Un coup de vis et ça repart ?

21/06/2024
Image
i
Texte

Microaxial flow pump or standard care in infarct-related cardiogenic shock, Møller JE, Engstrøm T, Jensen LO, et al (2024) N Engl J Med 390:1382–1393.

Texte
 Question évaluée :

Est-ce que l’ajout d’une assistance mono-ventriculaire percutanée temporaire (Impella CP®), dont le fonctionnement est basé sur le principe de la vis d’Archimède, en plus du traitement médical et de la revascularisation au cours du choc cardiogénique post syndrome coronarien aigu (SCA) avec sus décalage du segment ST, permet de diminuer la mortalité ?

Type d’étude :

Essai contrôlé randomisé multicentrique ouvert réalisé au Danemark, en Allemagne et au Royaume-Uni.

Population étudiée :

Critères d’inclusion :

  • Adultes
  • Choc cardiogénique (récent, < 24 heures, confirmé par des signes d'hypoperfusion tissulaire, une pression artérielle basse nécessitant des vasopresseurs, une fraction d’éjection du ventricule gauche (FEVG) <45%.)
  • SCA ST+ (ST+ ou BBG et une coronarographie démontrant une occlusion aiguë d’une coronaire)

Critères d’exclusion :

  • Durée du choc > 24 heures
  • Autres causes de choc
  • Choc dû à une complication mécanique de l'infarctus du myocarde
  • Arrêt cardiaque extrahospitalier avec un score de Glasgow < 8 persistant après récupération d’une circulation efficace.
  • Signes d'insuffisance ventriculaire droite sévère à l'échocardiographie.
  • Valvulopathie aortique sévère (insuffisance ou rétrécissement)
  • Artériopathie oblitérante des membres inférieurs (AOMI) sévère qui empêcherait la mise en place du dispositif Impella CP®.
  • Anomalies de l'aorte qui empêcheraient la mise en place du dispositif Impella CP®.
  • Présence d'une prothèse valvulaire aortique mécanique.
  • Thrombus intraventriculaire gauche.
  • Endocardite infectieuse
  • Espérance de vie inférieure à 1 an en raison de comorbidités.
  • Trouble cognitif ou barrière de la langue empêchant le consentement éclairé.
Méthode :

Critère de jugement

  • Principal

La mortalité toute cause à J180.

  • Secondaire

1er : escalade du traitement par une assistance circulatoire additionnelle (court ou long terme), transplantation cardiaque ou décès toute cause.

2ème: le nombre de jours vivants hors de l’hôpital.

Critère de sécurité et évènements indésirables

Un critère composite de sécurité incluait les saignements sévères, l'ischémie de membre inférieur, l'hémolyse, dysfonction de l’assistance et l'aggravation d’une insuffisance aortique (IA).

Les évènements indésirables relevés étaient les saignements graves, l’ischémie de membre inférieur, l’accident vasculaire cérébral, le recours à l’épuration extra rénale (EER) et une bactériémie.

Intervention

En plus de la revascularisation et du traitement médical du choc cardiogénique, les patients randomisés dans le groupe intervention ont été implantés d’une Impella CP®.

L’Impella CP® était utilisée à la vitesse maximale tolérée sans complication (sans hémolyse excessive) 48 heures puis un protocole pré spécifié de sevrage était utilisé pour la désescalade. Les critères d’escalade avec un autre type d’assistance étaient également pré spécifié.

Résultats essentiels :

Entre janvier 2013 et juillet 2023, 355 patients ont été inclus dans 14 centres différents (4 au Danemark, 9 en Allemagne et 1 au Royaume-Uni). L’âge médian des patients était de 67 ans avec 79 % d’hommes. Le lactate médian à l’admission était de 4.5 mmol/l et la FEVG de 25%. Pour les traitements, 96% des patients ont eu un stent et 1.4 % ont été pontés en urgence. Dans le groupe intervention 95% soit 170 patients ont eu une implantation réussie de l'Impella CP®.

Pour le critère de jugement principal à savoir la mortalité toute cause à J180 était de 45.8 % dans le groupe l'Impella CP® et de 58.5% dans le groupe traitement standard avec une différence qui était significative 0.74 (IC à 95% : 0.55 à 0.99 ; P=0.04). Le nombre de patients nécessaires à traiter pour éviter un décès était de 8.

Les résultats sur les deux critères de jugements secondaires (escalade du traitement et nombre de jours vivant hors de l’hôpital) étaient également en faveur de l’implantation d’une Impella CP®.

Sur le critère composite de sécurité (saignement sévère, ischémie de membre, hémolyse, dysfonction de l'Impella CP® et d’IA) on notait un surrisque dans le groupe Impella CP®: 24% versus 6.2%, RR 4.74 (IC à 95% : 2.36 à 9.55).  Il y avait également un surrisque d’épuration extra rénale 1.98 (95% CI, 1.27 to 3.09) et de bactériémie 2.79 (95% CI, 1.20 to 6.48) dans le groupe Impella CP®.

Commentaires :

Le choc cardiogénique complique entre 5 et 10% des infarctus du myocarde (IDM) et sa mortalité est de 50% [1]. Une reperfusion rapide de l’artère coronaire responsable de l’IDM est le seul traitement jusqu’à présent à avoir démontré une amélioration de la survie [2].

Après les échecs successifs de IABP SHOCK II [3] pour le ballon de contre-pulsion et de ECLS-SHOCK  [4] pour l’ECMO veino-artérielle, DanGer Shock [5] est la première étude randomisée à démontrer l’intérêt d’ajouter une assistance percutanée temporaire dans le choc cardiogénique post-IDM.

Plusieurs points nécessitent d’être soulignés.

La période de recrutement est prolongée, sur 10 ans, soulignant la difficulté de recrutement dans ce type d’étude sur le choc cardiogénique.

En excluant les patients comateux post arrêt, DanGer SHOCK se démarque d’IABP SHOCK et d’ECLS-SHOCK. En effet, l’incidence des ACR n’était que de 20,3% contre 45% dans IABP SHOCK et 77% dans ECLS-SHOCK. On peut supposer que la différence de mortalité est en partie liée à ce choix dans la sélection des patients qui restaient par ailleurs assez similaires sur les autres critères dans les trois études. En effet, en post-ACR, le pronostic est avant tout neurologique et le bénéfice de l’assistance sur les premiers jours d’hospitalisation est gommé par les décès d’origine neurologique.

On note également que ce sont des centres tertiaires qui ont inclus la majorité des patients. Les résultats seront probablement difficiles à généraliser à d’autres types de centres. L’étude souligne, comme d’autres études rétrospectives [6], le fardeau important des complications hémorragiques, hémolytiques et vasculaires de l’Impella CP®, illustrant la nécessité d’avoir un plateau technique et l’expertise nécessaires pour pouvoir traiter ces complications. Enfin, on note un surrisque d’EER dans le groupe Impella CP® pouvant illustrer le prix à payer d’une hémolyse excessive. Cependant, ce surrisque d’EER peut également être interprété comme un biais de survie des patients ayant reçu l’intervention.

La diminution indispensable des complications, notamment hémorragiques et hémolytiques, est nécessaire [7]. Certains progrès ont été réalisés, notamment avec le nouveau modèle d’Impella CP® (Smart Assist), permettant théoriquement de se passer d’héparine dans le soluté de purge du moteur en le remplaçant par un mélange de bicarbonates molaires et de glucose 5%, permettant de diminuer le niveau d’anticoagulation et donc de saignement.

Quelques questions restent néanmoins en suspens notamment le timing de l’implantation, avant ou après revascularisation. Au vu du prix de l’Impella CP® et de sa morbidité, ces résultats méritent d’être confirmés. Deux études vont débuter et pourront éventuellement répondre à cette question, l’une américaine : RECOVER IV (ClinicalTrials.gov number, NCT05506449) et une autre française : ULYSS (ClinicalTrials.gov number NCT05366452).

Points forts :
  • Essai contrôlé randomisé multicentrique international.
  • Essai académique financé par le public (gouvernement Danois) et le privé (Abiomed) sans droit de regard sur les résultats.
  • Premier essai de cette ampleur réalisé sur l’intérêt de l’Impella dans le choc cardiogénique post-IDM.
Points faibles :
  • Essai contrôlé randomisé multicentrique mais en ouvert.
  • Période de recrutement prolongée (10 ans).
  • Partie du financement lié à Abiomed le fabriquant de l’Impella CP®.
  • Il manque une analyse par centre des résultats et notamment par nombre d’Impella CP® implantées par an dans chaque centre.
Implications et conclusions :

L’étude DANGER SHOCK a montré qu’en plus du traitement médical optimal, l’Impella CP® permettait de baisser la mortalité dans le choc cardiogénique post infarctus du myocarde avec sus décalage du segment ST. 

Texte

Références cités dans les commentaires:

  1.  Wayangankar SA, Bangalore S, McCoy LA, et al (2016) Temporal Trends and Outcomes of Patients Undergoing Percutaneous Coronary Interventions for Cardiogenic Shock in the Setting of Acute Myocardial Infarction: A Report From the CathPCI Registry. JACC Cardiovasc Interv 9:341–351. https://doi.org/10.1016/j.jcin.2015.10.039
  2. Hochman JS, Sleeper LA, Webb JG, et al (1999) Early revascularization in acute myocardial infarction complicated by cardiogenic shock. SHOCK Investigators. Should We Emergently Revascularize Occluded Coronaries for Cardiogenic Shock. N Engl J Med 341:625–634. https://doi.org/10.1056/NEJM199908263410901
  3. Thiele H, Zeymer U, Neumann F-J, et al (2012) Intraaortic balloon support for myocardial infarction with cardiogenic shock. N Engl J Med 367:1287–1296. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1208410
  4. Thiele H, Zeymer U, Akin I, et al (2023) Extracorporeal Life Support in Infarct-Related Cardiogenic Shock. N Engl J Med 389:1286–1297. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2307227
  5. Møller JE, Engstrøm T, Jensen LO, et al (2024) Microaxial Flow Pump or Standard Care in Infarct-Related Cardiogenic Shock. N Engl J Med 390:1382–1393. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2312572
  6. Schrage B, Ibrahim K, Loehn T, et al (2019) Impella Support for Acute Myocardial Infarction Complicated by Cardiogenic Shock. Circulation 139:1249–1258. https://doi.org/10.1161/CIRCULATIONAHA.118.036614
  7. Van Edom CJ, Gramegna M, Baldetti L, et al (2023) Management of Bleeding and Hemolysis During Percutaneous Microaxial Flow Pump Support: A Practical Approach. JACC Cardiovasc Interv 16:1707–1720. https://doi.org/10.1016/j.jcin.2023.05.043

CONFLIT D'INTÉRÊTS

Commenté par Dr Paul Masi, Médecine intensive réanimation, CHRU de Mondor Créteil, France.

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (paul.masi@aphp.fr) et à la CERC.

Texte

 


CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI