Corticoïdes et pneumopathies : Game over ?

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Meduri GU, Shih MC, Bridges L et al. Low-dose methylprednisolone treatment in critically ill patients with severe community-acquired pneumonia. Intensive Care Med 2022;48:1009-23.

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Question évaluée :

Chez des patients admis en soins intensifs pour une pneumonie communautaire ou une pneumonie associée aux soins, avec les critères de sévérité de l’ATS/IDSA modifiés, une corticothérapie de 20 jours par faible dose de méthylprednisolone, débutée au plus tard 96 heures après l’arrivée à l’hôpital, réduit-elle la mortalité mesurée au 60ème jour après l’inclusion ?

Type d’étude :

Essai randomisé 1:1 contre placebo, en double-aveugle, réalisé dans 42 centres médicaux de l’administration des Vétérans aux États-Unis, de janvier 2012 à août 2016. L’étude devait inclure 1 420 patients ; les inclusions ont été arrêtées huit mois avant la fin théorique pour recrutement trop lent ; 586 patients ont finalement été randomisés dont 584 analysables. Le critère principal de jugement n’était pas disponible pour 21 patients.

Population étudiée :

3 936 patients ont été évalués, dont 577 que le médecin en charge a estimé être de mauvais candidats, 450 qui ont refusé leur participation, et 2 324 qui présentaient un ou plusieurs critères de non-inclusion, ou auxquels manquaient un ou plusieurs critères d’inclusion. Sur les 584 patients analysables, plus de 96% étaient des hommes. L’âge moyen était de 69 ans, 97% de patients avaient des comorbidités (score de Charlson moyen à 5,7), dont 50% étaient diabétiques et 18% immunodéprimés ; 82% étaient dans les groupes 4 ou 5 du score de Fine.  Un tiers des patients étaient ventilés mécaniquement à l’inclusion. Quand il a été mesuré, le rapport PaO2:FiO2 moyen était proche de 185 ; pour les autres patients, le rapport SpO2:FiO2 moyen était proche de 285. Le score SOFA moyen était de 6,5. Des vasoconstricteurs étaient administrés à l’inclusion chez 13% des patients, avec une dose maximale fixée à 0,3 microg/kg/min. L’antibiothérapie initiale a été estimée adaptée chez 96% des patients. Un diagnostic microbiologique a été porté chez 43% des patients.

Méthode :

Un bolus de 40 mg de méthylprednisolone (ou un volume équivalent de placebo) était administré, suivi d’une perfusion continue de 40 mg/j pendant sept jours, puis d’une décroissance progressive jusqu’au 20ème jour, avec un relais à la sortie de soins intensifs par deux injections par jour ou par voie orale. Les patients étaient suivis jusqu’à six mois, et la survie à un an évaluée d’après les dossiers.

Résultats essentiels :

La mortalité au 60ème jour était de 16% chez les patients randomisés pour recevoir de la méthylprednisolone, et de 18% pour le placebo, une différence non significative (odds ratio brut 0,89, IC95% 0,58-1,38, p=0,61). Seuls 25 patients (12 vs. 13) ont développé un choc ou un SDRA secondaire. Aucun critère de jugement secondaire n’a montré de différence significative, que ce soit pendant ou après l’hospitalisation. La mortalité à un an était de 30 et 33%, respectivement (p=1,0). Les effets secondaires ont été répartis équitablement entre les deux groupes, qualitativement et quantitativement ; notamment, 25 et 26% des patients, respectivement, ont développé une infection dans les 6 mois suivant l’inclusion.

Commentaires :

Il s’agit du 1er essai randomisé multicentrique large ayant cherché à montrer une réduction de mortalité avec les corticoïdes chez des patients admis en soins intensifs pour pneumopathie sévère. Même si les nombreuses méta-analyses publiées sur cette question suggéraient un tel bénéfice, [1] elles étaient fondées sur des études de trop faible effectif, trop hétérogènes en termes de sévérité, mais aussi de modalités de la corticothérapie (type, dose, délai d’administration et durée de traitement) pour emporter l’adhésion. L’exclusion des études à risque de biais annulait d’ailleurs ce bénéfice.[2] L’essai, négatif, a un poids important de par le nombre de patients inclus, et une méta-analyse récente a conclus à l’absence de bénéfice des corticoïdes dans cette situation.[3] Les dernières recommandations publiées, européennes et sud-américaines, ne suggèrent d’utiliser des corticoïdes que si la pneumonie est responsable d’un choc septique.[4] Pour autant le débat est-il clos ?

Évidemment non ! L’essai CAPE-COD réalisé en France et publié récemment montre lui un bénéfice à l’administration d’hydrocortisone chez des patients admis en soins intensifs pour une pneumonie sévère, avec une mortalité au 28ème jour de 6,2% chez les patients randomisés pour recevoir la corticothérapie, et de 11,9% pour le placebo (p=0,006).[5] Parmi les critères de jugement secondaires, une mortalité au 90ème jour également plus faible, et une plus faible proportion de patients devant secondairement être intubés ou recevoir des catécholamines.

Pourquoi ces différences ? Quelques hypothèses peuvent être soulevées :[6] un effet spécifique de l’hydrocortisone, peut-être lié à son effet minéralocorticoïde, ou à un effet d’épargne catécholaminergique déjà montré dans les essais sur le choc septique?[7,8] Une utilisation différente, avec un traitement plus court (5 jours en médiane versus 20 jours) et surtout initié plus tôt (dans les 24h suivant le 1er critère de sévérité, et en médiane 15 heures après l’admission à l’hôpital) ? Un effet plus ample chez la femme ? Une répartition phénotypique différente, notamment en termes de réponse inflammatoire ?

Points forts :
  • Méthode rigoureuse.
  • Suivi long, pertinent dans une affection où morbidité (notamment cardiovasculaire) et mortalité restent élevées au décours du séjour en soins intensifs.
  • Rigueur de l’analyse et de la présentation des résultats.
  • Exhaustivité des informations publiées, notamment sur les effets secondaires observés dans les deux groupes.
Points faibles :
  • Essai interrompu prématurément, avec un risque de perte de puissance.
  • Possible biais de sélection, avec presque autant de patients récusés sur des critères subjectifs que de patients inclus.
  • Population mal représentative, notamment avec très peu de femmes (qui représentent habituellement un tiers des patients dans les cohortes de pneumopathies en réanimation), et un nombre de comorbidités qui semble élevé.
  • Absence de données biologiques à l’admission publiées à ce stade, notamment CRP.
  • Temps médian long entre l’arrivée à l’hôpital et la randomisation (37 heures), avec seulement deux tiers des patients inclus dans les 48 heures suivant l’arrivée à l’hôpital.
Implications et conclusions :


En l’état de nos connaissances, il ne faut pas utiliser la méthylprednisolone dans le but d’améliorer la survie chez des patients admis en soins intensifs pour une pneumopathie communautaire ou associée aux soins. Si elle est utilisée pour d’autres raisons, il semble qu’aux doses et durée employés dans l’étude, elle n’entraîne pas plus de complications qu’un placebo, notamment infectieuses. La place des corticoïdes dans le traitement des pneumonies communautaires graves n’est pas définitivement tranchée par cet essai, mais dans l’analyse de la littérature, il faut probablement ne plus considérer la classe des corticoïdes globalement, mais préciser la molécule utilisée et ses modalités précises d’administration.

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RÉFÉRENCES

 [1] Siemieniuk RAC, Meade MO, Alonso-Coello P et al. Corticosteroid therapy for patients hospitalized with Community-Acquired Pneumonia. A systematic review and meta-analysis; Ann Intern Med 2015;163:519-28.

[2] Stern A, Skalsky K, Avni T, Carrara E, Leibovici L, Paul M. Corticosteroids for pneumonia. Cochrane Database of Systematic Reviews 2017, Issue 12. Art. No.: CD007720.DOI: 10.1002/14651858.CD007720.pub3.

[3] Saleem N, Kulkarni A, Chandos Snow TA et al. Effect of corticosteroids on mortality and clinical cure in Community-Acquired Pneumonia. A systematic review, meta-analysis, and meta-regression of Randomized Control Trials. Chest 2023;163:484-97.

[4] Martin-Loeches I, Torres A, Nagavci B, et al. ERS/ESICM/ESCMID/ALAT guidelines for the management of severe Community-Acquired Pneumonia. Intensive Care Med 2023;49:615-632.

[5] Dequin PF, Meziani F, Quenot JP, et al. Hydrocortisone in severe Community-Acquired Pneumonia. New Engl J Med 2023;388:1931-1941.

[6] Dequin PF, Ramirez J, Waterer G. What’s new with glucocorticosteroids in severe community-acquired pneumonia. Intensive Care Med 2023; DOI: 10.1007/s00134-023-07179-5

[7] Annane D, Renault A, Brun-Buisson C et al. Hydrocortisone plus fludrocortisone fir adults with septic shock. N Engl J Med 2018;378:809-18.

[8] Venkatesh B, Finfer S, Cohen J et al. Adjunctive glucocorticoid therapy in patients with septic shock. N Engl J Med 2018;378:797-808. 

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    CONFLIT D'INTÉRÊTS

    Article commenté Pierre-François Dequin, médecine intensive - réanimation, CHRU de Tours, France.

    L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

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