La DDS : le débat est-il clos ?

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Effect of Selective Decontamination of the Digestive Tract on Hospital Mortality in Critically Ill Patients Receiving Mechanical Ventilation. A Randomized Clinical Trial.

The SuDDICU Investigators for the Australian and New Zealand Intensive Care Society Clinical Trials Group.

JAMA. 2022;328(19):1911–1921. doi:10.1001/jama.2022.17927

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Question évaluée

La décontamination digestive sélective (DDS) en complément des soins standards diminue–t-elle la mortalité des patients sous ventilation mécanique invasive, comparée aux soins standards seuls ?

Type d’étude

Essai clinique thérapeutique australien multicentrique prospectif randomisé en cross over

Population étudiée 

Etaient inclus les patients admis en réanimation sous ventilation mécanique invasive ou intubés à l’admission, pour une durée prévue supérieure à 48 heures. Les patients dont la durée de ventilation mécanique invasive, initialement estimée inférieure à 48 heures, était dépassée pouvaient être inclus par la suite. 

Méthode

Il s’agit d’un essai en cross over : chaque centre était randomisé dans le groupe intervention (DDS) ou contrôle (soins standards) pour une période de 12 mois. Après une période de « wash out » de 3 mois, chaque centre changeait de groupe pour une nouvelle période de 12 mois. Dix-neuf centres participaient à l’essai en Australie.

Le critère de jugement principal était la mortalité à J90. Les critères de jugements secondaires incluaient notamment la mortalité en réanimation, le nombre de jours vivant sans ventilation mécanique, et des critères microbiologiques parmi lesquels la survenue d’une nouvelle hémoculture positive et l’acquisition de bactéries multi-résistantes (BMR).

L’intervention DDS comprenait une antibiothérapie topique non absorbable sous forme de pâte orale (colistine, tobramycine et nystatine) appliquée toutes les 6 heures sur la muqueuse buccale et l’oropharynx, une antibiothérapie sous forme de suspension gastrique (colistine, tobramycine et nystatine) administrée toutes les 6 heures via la sonde gastrique, et une antibiothérapie systémique pendant 4 jours par C3G ou fluoroquinolone sauf pour les patients recevant déjà une antibiothérapie dirigée contre les bactéries à Gram négatif. Les antibiothérapies orales et digestives étaient poursuivies pendant toute la durée de ventilation mécanique invasive des patients inclus.

Résultats essentiels

5982 patients ont été inclus (2791 dans le groupe DDS et 3191 dans le groupe contrôle). Les deux groupes étaient comparables pour l’âge, le sexe, les comorbidités, le motif d’admission et les scores de gravité. L’âge moyen au sein des deux populations était de 58 ans. Le score APACHE II médian était à 20. Dans le groupe DDS, les patients recevaient plus souvent une antibiothérapie intraveineuse à l’admission (75.2% vs 68.2%).
Il n’y avait pas de différence statistiquement significative sur la mortalité à J90 entre les 2 groupes : 27% dans le groupe DDS vs 29.1% dans le groupe contrôle (p = 0.12). Les résultats n’étaient pas modifiés par l’ajustement. L’étude ne retrouvait pas de différence statistiquement significative sur la mortalité en réanimation et le nombre de jours vivant sans ventilation mécanique. L’analyse en sous-groupes de population ne retrouvait pas de différence statistiquement significative sur le critère de jugement principal, y compris chez les patients traumatisés.

Par contre, la DDS diminuait la proportion de patients chez qui des BMR étaient cultivées (23.1% vs 34.6% ; différence absolue -11% ; IC 95% -14.7 à -7.3) et qui avaient de nouvelles hémocultures positives (5.6% vs 8.1%, différence absolue -1,95% ; IC 95% -3.5 à -0.4). Il n’y avait pas de différence concernant la consommation d’antibiotiques pendant les premiers 28 jours.

Commentaires

L’utilisation de la DDS chez les patients de réanimation est un débat qui perdure dans la littérature depuis des dizaines d’années. Cette thérapeutique comprend des antibiotiques topiques non absorbables (dirigés contre les bactéries à Gram négatif, Staphylococcus aureus et les levures) et une antibiothérapie par voie systémique pendant 2 à 4 jours. La plupart des infections acquises en réanimation, en particulier les pneumonies acquises sous ventilation mécanique, sont causées par des bacilles gram négatifs provenant généralement d'une colonisation des voies digestives supérieures et inférieures (bouche, estomac et intestin). Le rationnel pour l’antibiothérapie systémique de courte durée par des céphalosporines de 2nde   ou 3ème génération est d’éradiquer cette colonisation bactérienne à l’origine des infections associées aux soins en réanimation, et par ce fait d’améliorer la survie des patients. Ses détracteurs avancent que son utilisation pourrait favoriser l’acquisition de bactéries résistantes aux antibiotiques.

Dans cette étude de haut niveau de preuve, le résultat sur la mortalité n’est pas statistiquement significatif. Il en est de même dans les analyses de sous-groupes et pour les critères de jugement secondaires comme la durée de ventilation mécanique. Les auteurs soulignent cependant que l’intervalle de confiance inclut un probable bénéfice pour les patients, avec une tendance marquée dans toutes les sous-populations vers un bénéfice de la DDS sur la survie. De plus, contrairement à des opinions personnelles fortement exprimées, cette étude confirme que la DDS n’est pas associée à une augmentation de colonisations ou d’infections à BMR. Au contraire, elle diminue l’incidence des BMR, comme des études plus anciennes l’ont suggéré 1–4. Finalement, la DDS n’affecte dans aucune situation le pronostic des patients et diminue la diffusion des BMR.
Cette étude a été incluse dans une méta-analyse
5 qui comprend 32 essais ayant randomisés plus de 24000 patients entre DDS et soins standards. Les protocoles de DDS étaient variables avec des études n’ayant pas utilisé d’antibiothérapie intra-veineuse, alors que ce critère est associé à une meilleure survie6. Dans cette méta-analyse, le risque ratio (RR) pour la mortalité est de 0.91 (IC 95% 0.82 à 0.99, I2 = 33.9%) en faveur de la DDS. Comme attendu, le bénéfice est supérieur si seules les études qui utilisaient une antibiothérapie systémique sont incluses (RR 0.84 ; IC 95% 0.74 à 0.94). Ce résultat confirme celui d’une autre méta-analyse récente7. Certaines de ces méta-analyses rapportent un bénéfice en terme de réduction d’incidence de BMR.

Points forts

Il s’agit d’une étude à haut niveau de preuve. La méthodologie utilisée, celle d’une étude en cross over, a comme avantage de limiter la variabilité entre les centres et améliore la faisabilité de l’étude. Le période de wash out permettait de réduire le risque de « carry over effect ».

Points faibles

Il y avait un biais de sélection dans le recrutement des patients. En effet, la durée de ventilation mécanique prévisible était laissée à l’appréciation du clinicien. Certains patients jugés non graves n’ont donc pas été inclus initialement.

Implications et conclusions

Les résultats de cet essai clinique randomisé suggèrent que la DDS n’améliore pas le pronostic des patients ventilés en réanimation. L’intervalle de confiance pourraient néanmoins inclure un bénéfice important pour les patients. La DDS diminue le risque d’acquisition de BMR sans augmenter la consommation d’antibiotiques.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Antoine Bianchi et Marc Leone, Service Anesthésie Réanimation, Assistance Publique Hôpitaux Universitaires de Marseille, Aix Marseille Université, Hôpital Nord, France

Antoine Bianchi déclare n'avoir aucun lien d'intérêt en lien avec ce travail. Marc Leone fait la déclaration suivante : consultant pour LFB, AOP, et Viatris, ainsi que conférencier pour Shionogi.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteures (antoine.bianchi@ap-hm.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI

 

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RÉFÉRENCES

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