L’Amiklin - Un ami (en)clin à la réduction des PAVM ?

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Stephan Ehrmann et al, Inhaled Amikacin to Prevent Ventilator-Associated Pneumonia, N Engl J Med 2023 Nov 30;389(22):2052-2062.

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Question évaluée :

L’administration prophylactique de 3 jours d’aérosols d’amikacine diminue-t-elle l’incidence des pneumonies acquises sous ventilation mécanique (PAVM) ?

Type d’étude :

Essai clinique thérapeutique multicentrique français, randomisé, contrôlé, en double aveugle.

Population étudiée :

Étaient inclus les patients adultes admis en réanimation, sous ventilation mécanique depuis plus de 72h.

Étaient exclus les patients sous ventilation mécanique depuis plus de 96h, présentant une PAVM suspectée ou confirmée, une insuffisance rénale aiguë KDIGO 2 ou 3 sans suppléance rénale, une insuffisance rénale chronique avec DFG < 30 ml/min, une trachéotomie, une extubation prévue dans les 24h ou une antibiothérapie par aminoside systémique.

Méthode :  Il s’agit d’un essai clinique de supériorité comparant le traitement d’une aérosolthérapie par amikacine 20 mg/kg (de poids idéal théorique) à un aérosol de placebo (sérum physiologique de volume équivalent), administré une fois par jour pendant 3 jours. La nébulisation était réalisée avec un dispositif à tamis vibrant via une tubulure reliée à une seringue électrique. Une checklist était utilisée au lit du patient pour les aérosols, et la modification des réglages du ventilateur durant l’aérosol était laissée à l’appréciation du clinicien.

Les aérosols étaient interrompus en cas d’extubation, d’apparition d’une insuffisance rénale aiguë ou d’indication à une antibiothérapie systémique par aminoside. Les patients étaient issus de 19 services de réanimation en France adhérant aux recommandations sur la prévention des PAVM. La randomisation était avec un ratio 1:1 stratifiée sur le centre et l’administration d’une antibiothérapie systémique le jour de la randomisation. Le critère de jugement principal était le premier épisode de PAVM pendant les 28 premiers jours de suivi, nécessitant une documentation microbiologique quantitative, déterminé par un comité d’adjudication en aveugle du traitement.

Résultats essentiels :  Entre juillet 2017 et mars 2021, 847 patients ont été inclus dans l’analyse en ITT, 417 dans le groupe interventionnel (amikacine) et 430 dans le groupe placebo. Les deux groupes étaient comparables et plus de 3/4 des patients (78%) recevaient une antibiothérapie systémique à la randomisation.

Les patients du groupe aérosols d’amikacine avaient une incidence de premier épisode de PAVM à J28 significativement plus faible que le groupe placebo (15% vs 22%, p = 0,004).

Le premier épisode de PAVM se produisait en médiane à J10 (écart interquartile (EIQ) 7-16) après randomisation dans le groupe aérosol d’amikacine vs J9 (EIQ 7-12) dans le groupe placebo. La différence persistait en analyse per protocole (chez les patients ayant reçu les 3 aérosols, 17% vs 26% chez 337 et 355 patients respectivement), et chez les patients ventilés plus de 7 jours. L’incidence d’un premier épisode de pneumonie pour 1000 jours de ventilation invasive était de 16 dans le groupe aérosols d’amikacine vs 23 dans le groupe placebo (RR=0,68 ; IC95% 0,49-0,94). Les complications liées à la ventilation (VAC), les complications infectieuses liées à la ventilation (IVAC) et les possibles VAP étaient moins fréquentes également dans le groupe amikacine.

Concernant les critères de sécurité, il n’a pas été mis en évidence d’augmentation du nombre d’insuffisances rénales aiguës, d’acquisition de BMR dans le groupe aérosols d’amikacine ou d’événement indésirable notable en dehors de rares cas d’augmentations de résistances par obstruction du filtre de la branche expiratoire. Les paramètres ventilatoires n’étaient globalement pas modifiés, avec la moitié des patients ventilés en VSAI. Les aérosols duraient environ 45-50 minutes.

L’étude n’a pas mis en évidence de modification de la durée de ventilation mécanique ni de la mortalité. La consommation d’antibiotiques systémiques baissait légèrement, mais de façon non significative, 887 vs 968 jours d’antibiotiques/1000 jours de réanimation dans les groupes amikacine et placebo, respectivement.

Commentaires :

Les pneumonies acquises sous ventilation mécanique sont la première cause d’infection nosocomiale dans le monde, indépendamment du niveau de revenu du pays. Ce sujet a fait l’objet de RFE émanant des sociétés savantes de la SRLF/SFAR en 2017 proposant des moyens de prévention des PAVM parmi lesquels une limitation des doses et des durées de sédation, une initiation précoce d’une nutrition entérale, un contrôle régulier de la pression du ballonnet de la sonde endotrachéale, la réalisation d’aspirations sous-glottiques régulières, une position proclive [1].

Le taux de PAVM reste néanmoins élevé en France. Le dernier rapport du réseau de surveillance des infections nosocomiales en réanimation REA-REZO retrouve un taux d’incidence de 15,7 pneumopathies pour 100 patients intubés et un taux d'incidence de 21,8 pneumopathies pour 1000 jours d'intubation [2]. Ce taux était autour de 15/1000 jours VM avant 2020. On peut donc noter qu’avec la pandémie COVID, les PAVM sont plus fréquentes. Les raisons sont nombreuses, mais il est bien montré que les patients COVID sont plus à risque de PAVM [3].

