L’hypercapnie légère n’améliore pas le pronostic après un arrêt cardiaque extra hospitalier

14/02/2024
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Eastwood G, Nichol AD, Hodgson C, Parke RL, McGuinness S, Nielsen N, et al. Mild Hypercapnia or Normocapnia after Out-of-Hospital Cardiac Arrest. N Engl J Med. 2023 Jul 6;389:45-57. doi: 10.1056/NEJMoa2214552.

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Question évaluée

L'hypercapnie légère par rapport à la normocapnie améliore-t-elle le pronostic neurologique à 6 mois chez les patients réanimés après un arrêt cardiaque extrahospitalier (ACEH) ?

Type d’étude

Il s’agit d’un essai contrôlé randomisé international en ouvert dans 63 services de soins intensifs répartis dans 17 pays. À noter que l’inclusion concomitante dans l’essai TTM2 (hypothermie versus normothermie) était possible.

Population étudiée 

Critères d’inclusion

  • ACEH de cause cardiaque ou inconnue
  • Adultes (≥ 18 ans)
  • Retour à une circulation spontanée (RACS) persistant (défini comme 20 minutes avec des signes de circulation sans massage cardiaque externe).
  • Persistance d’un coma (FOUR score moteur < 4et incapable d’obéir à une commande verbale)
  • Admis en réanimation sans limitation de soins
  • Randomisation moins de 180 minutes après le RACS

Critères d’exclusion

  • ACEH en l’absence de témoin et rythme initial en asystolie
  • Température à l’admission < 30°C
  • ECMO avant le RACS
  • Femmes enceintes
  • Saignements intracrâniens
  • BPCO sévère avec oxygénothérapie à domicile
Méthode

Critères de jugement :

Le critère de jugement principal était le devenir neurologique à 6 mois évalué par le score de Glasgow Outcome Scale-Extended (GOS-E). Un score de 5 à 8 était considéré comme un bon pronostic. Cette donnée était recueillie soit en personne, soit par téléphone ou par vidéoconférence par un évaluateur ignorant le groupe d’allocation du patient. Si cette évaluation n’était pas possible, une classification binaire (bon ou mauvais pronostic neurologique) était alors réalisée par une évaluation de l’ensemble des données du dossier médical. Les critères de jugement secondaires étaient notamment, la mortalité à 6 mois, le mauvais pronostic fonctionnel (évalué par le score de Rankin modifié) et la qualité de vie (évaluée par l’échelle visuelle analogique de l’EuroQol-5D-5L).

Intervention :

Une cible de PaCO2 entre 50 et 55 mmHg (groupe intervention) ou entre 35 et 45 mmHg (groupe contrôle) était maintenue durant les 24 premières heures après la randomisation. Durant cette période une sédation profonde (Richmond Agitation–Sedation Scale score, RASS, -4) était préconisée. Afin d’atteindre les objectifs de capnie, un gaz du sang artériel était réalisé toutes les 4 heures (ou 30 minutes après un changement des paramètres de ventilation) ainsi qu’un monitorage de l’ETCO2 pour guider la ventilation (réalisation d’un prélèvement artériel supplémentaire si variation de plus de 5 mmHg de l’ETCO2). Une évaluation neurologique était réalisée à au moins 96 heures après la randomisation par un praticien ne connaissant pas le groupe d’allocation du patient afin d’identifier les sujets ayant un mauvais pronostic.

Calcul du nombre de sujets nécessaire :

Afin de disposer d’une puissance de 90 % pour détecter une différence de 8 points de pourcentage du taux de bon pronostic neurologique à 6 mois (50 % dans la normocapnie et 58 % dans l'hypercapnie légère), l’inclusion de 1624 patients était nécessaire (risque alpha de 0,05). L’objectif était fixé à 1700 patients pour compenser les perdus de vue ainsi que les refus de consentement.

Résultats essentiels

Entre mars 2018 et septembre 2021, 1700 sujets ont été inclus dans l’étude, 847 (49,8%) dans le groupe hypercapnie légère et 853 (50,2%) dans le groupe normocapnie. Les sujets étaient majoritairement des hommes (80%) âgés de 61 ans en moyenne. La plupart des ACEH étaient des rythmes choquables (70%), chez seulement 9% des sujets une asystolie était enregistrée. Le nombre médian de choc nécessaire au RACS était de 2, IQR [1-4] avec une dose totale d’adrénaline durant la RCP de 1 mg [0-3] et un low-flow de 25 min [16–40]. Environ 28% des sujets présentaient un choc post-ressuscitation et 41% un syndrome coronarien ST+. À l’arrivée en réanimation le lactate était mesuré en moyenne à 6,9 mmol/l.

Un total de 8861 mesures de PCO2 ont été faites et ont été obtenues chez 1636 patients (818 dans chaque groupe) avec une médiane de 6 mesures [4–7]. La cible de capnie a été abandonnée chez 8.2% des patients dans le groupe hypercapnie légère et 3.0% des patients dans le groupe normocapnie.

À 6 mois, 43,5% des sujets du groupe hypercapnie légère avaient un bon pronostic neurologique contre 44,6% dans le groupe normocapnie, risque relatif ajusté : 0,98 IC95% (0,87 – 1,11). Il n’y avait pas de différence entre les 2 stratégies pour tous les objectifs secondaires (mortalité à la sortie de réanimation : 38,0% vs 35,6% ; mortalité à 6 mois : 48,2% vs. 45,9% ; échelle de qualité de vie : 76,4 vs. 74,5 points chez les survivants ; évaluation du mauvais pronostic par l’échelle de Rankin modifiée : 53,4% vs. 51,3%).

Il n’y avait également aucune différence du devenir neurologique à 6 mois dans tous les sous-groupes explorés (genre, âge > ou ≤ 65 ans, durée de low-flow ≥ ou < 25 min, rythme choquable ou non, présence ou non d’un choc à l’admission), ni en ce qui concerne les effets indésirables.

Commentaires

La PCO2 est le principal régulateur physiologique du tonus vasculaire cérébral et l'hypercapnie est connu pour augmenter le débit sanguin cérébral (jusqu'à 2 ml / 100 g de tissu cérébral /mmHg) (1). L’étude TAME a voulu explorer si cet effet avait un impact sur le devenir neurologique après un ACEH. Il s’agissait d’une étude de grande ampleur apportant des données solides concernant la cible de capnie optimale après un ACEH. Le contrôle de la capnie a été bien réalisée dans les 2 groupes avec un bon respect de chacune des cibles. Toutefois il faut noter qu’à l’admission en réanimation les sujets étaient en majorité légèrement hypercapniques (53 mmHg de moyenne) et ce, pendant au moins une durée de 2 heures après le RACS, soit environ 10% du temps total de l’intervention. Tout comme les autres récentes études évaluant le contrôle ciblé de différents paramètres vitaux comme la température (2), la pression artérielle (3) ou l’oxygénation (4) qui n’ont pas mis en évidence de bénéfice d’une certaine cible, l’initiation de l’intervention survenait avec un délai non négligeable par rapport au RACS. Or il semble exister une association entre ces différents paramètres vitaux durant la phase extrahospitalière et le devenir neurologique (5). L’absence d’effet de ces dernières études pourrait être en partie expliquer par cette particularité. En effet les toutes premières heures après le RACS semblent avoir un impact important sur le devenir (6–8). Les futures études visant à comparer différentes cibles de contrôle de ces paramètres devraient s’attacher à débuter juste après le RACS avec les équipes extrahospitalières.

Il faut également souligner que dans cette étude la grande majorité des ACEH étaient en rythme choquable avec des facteurs de bon pronostic. L’extrapolation des résultats aux ACEH avec un pronostic plus sombre (asystolie, pas de RCP par le témoin, low-flow prolongé nécessitant de forte dose d’adrénaline) n’est donc pas possible.

Points forts
  • Étude randomisée internationale de grande ampleur
  • Très bon contrôle de la cible de capnie des 2 groupes
  • Devenir neurologique à 6 mois
  • Évaluation neurologique à 6 mois par des évaluateurs en aveugle du groupe d’assignement
  • Approche standardisée des limitations de soins
Points faibles
  • Essai en ouvert
  • 7,6% de données manquantes pour le critère de jugement principal
  • Durée entre RACS et randomisation d’environ 2 heures
  • Contrôle de la cible de capnie abandonné chez 8% des sujets
  • Grande majorité de rythme choquable avec des critères de bon pronostic (88% devant témoin, 80% de RCP par le témoin, 9% d’asystolie, peu d’ACEH réfractaires).
Implications et conclusions

L’hypercapnie légère (50 à 55 mmHg) durant les 24 premières heures d’un ACEH n’améliore pas le pronostic neurologique par rapport à la normocapnie.

Cette étude apporte une preuve solide qu’il n’y a pas lieu de modifier les recommandations actuelles concernant la cible de capnie des patients après un ACEH en réanimation. Toutefois ces résultats s’appliquent essentiellement aux ACEH de bon pronostic : devant témoin avec un rythme choquable.

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RÉFÉRENCES

1. Battisti-Charbonney A, Fisher J, Duffin J. The cerebrovascular response to carbon dioxide in humans. J Physiol. 2011 Jun 15;589:3039-48.

2. Dankiewicz J, Cronberg T, Lilja G, et al. Hypothermia versus Normothermia after Out-of-Hospital Cardiac Arrest. N Engl J Med. 2021;384:2283‑94.

3. Kjaergaard J, Møller JE, Schmidt H, et al. Blood-Pressure Targets in Comatose Survivors of Cardiac Arrest. N Engl J Med. 2022;387:1456‑66.

4. Schmidt H, Kjaergaard J, Hassager C, et al. Oxygen Targets in Comatose Survivors of Cardiac Arrest. N Engl J Med. 2022;387:1467‑76.

5. Javaudin F, Desce N, Le Bastard Q, et al. Impact of pre-hospital vital parameters on the neurological outcome of out-of-hospital cardiac arrest: Results from the French National Cardiac Arrest Registry. Resuscitation. 2018;133:5‑11.

6. Smida T, Menegazzi JJ, Crowe RP, et al. Association of prehospital hypotension depth and dose with survival following out-of-hospital cardiac arrest. Resuscitation. 2022;180:99‑107.

7. Awad A, Nordberg P, Jonsson M, et al. Hyperoxemia after reperfusion in cardiac arrest patients: a potential dose–response association with 30-day survival. Crit Care. 2023;27:86.

8. Beckstead JE, Tweed WA, Lee J, MacKeen WL. Cerebral blood flow and metabolism in man following cardiac arrest. Stroke. 1978;9:569‑73.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par François Javaudin, Service des Urgences, CHU de Nantes, France.

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de l'auteur, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (francois.javaudin@chu-nantes.fr) et à la CERC.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
A. BRUYNEEL
C. DUPUIS
S. GENDREAU
S. GOURSAUD
G. FOSSAT
N. HIMER
T. KAMEL
O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI