Infections nécrosantes des tissus mous : enfin une description solide de l’état des lieux !

05/03/2020
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Patient’s characteristics and outcomes in necrotising soft-tissue infections: results from a Scandinavian, multicentre, prospective cohort study.
INFECT study group, Madsen MB, Skrede S, Perner A, Arnell P, Nekludov M, et al.
Intensive Care Med. sept 2019;45(9):1241‑51.

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Question évaluée

Quelles sont les caractéristiques cliniques des patients admis pour infection nécrosante des tissus mous (INTM), et quelle est l’association des caractéristiques d’admission avec la documentation microbiologique, la nécessité d’amputation et la mortalité à 90 jours.

Type d’étude

Cohorte observationnelle prospective internationale multicentrique.

Population étudiée

409 patients adultes hospitalisés pour infection nécrosante des tissus mous, dont 402 en réanimation.

Méthode
  • Cette cohorte prospective a inclus tous les patients adultes hospitalisés de Février 2013 à Juin 2017 dans 5 centres de référence scandinaves pour INTM. Les patients étaient pris en charge selon les protocoles locaux de chaque centre (antibiothérapie, chirurgie, thérapies adjuvantes (immunoglobulines polyvalentes (IgIV) et oxygénothérapie hyperbare (OHB)).
  • Seuls les patients ayant une confirmation chirurgicale d’INTM (e. la constatation per-opératoire de tissus nécrotiques ou déliquescents avec atteinte des tissus adjacents) étaient inclus après revue des dossiers et obtention du consentement par une équipe dédiée à l’inclusion.
  • Les données se rapportant aux caractéristiques d’admission (données démographiques, comorbidités, présentation clinique), à la microbiologie (hémocultures, prélèvements per-opératoires) et à la prise en charge (antibiothérapie, chirurgie, thérapies adjuvantes) ont été recueillies.
  • Une régression logistique a été utilisée pour déterminer l’association des caractéristiques d’admission avec la documentation microbiologique et la mortalité à 90 jours. Un modèle de Cox a été utilisé pour déterminer leur association à la nécessité d’amputation.
Résultats essentiels
  • Population hétérogène concernant le terrain, la présentation clinique et la microbiologie : 70% des patients avaient une ou plusieurs comorbidités (antécédents cardiovasculaires, 41%, diabète, 24%). Les signes locaux de gravité étaient inconstants (51% d’ecchymoses, 27% de bulles, 14% de crépitation sous-cutanée). Enfin, l’infection était polymicrobienne dans 50% des cas, monomicrobienne dans 44% des cas, associée au streptocoque du groupe A (SGA) dans 31% des cas et non documentée dans 6% des cas.
  • Association entre la localisation de l’infection et la documentation microbiologique : De façon intéressante, et jusqu’ici peu ou pas décrite, les infections des membres supérieurs ou inférieurs étaient associées statistiquement à une infection monomicrobienne à SGA (respectivement, odds ratio (OR)= 7,80 ; intervalle de confiance à 95% (IC 95%) [4,36-14,25], p<0,0001 et OR=1,91 IC 95% [1,18-3,09], p=0,027), tandis qu’une infection abdominopérinéale était associée à une documentation polymicrobienne (OR=8,01 IC 95% [4,95-3,15], p<0,0001).
  • Facteurs associés à la mortalité à 90 jours : La mortalité à 90 jours était de 18%, associée à l’âge (OR=1,07 IC 95% [1,04-1,10], p<0,0001) et au taux de lactate artériel (OR=1,26 IC 95% [1,15-1,37]). En revanche, l’infection à SGA était un facteur protecteur de mortalité (OR=0,17 IC 95% [0,06-0,45], p=0,0004), malgré l’association à un plus grand taux de choc septique (65% vs 45% ; OR=2,25 IC 95% [1,45-3,50], p=0,0003).
Commentaires

Il faut d’abord saluer l’ampleur et la rigueur de ce travail qui, avec 402 patients de réanimation avec INTM chirurgicalement confirmée, constitue la cohorte prospective la plus importante à ce jour et permet de disposer de données solides concernant cette pathologie rare et sévère. Elle confirme l’hétérogénéité retrouvée dans les études rétrospectives antérieures concernant le terrain, la clinique et la microbiologie [1]. L’association dans cette étude des infections monomicrobiennes à SGA à une moindre mortalité malgré une plus grande fréquence de chocs septiques, probablement du fait de moindres comorbidités, confirme l’existence de sous-groupes de patients qui pourraient probablement bénéficier d’une prise en charge spécifique. Or, la prise en charge des INTM reste à ce jour essentiellement fondée sur des mesures non-spécifiques, incluant la chirurgie de débridement urgente et une antibiothérapie large spectre [2]. Les études ayant évalué l’intérêt de thérapeutiques ciblées comme les immunoglobulines polyvalentes (IgIV) et la clindamycine pour les SGA toxinogènes ont souffert du manque de données permettant de cibler la population qui pourrait en bénéficier. En effet, le seul essai randomisé contrôlé évaluant l’intérêt des IgIV dans les INTM, réalisé par la même équipe que cette étude, n’avait pas retrouvé de bénéfice mais la population incluse ne comprenait que 15% d’infections finalement documentées à SGA [3]. Ainsi, l’identification d’une association entre une infection des membres et une infection monomicrobienne à SGA est un résultat important, confirmé dans un autre travail rétrospectif [4], et qui pourrait permettre de mieux cibler l’inclusion dans des essais, voire de guider des thérapeutiques individualisées. De façon surprenante, dans l’analyse exploratoire réalisée en post-hoc, seuls l’âge et l’hyperlactatémie ont été associés à une surmortalité, malgré de nombreux autres facteurs pronostiques identifiés dans la littérature [5].

Points forts
  • Large cohorte prospective de patients pris en charge pour une INTM prouvée chirurgicalement.
  • Exhaustivité des données, notamment concernant les comorbidités et la microbiologie, avec peu voire pas de données manquantes.
  • Méthodologie rigoureuse, multicentrique et internationale, selon un protocole d’analyse statistique publié a priori.
Points faibles
  • La principale limite de cette étude est probablement son manque de validité extrinsèque et donc son caractère peu généralisable. En effet, malgré son design multicentrique et international, seuls 5 centres scandinaves ont participé, et 65% des patients (n=253) ont été inclus par le centre de Copenhague. Ainsi, la population, la microbiologie et les pratiques de cette étude sont certainement particulières. Très peu d’infections à entérobactéries ont été retrouvées, alors qu’elles représentaient 35% des infections dans une récente étude Française [6]. De même, 58% des patients ont reçu des IgIV et 80% de l’OHB, tandis que dans un récent sondage auprès de 100 réanimations dans 23 pays Européens, seulement 25% des réanimateurs rapportaient l’utilisation d’IgIV et seulement 11% estimaient utile l’OHB pour tous les patients [7]. Enfin, 87% des patients recevaient une antibiothérapie probabiliste comportant des carbapénèmes, contrastant avec les recommandations Françaises [8].
  • Les auteurs signalent que l’inclusion de patients uniquement dans 5 centres de références a exposé à un biais de sélection pouvant à la fois amener à ne recruter que les patients les plus sévères, mais aussi uniquement les patients suffisamment peu sévères pour supporter un transfert.
  • L’analyse du lien entre la documentation microbiologique et la mortalité n’était pas prévue dans le plan d’analyse statistique initiale et a donc été conduite post-hoc de façon exploratoire, sans autre ajustement que sur le SOFA initial et l’âge.

Enfin, malgré l’exhaustivité des données descriptives, on peut regretter le manque de résultats analytiques avec davantage d’implication pour la pratique clinique comme l’association entre les différentes thérapeutiques (antibiothérapie, IgIV, OHB) et la mortalité.

Implications et conclusions

Cette première large étude prospective observationnelle multicentrique s’intéressant aux INTM fournit les bases cliniques et microbiologiques pour les futurs travaux notamment diagnostiques et thérapeutiques dans le domaine. Elle souligne une nouvelle fois l’hétérogénéité des patients atteints d’INTM et l’existence de sous-groupes bien particuliers en termes de terrain, de sévérité et de documentation microbiologique. Il est probable que l’amélioration du pronostic de cette pathologie rare et sévère passera par une prise en charge individualisée avec des interventions thérapeutiques (e.g., IgIV) ciblées à certains patients. Une étude internationale de plus large échelle permettrait d’obtenir des données davantage généralisables.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr Tomas Urbina (Médecine Intensive et Réanimation, Hôpital Saint-Antoine, Paris, France. tomas.urbina@aphp.fr) et le Pr Nicolas de Prost (Médecine Intensive et Réanimation, CHU Henri Mondor, Créteil, France. nicolas.de-prost@aphp.fr).

Tomas Urbina et Nicolas de Prost déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (nicolas.de-prost@aphp.fr) ou à la CERC.

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LIENS UTILES

  1. Peetermans M, de Prost N, Eckmann C, Norrby-Teglund A, Skrede S, De Waele JJ, (2019) Necrotizing skin and soft-tissue infections in the intensive care unit. Clin Microbiol Infect S1198743X19303829
  2. Stevens DL, Bisno AL, Chambers HF, Dellinger EP, Goldstein EJC, Gorbach SL, Hirschmann JV, Kaplan SL, Montoya JG, Wade JC, (2014) Practice Guidelines for the Diagnosis and Management of Skin and Soft Tissue Infections: 2014 Update by the Infectious Diseases Society of America. Clin Infect Dis 59: e10–e52
  3. Madsen MB, Hjortrup PB, Hansen MB, Lange T, Norrby-Teglund A, Hyldegaard O, Perner A, (2017) Immunoglobulin G for patients with necrotising soft tissue infection (INSTINCT): a randomised, blinded, placebo-controlled trial. Intensive Care Med 43: 1585–1593
  4. Urbina T, Hua C, Woerther P-L, Mekontso Dessap A, Chosidow O, De Prost N, (2019) Early identification of patients at high risk of group A streptococcus-associated necrotizing skin and soft tissue infections: a retrospective cohort study. Crit Care In press
  5. Hua C, Sbidian E, Hemery F, Decousser JW, Bosc R, Amathieu R, Rahmouni A, Wolkenstein P, Valeyrie-Allanore L, Brun-Buisson C, de Prost N, Chosidow O, (2015) Prognostic factors in necrotizing soft-tissue infections (NSTI): A cohort study. J Am Acad Dermatol 73: 1006-1012.e8
  6. Urbina T, Hua C, Sbidian E, Bosc R, Tomberli F, Lepeule R, Decousser J-W, Mekontso Dessap A, Chosidow O, de Prost N, Henri Mondor Hospital Necrotizing Fasciitis group, (2019) Impact of a multidisciplinary care bundle for necrotizing skin and soft tissue infections: a retrospective cohort study. Ann Intensive Care 9: 123
  7. Henri Mondor Hospital Necrotizing Fasciitis Group, de Prost N, Sbidian E, Chosidow O, Brun-Buisson C, Amathieu R, (2015) Management of necrotizing soft tissue infections in the intensive care unit: results of an international survey. Intensive Care Med 41: 1506–1508
  8. SPILF et SFD, Conférence de consensus. Erysipèle et fasciite nécrosante : prise en charge. 2000 ; Med Mal Inf 30 : 241–5
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX