’étude.

Commentaires

Cette étude ré-ouvre la boite de Pandore sur la place des vasopresseurs dans le traitement du choc cardiogénique, et plus spécifiquement en post infarctus. Celle-ci n’a finalement fait l’objet que de peu d’études, dont la plupart ont des effectifs faibles et des résultats contradictoires (3). Conséquemment, les recommandations européennes sur l’utilisation des inotropes et vasopresseurs concluent à un faible niveau de preuve ne permettant pas d’établir un traitement de référence (4).
Les résultats de l’étude de Lévy et al. suggèrent une infériorité de l’adrénaline par rapport à la noradrénaline malgré un meilleur effet inotrope, en raison d’un risque accru de choc cardiogénique réfractaire. Il est à noter que cette complication grave n’était pas un critère de jugement planifié de cette étude.
Ces effets potentiellement délétères de l’adrénaline dans le choc cardiogénique post-infarctus sont donc très différents des effets observés dans le choc septique, de gravité comparable (5). En effet, dans le choc septique aucune différence n’est observée entre adrénaline et noradrénaline en termes de mortalité, de délai d’efficacité du traitement, de défaillances d’organe, de durée de séjour ou d’effets secondaires.
Cette différence entre chocs cardiogénique et septique pourrait être expliquée par les effets métaboliques myocardiques observés sous adrénaline, qui seraient délétères en situation d’ischémie myocardique. En effet, en post-infarctus immédiat, l’hyperstimulation beta-adrénergique pourrait majorer les dépenses énergétiques des myocytes et aggraver les lésions myocardiques liées au phénomène d’« ischémie-reperfusion » suivant la revascularisation percutanée, par altération du milieu extracellulaire, variation de la concentration de calcium intra- myocytaire et augmentation des concentrations de radicaux libres (6).
Les patients, n’étaient-ils pas trop beta-stimulés ?
Il est difficilement compréhensible que le plan méthodologique de l’étude ait permis d’associer adrénaline et dobutamine chez un même patient. Ainsi, 67% des patients randomisés dans le bras adrénaline ont reçu de la dobutamine à une dose moyenne de 6.1µg/kg/min, ce qui ne peut pas être considéré comme une pratique routinière. Il eût été préférable que les patients du bras adrénaline reçoivent un placebo de dobutamine, permettant de conserver le double insu et à certains patients du bras noradrénaline de recevoir de la dobutamine, comme précédemment publié (5).
Il est donc parfaitement concevable que ce ne soit pas l’adrénaline qui ait été délétère mais son association à la dobutamine, entrainant un effet inotrope négatif paradoxal par sur-stimulation beta-adrénergique, mécanisme physiopathologique analogue à celui constaté dans la cardiomyopathie de stress (7). Ce mécanisme est possiblement étayé par l’observation par Lévy et al. d’augmentation significative de la cytokine « de stress » GDF 15 sans modification des concentrations de troponine T ultrasensible et de NT-proBNP. En réanimation, une surmortalité liée à une sur-stimulation béta-adrénergique par fortes doses de dobutamine avait déjà été rapportée par Hayes et al. (8) (9).

Points forts

Il s’agissait d’un essai multicentrique, randomisé en double insu minimisant les biais de sélection et de performance. La population étudiée était plutôt homogène et correspondant à un problème clinique majeur.

Points faibles

Le critère de jugement principal n’est pas un critère « centré » sur le patient, mais un critère intermédiaire. Il aurait pu être souhaitable d’utiliser comme critère principal la survie, ou un critère composite basé sur mortalité et suppléances vitales (e .g. nombre de jours vivant sans suppléance hémodynamique ni respiratoire).
La modification secondaire (après la fin du recrutement) du plan d’analyse statistique et des critères secondaires est une source majeure de biais. Enfin, le choix de rendre possible l’association adrénaline plus dobutamine a probablement défavorisé le bras adrénaline.

Implications et conclusions

L’hyperstimulation beta-adrénergique par association adrénaline plus dobutamine est délétère chez les patients avec peu de réserve fonctionnelle, comme dans les états de choc, notamment d’origine ischémique. Il n’existe pas de traitement pharmacologique standard univoque pour le choc cardiogénique et celui-ci doit être adapté à l’étiologie.

Texte

Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr Francesca Santi et le Pr Djillali Annane, Service de médecine intensive réanimation, CHU Raymond Poincaré, Faculté Simone Veil Santé, et U1173 INSERM/ Université Paris Saclay – Université de Versailles SQY, 104 boulevard Raymond Poincaré, 92380 Garches, France.

F. Santi et D. Annane déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (djillali.annane@aphp.fr) ou à la CERC.

Texte

Liens utiles

  1. van Diepen S, Katz JN, Albert NM, Henry TD, Jacobs AK, Kapur NK, et al. Contemporary Management of Cardiogenic Shock: A Scientific Statement From the American Heart Association. Circulation [Internet]. 2017 Oct 17 [cited 2019 May 19];136(16). Available from: https://www.ahajournals.org/doi/10.1161/CIR.0000000000000525
  2. Nelson RR, Gobel FL, Jorgensen C, Wang K, Wang Y, Taylor HL. Hemodynamic predictors of myocardial oxygen consumption during static and dynamic exercise. Circulation. 1974;50(6):1179–89.
  3. Schumann J, Henrich EC, Strobl H, Prondzinsky R, Weiche S, Thiele H, et al. Inotropic agents and vasodilator strategies for the treatment of cardiogenic shock or low cardiac output syndrome. Cochrane Heart Group, editor. Cochrane Database Syst Rev [Internet]. 2018 Jan 29 [cited 2019 May 19]; Available from: http://doi.wiley.com/10.1002/14651858.CD009669.pub3
  4. Ponikowski P, Voors AA, Anker SD, Bueno H, Cleland JGF, Coats AJS, et al. 2016 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: The Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC)Developed with the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC. Eur Heart J. 2016 Jul 14;37(27):2129–200.
  5. Annane D, Vignon P, Renault A, Bollaert P-E, Charpentier C, Martin C, et al. Norepinephrine plus dobutamine versus epinephrine alone for management of septic shock: a randomised trial. The Lancet. 2007 Aug;370(9588):676–84.
  6. Ndrepepa G, Colleran R, Kastrati A. Reperfusion injury in ST-segment elevation myocardial infarction: the final frontier. Coron Artery Dis. 2017 May;28(3):253–62.
  7. Esnault P, Née L, Signouret T, Jaussaud N, Kerbaul F. Reverse Takotsubo cardiomyopathy after iatrogenic epinephrine injection requiring percutaneous extracorporeal membrane oxygenation. Can J Anesth Can Anesth. 2014 Dec;61(12):1093–7.
  8. Hayes MA, Timmins AC, Yau E, Palazzo M, Hinds CJ, Watson D. Elevation of Systemic Oxygen Delivery in the Treatment of Critically Ill Patients. N Engl J Med. 1994 Jun 16;330(24):1717–22.
  9. Hayes MA, Timmins AC, Yau EH, Palazzo M, Watson D, Hinds CJ. Oxygen transport patterns in patients with sepsis syndrome or septic shock: influence of treatment and relationship to outcome. Crit Care Med. 1997 Jun;25(6):926–36.
Texte

CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
S. HRAIECH
G. JACQ
JF. LLIJTOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX