L’antibiothérapie en préhospitalier n’améliore pas la survie dans le sepsis

28/03/2019
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reactu-antibiotherapie en prehospitalier
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Prehospital antibiotics in the ambulance for sepsis: a multicentre, open label, randomised trial.
N Alam, E Oskam, PM Stassen, et al, on behalf of the PHANTASi Trial Investigators and the ORCA (Onderzoeks Consortium Acute Geneeskunde) Research Consortium the Netherlands.
Lancet Respir Med. 2018 Jan;6(1):40-50.

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Question évaluée

Les recommandations les plus récentes de la Surviving Sepsis Campaign proposent que la réanimation initiale, incluant l’administration d’antibiotiques après avoir prélevé des hémocultures (1, 2) des patients avec un sepsis ou en choc septique soit faite dans la première heure de prise en charge. Débuter l’antibiothérapie de ces patients dès la phase préhospitalière pourrait donc faire sens. C’est ce que teste l’essai d’Alam et al., en comparant l’effet d’une administration d’antibiotique dans l’ambulance par rapport à une prise en charge usuelle.

Type d’étude

Essai multicentrique (10 services d’ambulance desservant 34 hôpitaux aux Pays-Bas), prospectif, randomisé, contrôlé, en ouvert.

Population étudiée

Patient adulte ayant une suspicion d’infection, avec une température > 38°C ou < 36°C, et au moins un autre critère de SRIS. Pour la gravité du sepsis, les anciennes définitions de 1991 et 2001 étaient appliquées (3, 4).

Méthode

Après un entrainement du personnel préhospitalier, les patients éligibles étaient randomisés (randomisation 1:1 par blocs de 4, stratifiée par région) dans le groupe intervention (ceftriaxone 2 gr IV en plus de la prise en charge usuelle) ou dans le groupe prise en charge usuelle (remplissage et oxygénothérapie). Le critère de jugement principal était la mortalité toute cause à 28 jours (analyse en intention de traiter).

Résultats essentiels

2698 patients ont été enrôlés entre le 20 juin 2014 et le 26 juin 2016. 2672 patients ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter, 1535 dans le groupe intervention et 1137 dans le groupe prise en charge habituelle. 318 (22%) patients dans le groupe intervention et 181 (17%)  avaient un qSOFA mesuré dans l’ambulance supérieur ou égal à 2. 986 (64%) patients dans le groupe intervention et 418 (37%) patients dans le groupe prise en charge usuelle ont reçu un remplissage durant la phase préhospitalière.

En ce qui concerne le critère de jugement principal, après 28 jours, 120 (8%) patients sont décédés dans le groupe intervention et 93 (8%) dans le groupe prise en charge habituelle (risque relatif 0,95 ; intervalle de confiance à 95% : 0,74-1,24). Après ajustement stratification sur la gravité du sepsis, la différence restait non significative (p=0,61)

En ce qui concerne les critères de jugement secondaires, après 90 jours, 178 (12%) patients sont décédés dans le groupe intervention et 134 (12%) dans le groupe prise en charge habituelle (risque relatif 0,98 ; intervalle de confiance à 95% : 0,80-1,21). 155 (10%) patients dans le groupe intervention et 98 (9%) patients dans le groupe prise en charge usuelle ont été admis dans une unité de soins intensifs. 1397 (91%) patients dans le groupe intervention et 1030 (91%) dans le groupe prise en charge usuelle ont reçu des antibiotiques durant leur séjour à l’hôpital. Il s’agissait le plus souvent de l’amoxicilline-acide clavulanique. La durée médiane avant antibiothérapie était de 26 minutes (interquartile 19–34) dans le groupe intervention. Dans le groupe prise en charge habituelle, la durée médiane avant antibiothérapie après l’admission aux urgences était de 70 minutes (interquartile 36–128), alors qu’elle était de 93 minutes (interquartile 39–140) avant la formation du personnel préhospitalier (p=0,142). Au final, 22 (1%) patients dans le groupe intervention et 19 (2%) patients dans le groupe prise en charge usuelle n’ont pas eu de diagnostic de sepsis confirmé.

Commentaires

Cet essai ayant inclus un nombre conséquent de patients évalue la question pertinente de la place de la réanimation préhospitalière dans le sepsis. Cet essai fait sens au vu des recommandations les plus récentes de la Surviving Sepsis Campaign. Au total, cet essai rapporte que l’administration préhospitalière de ceftriaxone 2 gr chez les patients en sepsis suivant les définitions de 1991 et 2001 n’améliore pas la survie à 28 jours. Cet essai rapporte aussi que la reconnaissance du sepsis est meilleure après une formation spécifique du personnel préhospitalier.

Points forts

Il s’agit d’un essai multicentrique avec 2698 patients enrôlés. Il y a une réduction très nette (96 minutes) de la durée médiane avant antibiothérapie lors de l’intervention en préhospitalier.

Points faibles

Il s’agit d’un essai en ouvert. Plus de patients ont été inclus dans le groupe intervention, surtout dans les premiers mois de l’étude, suite à des erreurs de randomisation. La limite principale de ce travail est qu’il repose sur les définitions du sepsis de 1991 et 2001 (3, 4) et par conséquent, de nombreux patients ayant une infection mais pas de sepsis-avec la notion de dysfonction d’organe- ont été inclus. En outre, très peu de patients graves ont été inclus (environ 10% des patients inclus admis en unité de soins intensifs et un taux de mortalité relativement faible dans les 2 groupes de l’essai), l’antibiothérapie précoce n’étant absolument pas justifiée chez ces patients. De plus, l’antibiothérapie administrée était la ceftriaxone. Dans le contexte actuel de résistance aux antibiotiques, cette classe doit être économisée et réservée aux patients les plus graves. Ainsi, de nombreux patients dans cette étude ont reçu une céphalosporine de 3e génération alors qu’une antibiothérapie probabiliste à spectre plus étroit aurait dû être proposée.

Implications et conclusions

L’antibiothérapie en préhospitalier par ceftriaxone pour tous les patients ayant un SIRS n’améliore pas la survie. La pratique usuelle de prise en charge de des patients ne doit pas changer.

Par contre, cette antibiothérapie doit être réservée aux patients les plus graves qui pourraient bénéficier d’une admission directe dans une unité de soins intensifs après la prise en charge préhospitalière. Ainsi, un nouvel essai en préhospitalier n’incluant que les patients les plus graves serait intéressant à promouvoir.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par Emmanuel Montassier, URGENCES-SAMU-SMUR, CHU de Nantes, France.

Emmanuel Montassier déclare ne pas avoir de liens d’intérêt.
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (emmanuel.montassier@chu-nantes.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Rhodes A, Evans L, Alhazzani W et al (2017) Surviving sepsis campaign: International guidelines for management of sepsis and septic shock: 2016. Intensive Care Med 43:304–377
  2. Levy MM, Evans LE, Rhodes A. The Surviving Sepsis Campaign Bundle: 2018 Update. Intensive Care Med. 2018 Jun;44(6):925-928.
  3. Levy MM, Fink MP, Marshall JC, et al. 2001 SCCM/ESICM/ACCP/ ATS/SIS International Sepsis Definitions Conference. Crit Care Med 2003; 31: 1250–56.
  4. Bone RC, Balk RA, Cerra FB, et al. Definitions for sepsis and organ failure and guidelines for the use of innovative therapies in sepsis. The ACCP/SCCM Consensus Conference Committee. American College of Chest Physicians/Society of Critical Care Medicine. Chest 1992;101: 1644–55.
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