Dosons les Péni M en réanimation !

18/04/2019
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ACI-dosons les Peni M
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Systematic overdosing of oxa- and cloxacillin in severe infections treated in ICU: risk factors and side effects.
Mathilde Neuville, Najoua El‑Helali, Eric Magalhaes, Aguila Radjou, Roland Smonig, Jean‑François Soubirou, Guillaume Voiriot, Alban Le Monnier, Stéphane Ruckly, Lila Bouadma, Romain Sonneville, Jean‑François Timsit and Bruno Mourvillier
Ann Intensive Care (2017)7:34

Texte

Question évaluée

Il n’est pas recommandé d’adapter les posologies des pénicillines M à la fonction rénale. Les auteurs ont mesuré les oxacillinémies et cloxacillinémies obtenues chez les malades de réanimation, afin de déterminer la fréquence et les facteurs de risque des surdosages, ainsi que leurs manifestations.

Type d’étude

Etude de cohorte, rétrospective pour les patients inclus de 2008 à 2012, prospective entre 2012 et 2014.

Population étudiée

Les patients hospitalisés dans les réanimations de l’hôpital Bichat entre 2008 et 2014 qui ont reçu au moins 72 heures d’oxacilline ou de cloxacilline et qui ont eu au moins un dosage plasmatique.

Méthode

Evénement d’intérêt : survenue d’un effet indésirable imputable à la pénicilline M selon l’algorithme de Naranjo (algorithme d’évaluation de la causalité d’une réaction indésirable).

Principale variable d’intérêt : oxacillinémie ou cloxacillinémie mesurée après au moins 72 heures de traitement, par méthode microbiologique. En considérant que la fraction libre de l’antibiotique (10%) doit être 100 % du temps au-dessus de la CMI, les auteurs  définissent une concentration-cible de 20 à 50 mg/L et un surdosage au-delà de 50 mg/L.

Résultats essentiels

Soixante-deux patients ont été inclus : 25 en rétrospectif, 37 en prospectif, 56 traités par cloxacilline, 6 par oxacilline, soit 94 dosages.

Quatre-vingt-dix pour cent (n=56) des patients étaient bactériémiques, avec 33 patients sur 62 (53,2 %) souffrant d’endocardite.

Trente-sept patients (59,7 %) avaient une clairance de la créatinine < 10 ml/min.

Dosages

La posologie médiane de pénicilline M était de 105 mg/kg/j, administrée en discontinu en 6 fois par jour. Cette posologie était significativement différente selon que la clairance était < 10 mL/min (8 g/j) ou > 30 mL/min (12 g/j)

La concentration plasmatique médiane était de 134,3 mg/L, avec 83,9 % (52 sur 62) des patients en surdosage par rapport à la cible.

L’analyse multivariée montrait que les variables indépendamment associées au risque de surdosage était la dose/kg (p=0,049) et l’altération de la clairance de la créatinine (p=0,0067).

Effets indésirables

Seize effets indésirables ont été attribués au surdosage en pénicilline M chez 14 patients (22,6 %) : 8 états confusionnels, 3 comas, 5 insuffisances rénales aiguës.

Pour les effets indésirables neurologiques, la concentration résiduelle médiane d’antibiotique était de 165 mg/L, avec un minimum de 97 mg/L et un maximum de 302 mg/L. L’imputabilité a été déclarée probable chez tous ces patients : d’ailleurs, les troubles neurologiques ont été résolutifs après réduction des posologies. La seule différence que présentaient ces patients par rapport aux patients ne présentant pas de troubles neurologiques est qu’ils étaient traités depuis plus longtemps (médiane 32,5 j vs 14, p=0,03).

Commentaires

Une fois n’est pas coutume dans une étude s’intéressant aux dosages des antibiotiques en réanimation, il est ici observé que le respect des posologies recommandées d’oxo/cloxacilline aboutit quasiment systématiquement à un surdosage, avec à la clef 25 % d’effets indésirables ! Autre enseignement majeur : la fonction rénale lorsqu’elle est très altérée influence les concentrations sanguines obtenues pour les pénicillines du groupe M, malgré une faible excrétion rénale sous forme inchangée (17 % pour l’oxacilline, 38 % pour la cloxacilline) [1] Il n’existait jusqu’il y a peu aucune recommandation d’adaptation des posologies. Sur le site du GPR, la mise à jour d’avril 2017 stipule que la posologie de 100-200 mg/kg/j d’oxacilline ne nécessite pas d’adaptation chez l’insuffisant rénal, en précisant « qu’un suivi étroit de la tolérance neurologique est recommandé », et que « chez le patient dont la clairance de la créatinine est inférieure à 30 ml/min, il serait nécessaire de réduire la posologie de 50 % » pour la cloxacilline [2]. La littérature sur le sujet est extrêmement pauvre : Verdier et al en 2011 avaient déjà déterminé que les concentrations de cloxacilline étaient plus élevées en cas d’insuffisance rénale, avec un risque d’effet indésirable plus élevé [3]. Mais cette étude ne s’intéressait pas spécifiquement aux patients de réanimation.