Habituellement, la PAVM est associée à une augmentation de la durée de ventilation mécanique. Sa mortalité attribuable est très variable, entre 0 et 10%, selon la gravité du patient et la pathologie sous-jacente [3]. On peut remarquer que les précédentes études montrant une baisse du taux de PAVM, par exemple par l’utilisation de sondes avec aspiration sous-glottique, ne retrouvaient pas non plus de baisse significative de la durée de ventilation mécanique [4]. En effet, la durée moyenne de ventilation dépend surtout de la majorité des patients qui ne vont pas développer une PAVM.

Points forts :

- Étude multicentrique comprenant 19 centres participants dispersés sur l’ensemble du territoire français métropolitain, donc avec une épidémiologie bactérienne permettant la validation externe à nos services.

- Étude en double aveugle, pragmatique avec des paramètres ventilatoires, une intensité de sédation et une utilisation des curares laissée à la discrétion des cliniciens.

- Une adhérence aux recommandations de prévention des PAVM par tous les centres, même si l’utilisation de sondes avec aspiration sous-glottique était faible.

- Un critère de jugement principal répondant à une définition consensuelle avec un comité d’adjudication.

L’ensemble des évaluations moins subjectives que la PAVM (VAC, IVAC, possible VAP) présentaient des résultats concordants de ceux du critère de jugement principal.

- Un taux de compliance au protocole satisfaisant : 81% et 83% respectivement dans les groupes amikacine et placebo.

- Une analyse en considérant le risque compétitif (mort/extubation) a bien été réalisée, comme cela doit être fait pour évaluer toutes les infections nosocomiales.

- La sélection des patients nécessitant une ventilation mécanique > 72H limite l’exposition excessive de patients à faible risque de PAVM.

- De l’amikacine « standard » a été utilisée et non de l’amikacine liposomale validée pour la voie inhalée (beaucoup plus chère).

Points faibles :

- On note un taux d’incidence dans le groupe placebo bien supérieur au taux attendu de 12% initialement, correspondant cependant aux données de REA-REZO [2].

 - L’étude présente une puissance insuffisante pour évaluer l’impact sur la survie, la durée de ventilation mécanique, d’hospitalisation en réanimation et à l’hôpital, ou la réduction de la durée de l’antibiothérapie systémique.

 - Devant une hypothèse du risque proportionnel non confirmé (les courbes se croisant), le critère de jugement principal n’est pas évalué selon un hazard ratio mais selon une différence de durée de survie moyenne.

- le taux de PAVM confirmées par le comité d’adjudication était légèrement supérieur dans le groupe placebo que dans le groupe amikacine (66% vs 52%). On peut donc se demande si ce n’est pas la négativation des cultures par l’amikacine qui est responsable de cette différence. Cependant les investigateurs devaient faire un prélèvement respiratoire théoriquement à distance de l’aérosol et le résultat de l’étude persistait chez les ventilés de plus de 7 jours (donc après la fin de l’intervention).

Implications et conclusions :

Chez les patients nécessitant une ventilation mécanique de plus de 72h, l’administration de 3 jours d’antibiothérapie prophylactique par amikacine nébulisée permet de réduire significativement l’incidence du premier épisode de PAVM à J28. Malgré les résultats positifs de cette étude, la généralisation des aérosols d’amikacine en prophylaxie des PAVM, pose plusieurs questions : risque d’augmentation des effets indésirables si la rigueur du protocole n’est pas respectée (nécessité d’une checklist, aérosol non pneumatique…), risque de futilité dans un service avec une incidence de PAVM très basse, risque de modification de l’écologie bactérienne et d’acquisition voire d’infection à des BGN résistant à l’amikacine. Des études supplémentaires doivent être menées avant la généralisation de cette pratique dans nos services.

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RÉFÉRENCES

1.         Leone M, Bouadma L, Bouhemad B, et al (2019) Pneumonies associées aux soins de réanimation* RFE commune SFAR–SRLF. Médecine Intensive Réanimation 28:261–281. https://doi.org/10.3166/rea-2019-0106

2.         Rea Rezo : résultats. https://rearezo.chu-lyon.fr/resultats.html.

3.         Vacheron C-H, Lepape A, Savey A, et al (2022) Attributable Mortality of Ventilator-associated Pneumonia Among Patients with COVID-19. Am J Respir Crit Care Med 206:161–169. https://doi.org/10.1164/rccm.202202-0357OC

4.         Lacherade J-C, De Jonghe B, Guezennec P, et al (2010) Intermittent subglottic secretion drainage and ventilator-associated pneumonia: a multicenter trial. Am J Respir Crit Care Med 182:910–917. https://doi.org/10.1164/rccm.200906-0838OC

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Keyvan Razazi et Dahlia Aggoun, Service de Médecine Intensive – Réanimation Hôpitaux Universitaires Henri Mondor (AP-HP), Créteil France.

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position des auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (keyvan.razazi@aphp.fr / dahlia.aggoun@aphp.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI