
Ceftriaxone to prevent early ventilator-associated pneumonia in patients with acute brain injury: a multicentre, randomised, double-blind, placebo-controlled, assessor-masked superiority trial.
Claire Dahyot-Fizelier, Sigismond Lasocki, Thomas Kerforne, Pierre-Francois Perrigault, Thomas Geeraerts, Karim Asehnoune, Raphaël Cinotti, Yoann Launey, Vincent Cottenceau, Marc Laffon, Thomas Gaillard, Matthieu Boisson, Camille Aleyrat, Denis Frasca, Olivier Mimoz.
Lancet Respir Med 2024 doi 10.1016/S2213-2600(23)00471-X
Question évaluée
Est-ce que l’administration unique de 2g de ceftriaxone dans les 12h suivant l’intubation pour un traumatisme crânien, un accident vasculaire cérébral ou une hémorragie sous-arachnoïdienne réduit la survenue de pneumonies acquises sous ventilation mécanique (PAVM) précoces ?
Type d’étude
étude randomisée multicentrique en double aveugle de supériorité.
Population étudiée
319 patients comateux à l’inclusion (score de Glasgow ≤ 12) suite à un traumatisme crânien (28%), un accident vasculaire cérébral ischémique (9%) ou hémorragique (21%) ou une hémorragie sous-arachnoïdienne (41%). Les patients avec une néoplasie ou infection cérébrale, ceux ayant fait un arrêt cardiaque ou moribonds n’étaient pas inclus de même que ceux déjà sous antibiothérapie ou prévu pour une antibioprophylaxie (chirurgicale) dans les 24h.
Méthode
Les patients étaient randomisés dans les 12h suivant l’intubation et au plus tard à la 48h d’hospitalisation. La randomisation était stratifiée sur le centre et le score de Glasgow à l’inclusion (< 8 ou ≥ 8). Les patients recevaient après randomisation 2 g de ceftriaxone intraveineuse (intervention) ou un placebo : en moyenne le traitement à l’étude était administré 7 heures après l’intubation. Les mesures habituelles de prévention des PAVM étaient globalement standardisées dans les deux groupes, de même que la prise en charge globale en rapport avec les recommandations internationales, et aucun centre ne mettait en œuvre de protocole de décontamination digestive ou orale sélective (DDS). Le critère de jugement principal était la survenue d’une PAVM (définie selon les critères diagnostiques de l’American Thoracic Society et adjudiquée par un comité centralisé en aveugle) entre le 2ème et le 7ème jour de ventilation mécanique.
Résultats essentiels
L’étude met en évidence une réduction significative de survenue des PAVM précoces de 32% à 14% dans le groupe interventionnel (risque relatif 0,60 ; intervalle de confiance à 95% 0,38 à 0,95). Concernant les critères de jugement secondaires (évalués à titre exploratoire, en raison de l’absence d’ajustement pour les comparaisons multiples et ne permettant pas de conclure quand à la causalité), un certain nombre de résultats en faveur de la ceftriaxone sont observés : augmentation du nombre de jours vivants sans ventilation mécanique, du nombre de jours vivants sans antibiotique, diminution de la mortalité à J28 et dans une moindre mesure à J60 (intervalle de confiance à 95% comprenant 1 sur ce dernier critère).
Commentaires
Il s’agit d’une étude qui permet de conclure à un effet favorable sur la survenue de PAVM précoces de l’administration d’une seule dose de ceftriaxone intraveineuse chez les patients souffrant de traumatisme crânien, d’accident vasculaire cérébral ou d’hémorragie sous-arachnoïdienne. A noter que les pneumonies tardives étaient très peu fréquentes dans les deux groupes (7% et 5%), de même l’incidence de « ventilator-associated events » (définition nord-américaine d’infection nosocomiale fondée sur des critères objectifs, essentiellement de dégradation d’hématose) était similaire entre les groupes et laisse à penser que les PAVM adjudiquées n’avaient pas d’impact majeur sur l’hématose, posant la question du lien mécanistique avec les bénéfices observés sur les autres critères de jugement secondaires.
Cette étude vient confirmer des résultants antérieurs sur les bénéfices associés à l’antibiothérapie préventive en réanimation. Les recommandations formalisées d’experts de la SRLF de 2017 recommandaient déjà de réaliser une DDS associée à une antibiothérapie systémique de moins de 5 jours dans les unités avec une faible prévalence de bactéries multirésistantes (GRADE 2+, accord fort), suite aux études randomisées sur la DDS datant d’une quinzaine d’années (1, 2). Spécifiquement chez les patients souffrant d’une lésion cérébrale, une étude randomisée a montré le bénéfice induit par 2 jours de traitement par amoxicilline-acide clavulanique intraveineux (1g/200mg trois fois par jour) chez des patients en post-arrêt cardiaque, sur le même critère de jugement que la présente étude (PAVM précoces) (3). Ainsi, l’apport de la présente étude alimente plutôt la discussion sur les modalités de l’antibiothérapie préventive plutôt que son intérêt en soi. Le choix de la molécule est intéressant, avec une pression de sélection de la ceftriaxone différente, et en partie moindre sur la flore anaérobie que l’amoxicilline-acide clavulanique. C’est surtout la durée de traitement qui est innovante : une seule dose de ceftriaxone intraveineuse est suffisante pour induire un bénéfice, comparée aux durées de traitement de 2 à 5 jours mises en œuvre précédemment (1-3). Toujours dans les modalités d’administration de l’antibiothérapie préventive, une étude récente a montré un bénéfice (réduction de PAVM) de l’administration d’amikacine inhalée préventive dans une population de réanimation polyvalente (4). A noter que l’amikacine préserve particulièrement la flore anaérobie et que l’administration inhalée induit des concentrations pulmonaires extrêmement élevées, bien au-dessus des concentrations minimales de prévention de l’émergence de résistance. Cela met en partie à l’abri d’une pression de sélection de résistances aux antibiotiques au niveau pulmonaire (5, 6). Au-delà, la philosophie de l’essai sur l’amikacine inhalée était différente de la présente étude, dans la mesure où n’étaient inclus que les patients ventilés plus de trois jours dans un souci de limiter l’exposition aux antibiotiques, et ciblait les pneumonies tardives.
Comme pour toute étude d’intervention préventive, se pose la question de la population exposée à l’intervention et du risque de survenue de l’événement d’intérêt. Une majorité de patients (entre 60 et 90% des patients ventilés) ne développent pas de PAVM quel que soit leur groupe de randomisation dans les différentes études. Ils sont donc exposés à une thérapeutique préventive sans bénéfice individuel. Ainsi, il est essentiel de favoriser les interventions les mieux tolérées tant à l’échelle individuelle que collective, ce qui inclut la pression de sélection antibiotique. La simplicité de mise en œuvre pour les équipes entre également en ligne de compte. En termes d’exposition aux antibiotiques, il est intéressant de noter que parmi les 1885 patients exclus lors de la visite de sélection de la présente étude, près de la moitié l’étaient en raison d’une antibiothérapie déjà en cours ou prévue dans les 24h, posant la question plus large de l’intégration de l’évaluation testée dans une démarche globale d’antibioprophylaxie.
Points forts
- Etude randomisée respectant tous les standards méthodologiques pour un risque de biais minime et un haut niveau de preuve.
- Résultats concordants avec la littérature existante sur l’antibiothérapie à visée de prévention des PAVM.
Points faibles
- Pas de réduction des « ventilator associated events », incidence très faible des pneumonies tardives, ce qui pose la question de la qualité du recueil de ces variables dans le contexte complexe du diagnostic de PAVM.
- Exclusion d’un grand nombre de patients recevant déjà une antibiothérapie.
- Peu de données sur les autres traitements antibiotiques reçus durant le séjour en réanimation.
Implications et conclusions
Cette étude renforce les données de haut niveau de preuve en faveur d’une antibiothérapie préventive en réanimation. Elle invite les équipes à mener une réflexion sur l’intégration d’une forme d’antibioprophylaxie dans leur protocole de prévention des PAVM. Le choix entre la voie inhalée et intraveineuse, la durée d’administration et la combinaison avec une DDS devant être appréciée, entre autres, en fonction du case-mix et de l’expertise locale.
RÉFÉRENCES
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Leone M et al. Pneumonies associées aux soins de réanimation*RFE commune SFAR–SRLF. Med Intensive Rea 2019;28:261-281
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François B et al. Prevention of early ventilator-associate pneumonia after cardiac arrest. N Engl J Med 2019;381:1831-1842
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Ehrmann S et al. Inhaled amikacin to prevent ventilator-associated pneumonia. N Engl J Med 2023;389:2052-2062
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Palmer LB et al. Reduction of bacterial resistance with inhaled antibiotics in the intensive care unit. Am J Respir Crit Care Med 2014 ;189 :1225-1233
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Young PJ, Delaney A, Hills T. Ventilator-associated pneumonia: A problematic outcome for clinical trials. Crit Care Resusc 2023;25:159-160
CONFLIT D'INTÉRÊTS
Commenté par Stephan Ehrmann, Médecine Intensive Réanimation, CHRU de Tours, France.
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CERC
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