COVID en réa, la PAVM tu redouteras

01/12/2021
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Question évaluée

Caractéristiques des infections associées aux soins (IAS) survenant chez les patients COVID-19 en réanimation.

Type d’étude

Analyse rétrospective d’une cohorte observationnelle multicentrique italienne.

Population étudiée

Toutes les admissions consécutives en réanimation pour une COVID-19 respiratoire prouvée par rt-PCR, sans autre critère d’éligibilité.

A l’exclusion des patients mineurs et de ceux ayant une durée de séjour < 24h en réanimation ou une coinfection bactérienne à l’admission ou une COVID nosocomial.

Méthode

Etude menée pendant la 1ère vague épidémique en Italie (Principalement dans la région de Lombardie, et à Rome), de Février à Mai 2020, dans les réanimations (totalisant 520 lits) de 8 hôpitaux.

Réalisation d’un dépistage du portage de BMR, et d’un screening aspergillaire sur aspiration trachéale hebdomadaires. Pour le reste, les prélèvements microbiologiques étaient guidés par la clinique.

Comités d’adjudication pour classer les IAS, composés d’un intensiviste et d’un infectiologue au sein de chacun des centres.

Les IAS relevées étaient les suivantes (à l’exclusion des infections virales) : Pneumonies nosocomiales, Pneumonies acquises sous ventilation mécanique (PAVM), Infections urinaires sur sonde, Bactériémies, Bactériémies liées aux cathéters, Colites à Clostridium Difficile, Candidoses invasives, Aspergilloses pulmonaires invasives.

Les IAS étaient définies selon les critères de l’ERS/ESICM/ESCMID de 2017 concernant les pneumonies, et selon les critères de l’IDSA de 2009 concernant les bactériémies et bactériémies liées aux cathéters.

L’incidence cumulée était déterminée en utilisant la méthode des risques compétitifs (le décès comme évènement compétitif).

Résultats essentiels

774 patients ont été inclus, âgés de 62 ans en moyenne, et de sexe masculin dans 77% des cas.
89% avaient reçu de la ventilation mécanique invasive (VMI), 9.5% avaient été dialysés et 2.5% traités avec une ECMO.

8 (1%) des patients avaient une coinfection documentée à l’admission.

68% des patients recevaient une antibiothérapie à large spectre à l’admission.

759 IAS ont été relevées chez 359 patients.

Densité d’incidence (jusqu’au premier épisode) de 44.7 IAS pour 1000 jours en réanimation.

En analyse multivariée, les facteurs associés de façon indépendante avec la survenue d’une IAS étaient l’âge, la PEEP élevée et l’administration d’une antibiothérapie initiale à large spectre.

Les densités d’incidence spécifiques pour 1000 jours-patients de chaque type d’IAS étaient les suivantes :

  • 26.03 PAVM
  • 11.71 bactériémies
  • 4.74 bactériémies liées aux cathéters
  • 3.84 infections urinaires
  • 1.09 pneumonies nosocomiales

Les PAVM représentaient la majorité des IAS (389/759 soit 51%) et concernaient 50% des patients, les bactériémies concernaient 34% des patients.

Les BGN représentaient 64% des germes incriminés dans les PAVM, avec une proportion importante d’entérobactéries.

Les infections incriminant des bactéries multi-résistantes (BMR) représentaient 38% des IAS avec une densité d’incidence de 16.05 infections à BMR pour 1000 jours-patients en réa. On retrouvait une proportion très importante de SARM (55%), et d’entérobactéries BLSE (19%) ou productrices de carbapénèmase (42%).

Les Candidoses invasives et Aspergilloses pulmonaires invasives comptaient chacune pour 17 cas. On relevait 2 colites à Clostridium.

Les infections à BGN survenaient plus tardivement (délai médian de 15 jours) que les infections à CGP (10 jours) et à champignons (9 jours).

21% des IAS étaient responsables d’un choc septique.

234 (30%) des 774 patients sont décédés en réanimation et la mortalité intra-hospitalières s’élevait à 33% au 23 Juillet 2020.

Les mortalités en réanimation des patients infectés et non infectés n’étaient pas significativement différentes. 

En revanche, la mortalité des patients qui avaient présenté un choc septique en lien avec une IAS était significativement plus élevée que celle des patients non infectés (52 vs 29%).

De plus, les patients infectés présentaient des durées de ventilation mécanique invasive (24 vs. 9 jours), de séjour en réa (24 vs.9) et de séjour à l’hôpital (42 vs. 23) significativement plus longues que celles des patients non infectés.

Commentaires

Lors de la première vague épidémique, et par analogie avec d’autres pneumopathies virales comme la grippe, les réanimateurs se sont efforcés de ne pas méconnaitre une coinfection bactérienne. Il en a résulté un usage très large des antibiotiques dans le traitement des pneumopathies à SARS-CoV-2 (1).

Néanmoins, il est apparu rapidement que ces patients présentaient finalement peu de coinfections, mais un nombre anormalement élevé d’infections secondaires liées aux soins et notamment de pneumonies acquises sous ventilation mécanique (2) -même si les données publiées manquaient pour l’affirmer-.

La présente étude (avec d’autres) (3) est venue confirmer la prévalence élevée des PAVM (50%) chez les patients COVID, avec un taux d’incidence de 26 pour 1000 jours de réa, près de deux fois plus élevé que chez les patients en SDRA des études ACURASYS (4) et PROSEVA (5).

Elle met aussi en évidence une écologie particulière avec une part prépondérante de BGN (64%), y compris Pseudomonas Aeruginosae (21%), comme cela a été noté ailleurs (1,6).

A contrario, les bactériémies ne semblent pas plus fréquentes que ce qui est habituellement mesuré.

Les aspergilloses pulmonaires invasives ne sont pas exceptionnelles, mais il est difficile de déterminer une incidence fiable en l’absence d’étude dédiée. De plus, leur délai de survenue très précoce est ici surprenant.

La survenue d’une infection associée aux soins est liée à un allongement des durées de ventilation et d’hospitalisation, mais pas à une surmortalité en réanimation.

La mortalité à J28 était par contre significativement augmentée chez les patients COVID développant une PAVM, dans une autre étude récente (7)

Le taux inhabituellement élevé (y compris pour cette région d’Italie) d’infections à BMR pourrait s’expliquer par un dépassement des capacités hospitalières, l’utilisation de renforts paramédicaux insuffisamment formés à la réanimation, et aussi par la pression exercée par l’usage larga manu d’antibiotiques en début de pandémie.

Mais un taux de bactéries résistantes plus élevé que d’habitude dans les PAVM des patients COVID a également été rapporté ailleurs, dans des régions moins impactées par la pandémie (6).

Points forts
  • Le recrutement des patients était exhaustif, homogène dans le temps il concernait tous les patients admis en réanimation pendant la 1ere vague, au sein d’une même zone géographique.
  • Mise en place d’un recueil des données prospectif.
  • Mise en place de comités d’adjudications dans chaque centre.
Points faibles
  • Problème de représentativité et de validité externe des résultats, les patients étant hospitalisés dans une région très durement frappée par la première vague épidémique (modifications de pratiques ? ratio patients-soignants ? salles ouvertes accueillant plusieurs lits).
  • Les prélèvements respiratoires ne sont pas détaillés.
  • Absence de détail des coinfections initiales.
  • Absence d’information sur le caractère mono/polymicrobien.
  • Absence de donnée sur les éventuelles complications (abcès, pleurésie, échecs de traitement…)
  • Méthode des risques compétitifs mais l’extubation n’était pas considérée.
Implications et conclusions

Les infections associées aux soins sont fréquentes chez les patients COVID19. Ces infections sont responsables d’une augmentation importante des durées de prise en charge en réanimation et à l’hôpital.

L’incidence des PAVM pendant la première vague épidémique était deux fois plus importante que l’incidence habituellement mesurée chez les patients en SDRA, avec une prépondérance d’entérobactéries.

On déplore un nombre inhabituellement élevé de BMR (mais région durement touchée par l’épidémie).

Ces résultats restent à confirmer par des études prospectives menées en conditions de travail « habituelles », ce d’autant que la prise en charge de ces patients a été largement améliorée (fin du recours systématique aux antibiotiques, utilisation de méthodes d’oxygénation non invasives, utilisation de traitements immuno-modulateurs).

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Gauthier Blonz, Service de Médecine Intensive Réanimation, CHU de Nantes, Nantes, France.

L'auteur déclare ne pas avoir de lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (Gauthier.blonz@chu-nantes.fr) à la CERC.

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Références

  1. Relationship between SARS-CoV-2 infection and the incidence of ventilator-associated lower respiratory tract infections: a European multicenter cohort study.
    Rouzé A, Martin-Loeches I, Povoa P, Makris D, Artigas A, Bouchereau M, et al.
    Intensive Care Med. févr 2021;47(2):188‑98.
  2. Incidence of co-infections and superinfections in hospitalized patients with COVID-19: a retrospective cohort study.
    Garcia-Vidal C, Sanjuan G, Moreno-García E, Puerta-Alcalde P, Garcia-Pouton N, Chumbita M, et al.
    Clin Microbiol Infect Off Publ Eur Soc Clin Microbiol Infect Dis. janv 2021;27(1):83‑8.
  3. Ventilator-associated pneumonia in critically ill patients with COVID-19.
    Maes M, Higginson E, Pereira-Dias J, Curran MD, Parmar S, Khokhar F, et al.
    Crit Care Lond Engl. 11 janv 2021;25(1):25.
  4. Neuromuscular Blockers in Early Acute Respiratory Distress Syndrome.
    Papazian L, Forel J-M, Gacouin A, Penot-Ragon C, Perrin G, Loundou A, et al.
    N Engl J Med. 16 sept 2010;363(12):1107‑16.
  5. Prone Positioning in Severe Acute Respiratory Distress Syndrome.
    Guérin C, Reignier J, Richard J-C, Beuret P, Gacouin A, Boulain T, et al.
    N Engl J Med. 6 juin 2013;368(23):2159‑68.
  6. Epidemiology and microbiology of ventilator-associated pneumonia in COVID-19 patients: a multicenter retrospective study in 188 patients in an un-inundated French region.
    Blonz G, Kouatchet A, Chudeau N, Pontis E, Lorber J, Lemeur A, et al.
    Crit Care Lond Engl. 18 févr 2021;25(1):72.
  7. Relationship between ventilator-associated pneumonia and mortality in COVID-19 patients: a planned ancillary analysis of the coVAPid cohort.
    Nseir S, Martin-Loeches I, Povoa P, Metzelard M, Du Cheyron D, Lambiotte F, et al.
    Crit Care Lond Engl. 25 mai 2021;25(1):177.
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