Ici, 90 % des patients étaient en surdosage. Même si le surdosage est corrélé à la dose-poids et à l’insuffisance rénale, on retrouve ce qui a été souligné par les précédents auteurs ou par des travaux récents sur d’autres bêta-lactamines [4] : la variabilité interindividuelle des concentrations de bêta-lactamines rend difficile la création un modèle prédictif et d’autant plus nécessaire les dosages. Par ailleurs, la relation concentration sérique – effet secondaire n’est pas si simple : des facteurs tels que l’état neurologique sous-jacent (5 patients sur  9 ont des séquelles d’AVC au scanner), les drogues concomitantes, interviennent également : ce qui explique que surdosage ne signifie pas obligatoirement effet indésirable, que certains patients vont présenter des effets indésirables dès des concentrations supérieures à 50 mg/L, d’autres pour des concentrations supérieures à 100 ce qui pose le problème de la définition d’un seuil à ne pas dépasser, 50 ou 100 mg/L ?

La durée de traitement est corrélée également à la survenue d’effets indésirables, alors que les dosages réalisés tardivement ne diffèrent pas des dosages précoces. Cette contradiction apparente s’explique-t-elle par un état nutritionnel plus altéré avec des fractions libres augmentées, à une toxicité cumulative, à des malades plus fragiles ?  Ces résultats nécessiteront donc d’être affinés lors d’études ultérieures.

En cette période de pénurie, il est bon de signaler également que la céfazoline pose probablement les mêmes problèmes, et que les recommandations divergent : ainsi, pour les endocardites, l’European Society of Cardiology recommande, en 2015, une posologie de 6 g/j [5], et la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française 80-100 mg/kg/j [6]. On peut imaginer qu’avec une demi-vie deux à trois fois plus longue pour la céfazoline que pour l’oxacilline ou la cloxacilline, une posologie de 100 mg/kg/j conduise également à des surdosages ! Donc, dosons, dosons, dosons !

Points forts
  • Première étude s’intéressant aux concentrations d’oxacilline et de cloxacilline chez les malades de réanimation, avec un collectif important de patients pour une étude de ce type. A noter le caractère particulier de la cohorte lié à la population de réanimation avec plus de 50% d’endocardite d’insuffisance rénale sévère.
Points faibles
  • L’analyse est rétrospective entre 2008 et 2012 : on connait la difficulté d’établir une imputabilité sur des données rétrospectives, avec tous les facteurs confondants pouvant intervenir en milieu de réanimation. De plus sur cette population rétrospective, les dosages n’ont probablement été réalisés que chez les patients avec effets indésirables.
  • Analyse en méthode microbiologique, non pratiquée en routine : une comparaison avec les dosages obtenus en HPLC (technique de routine) aurait été souhaitable au moins pour une partie des patients ?
  • On ne dispose pas de dosages des fractions libres de médicament mais seulement d’une estimation.
  • Pas de standardisation des dates de dosage et des explorations complémentaires, au moins pour la phase rétrospective.
Implications et conclusions

Malgré la recommandation de diminuer de moitié les posologies de pénicilline M lorsque la clairance de la créatinine est inférieure à 30 mL/min, la majorité des patients sont surdosés, notamment ceux qui sont dialysés, avec un risque d’effets secondaires notamment neurologiques dans un quart des cas. Or, il est finalement difficile de prévoir pour un patient donné les concentrations qu’on obtiendra même en adaptant la posologie à la fonction rénale.

Il est donc intéressant de monitorer les concentrations plasmatiques de pénicilline M (et de céfazoline) dans les services de réanimation. On pourrait ajouter, au vu des résultats, que c’est notamment intéressant pour les traitements prolongés tels que ceux utilisés pour les endocardites.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par David BOUTOILLE, Maladies Infectieuses et Tropicales, CHU de Nantes, France.

David BOUTOILLE  déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (david.boutoille@chu-nantes.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Y. Doi, HF Chambers. Penicillin and β-lactamase inhibitors. In Mandell, Douglas, and Bennett’s Principles and Practice of Infectious Diseases. 8th Edition. 2015. Elsevier Saunders Eds.
  2. http://sitegpr.com/fr/rein/recherche-par-médicament.
  3. MC Verdier, O. Tribut, P. Tattevin, C. Michelet, D. Bentué-Ferrer. Assessment of interindividual variability of plasma concentrations after administration of high doses of intravenous amoxicillin or cloxacillin in critically ill patients. J Chemother 2011 ;23(5):277-81
  4. P. Le Turnier, D. Navas, M. Dalichampt, E. Dailly, D. Garot, T. Guimard, L. Bernard, P. Tattevin, Y. Vandamme, J. Hoff, A. Chiffoleau, L. Leclair, V. Sébille, N. Asseray-Madani. Is there a concentration treshold for ceftriaxone toxicity ? Preliminary results of « High-dose Ceftriaxone in central nervous system infections », a prospective multicentre cohort study. ECCMID 2017, Abs EP0619
  5. Habib G et al. 2015 ESC Guidelines for the management of infective endocarditis: the task force for the management of infective endocarditis of the European Society of Cardiology (ESC). Endorsed by European Association for Cardio-Thoracic Surgery (EACTS), the European Association of Nuclear Medicine (EANM).
  6. http:/www.infectiologie.com/fr/actualites/prise-en-charge-des-endocardites_-n.html
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
S. HRAIECH
G. JACQ
JF. LLIJTOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX