DOREMI fa sol, Milrinone au sol…

30/03/2022
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Article NEJM
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Milrinone as Compared with Dobutamine in the Treatment of Cardiogenic Shock
Rebecca Mathew, M.D., Pietro Di Santo, M.D., Richard G. Jung, Ph.D., et al.
N Engl J Med 2021; 385:516-525 DOI: 10.1056/NEJMoa2026845

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Question évaluée

Quel inotrope choisir dans le choc cardiogénique :  la milrinone (inhibiteur de la phosphodiesterase 3) ou la dobutamine  (β1- et  β2-agoniste)?

Le traitement inotrope est le pilier de la prise en charge symptomatique du choc cardiogénique [1]. La milrinone, inhibiteur de la phosphodiesterase 3, améliore la contractilité, la relaxation et entraine une vasodilatation périphérique. La dobutamine par ses effets β1- and β2 a des effets similaires mais ses effets secondaires sur la fréquence cardiaque et la consommation d'oxygène myocardique pourraient freiner son utilisation chez les patients à risque d'ischémie myocardique. Ainsi dans les pays Nord-Américains, la milrinone est souvent préférée notamment chez les patients ayant une hypertension pulmonaire sévère. En France, cette drogue est très peu utilisée voir méconnue ; dans le registre Frenshock, seul 772 (1,8%) patients avaient été traités par cet inotrope [2]. A noter également, une différence de demi-vie entre les deux drogues (2-3 minutes pour la dobutamine versus 2-3 heures pour la milrinone). L'utilisation préférentielle de la milrinone et la dobutamine est donc basée sur les préférences des médecins et sur les bénéfices théoriques liés à leurs mécanismes d'action.

Les auteurs font l’hypothèse que l’utilisation de milrinone chez les patients en choc cardiogénique serait plus bénéfique que la dobutamine en raison d’une moindre action sur la consommation d'oxygène myocardique.

Type d’étude

Étude randomisée monocentrique Nord-Américaine en double aveugle

Population étudiée

Patients de plus de 18 ans avec un choc cardiogénique entre 2017 et 2020, classés selon la nouvelle classification SCAI (Society of Cardiovascular Angiography and Interventions) créée par la société Américaine d’angiographie en 2019 [3].

Cette classification récente permet de catégoriser les patients développant un choc cardiogénique en groupe de patients homogènes en fonction des données cliniques, biologiques et hémodynamiques. Elle ne s’applique pas pour les insuffisances cardiaques avancées.

Cinq stades sont identifiés :

  • A (At risk) : Patients à risque de développer un choc mais sans aucun signe ni symptômes (exclus de cette étude) ;
  • B (Beginning) : Hypotension et/ou tachycardie sans signe d’hypoperfusion périphérique ;
  • C (Classic) : Hypotension avec signes d’hypoperfusion nécessitant une intervention thérapeutique ;
  • D (Deterioration) : Non réponse des signes d’hypoperfusion à la prise en charge initiale par vasopresseurs/inotropes ;
  • E (Extremis) choc réfractaire et/ou arrêt cardiaque.
Méthodes

Les patients étaient randomisés en fonction de l’atteinte ventriculaire (gauche, droite ou les deux) pour recevoir de la dobutamine ou de la milronone.

Le critère de jugement primaire était un critère composite associant la survenue pendant l’hospitalisation de l’un des outcome suivant : décès intra-hospitaliers de toute cause, arrêts cardiaques ressuscités, greffes cardiaques ou assistances circulatoires mécaniques, infarctus non fatals, accidents ischémiques transitoires ou vasculaires cérébraux, recours à l’épuration extrarénale.

Les critères de jugement ont été déterminées par un comité d’adjudication indépendant, en aveugle du traitement alloué.

Des analyses en sous-groupe étaient prévues et réalisées en fonction de l’age (<75 vs. ≥75 ans), du sexe, de l’atteinte ventriculaire, de l’étiologie de la dysfonction ventriculaire, de la sévérité de celle-ci, de la fonction rénale basale et de l’utilisation concomitante d’un vasopresseur au moment de la  randomisation.

Résultats essentiels

Un total de 192 patients soit 96 patients dans chaque groupe a été évalué. Les données démographiques et les caractéristiques initiales étaient comparables dans les deux groupes : âge moyen 68,9±13,8 dans le groupe milrinone et 72,0±11,3 dans le groupe dobutamine, 38% de femme dans le groupe milrinone et 35% dans le groupe dobutamine.

Le critère de jugement primaire était observé chez 47 patients dans le groupe milrinone (49%) contre 52 dans le groupe dobutamine (54%), sans différence statistiquement significative (risque relatif 0,90; 95% intervalle de confiance 0,69 à 1,19; P=0,47).

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Aucune différence n’était retrouvée si on analysait les différents critères de jugement secondaires mais également les données hémodynamiques (fréquence cardiaque, pression artérielle moyenne, lactate, créatinine, diurèse) et les doses de vasopresseurs.

Enfin, la survenue d’évènements indésirables (arythmies auriculaires et ventriculaires ; hypotension ou nécessité d’ajouter/augmenter les vasopresseurs) étaient comparables dans les 2 groupes.

Les analyses en sous-groupe ne montraient également pas de différence significative.

Commentaires

Les auteurs expliquent la négativité de leurs résultats par deux arguments : (1) la majorité des patients avaient un choc stade C ou D, donc très avancé, et (2) le fait que les étiologies non exclusivement ischémiques aient pu mettre à défaut les avantages de la milrinone sur la dobutamine. Ces deux arguments sont très discutables.

En effet les recommandations des sociétés savantes préconisent l’introduction d’un inotrope en cas de signe d’hypoperfusion périphérique [1]. Ainsi les patients de stade A et B n’auraient pas dû bénéficier d’inotropes.

Concernant l’étiologie du choc, la proportion de causes ischémiques dans le choc cardiogénique baisse, et les patients admis en réanimation pour choc cardiogénique sont plus souvent des patients avec des insuffisances cardiaques avancées [4]. La proportion d’arythmie est d’ailleurs comparable dans les deux groupes et l’analyse en sous-groupe (ischémique versus autre) ne montre pas de différence.

Enfin, les auteurs rapportent le fait que les doses de milrinone n’aient pas été ajustées en fonction de la clairance rénale. Cet argument plaide contre l’utilisation de cette drogue dans le choc cardiogénique. En effet, il semble préférable d’utiliser dans les chocs des molécules facilement maniables et avec des demi-vie courtes. Les patients ayant des pathologies ischémiques sont souvent âgés et comorbides [5]. Le maniement de telles drogues est plus difficile voir risqué.

Points forts
  1. L’essai DOREMI (n=192 patients) est important, car il est l’un des quatre seuls essais randomisés sur le choc cardiogénique à inclure plus de 100 patients, et l’un des deux seuls essais à comparer la milrinone à la dobutamine.
  2. Etude randomisée en double aveugle avec analyse par un comité indépendant.
Points faibles
  1. Les auteurs ont évalué une majorité de patients dont l’origine du choc est ischémique. Or, cette étiologie devient rare en réanimation. Il aurait été utile d’avoir le nombre de coronarographie réalisé ainsi que les angioplasties.
  2. La validité externe et l’applicabilité en réanimation. Les patients ont une mortalité élevée comparable à celle décrite dans les registres français. Néanmoins, la typologie des patients est proche des patients d’unités de soins intensifs cardiologiques (moins d’un tiers étaient ventilés).
Implications et conclusions

Au final, chez le patient en choc cardiogénique nécessitant un inotrope, la milrinone ne fait pas mieux que la dobutamine.

Ce résultat est important car il vient conforter/valider les pratiques françaises et européennes de nos réanimateurs et réanimatrices qui n’utilisent pas ou peu la milrinone en raison de sa pharmacologie (demi-vie longue) et donc de la difficulté de maniement.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Nadia Aissaoui, Médecine intensive Réanimation, CHU Cochin, France.

L'auteur déclare n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (Nadia.aissaoui@aphp.fr) et/ou à la CERC.

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Références

  1. ESC Scientific Document Group, 2021 ESC Guidelines for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure: Developed by the Task Force for the diagnosis and treatment of acute and chronic heart failure of the European Society of Cardiology (ESC) With the special contribution of the Heart Failure Association (HFA) of the ESC
    Theresa A McDonagh, Marco Metra, Marianna Adamo, et al.
    European Heart Journal. 2021 : 42 ; 3599–3726, https://doi.org/10.1093/eurheartj/ehab368
  2. Baseline characteristics, management, and predictors of early mortality in cardiogenic shock: insights from the FRENSHOCK registry.
    Delmas C, Roubille F, Lamblin N, et al.
    ESC Heart Fail. 2022 ;9:408-419. doi: 10.1002/ehf2.13734.
  3. SCAI clinical expert consensus statement on the classificationof cardiogenic shock: This document was endorsed by the American College of Cardiology (ACC),the American Heart Association (AHA), the Society of Critical Care Medicine (SCCM), and theSociety of Thoracic Surgeons (STS) in April 2019.
    Baran DA, Grines CL, Bailey S, et al.
    Catheter Cardiovasc Interv. 2019;94:29-37.
  4. Cardiogenic shock in intensive care units: evolution of prevalence, patient profile, management and outcomes, 1997-2012.
    Puymirat E, Fagon JY, Aegerter P, et al.; Collège des Utilisateurs de Bases de données en Réanimation (CUB-Réa Group [Intensive Care Database User Group]).
    Eur J Heart Fail. 2017 ;19:192-200. doi: 10.1002/ejhf.646.
  5. Trends in cardiogenic shock complicating acute myocardial infarction.
    Aissaoui N, Puymirat E, Delmas C, et al.
    Eur J Heart Fail. 2020;22:664-672. doi: 10.1002/ejhf.1750. Epub 2020 Feb 20.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