L’infarctus anémique : prudence est mère de sûreté

01/03/2024
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Restrictive or Liberal Transfusion Strategy in Myocardial Infarction and Anemia

J.L. Carson, M.M. Brooks, P.C. Hébert, S.G. Goodman, M. Bertolet, S.A. Glynn, B.R. Chaitman, T. Simon, R.D. Lopes, A.M. Goldsweig, A.P. DeFilippis, J.D. Abbott, B.J. Potter, F.M. Carrier, S.V. Rao, H.A. Cooper, S. Ghafghazi, D.A. Fergusson, W.J. Kostis, H. Noveck, S. Kim, M. Tessalee, G. Ducrocq, P. Gabriel Melo de Barros e Silva, D.J. Triulzi, C. Alsweiler, M.A. Menegus, J.D. Neary, L. Uhl, J.B. Strom, C.B. Fordyce, E. Ferrari, J. Silvain, F.O. Wood,

B. Daneault, T.S. Polonsky, M. Senaratne, E. Puymirat, C. Bouleti, B. Lattuca, H.D. White, S.F. Kelsey, P.G. Steg, and J.H. Alexander, for the MINT Investigators

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Question évaluée

Maintenir un taux d’hémoglobine élevé (en règle > 10 g/dL) au cours d’un syndrome coronarien aigu (SCA) est sans aucun doute un des dogmes les plus ancrés dans nos pratiques. Cependant des études observationnelles ont suggéré que la transfusion de globules rouges pour des taux d’hémoglobine > 10 g/dL pouvait être associée à des récidives ischémiques précoces et à une augmentation de la mortalité [1]. De fait, les Recommandations Formalisées d’Experts SFAR-SRLF de 2019 se prononçaient alors plutôt contre une stratégie transfusionnelle libérale ciblant un objectif d’hémoglobine > 10 g/dL en phase aiguë de SCA, revascularisé ou non (grade 2-) [2]. Cette question de la stratégie transfusionnelle chez des patients anémiques pris en charge pour un SCA vient d’être évaluée dans un essai randomisé [3]. 

Type d’étude

Etude prospective randomisée multicentrique (144 sites) internationale ouverte

Population étudiée

Patients adultes avec SCA et une anémie définie par un taux d’hémoglobine < 10 g/dL.

Méthodes

Randomisation en schéma 1:1 pour recevoir des transfusions unitaires de concentrés globulaires selon deux seuils transfusionnels pendant 30 jours ou jusqu’à la sortie de l’hôpital. Dans le bras restrictif, la transfusion de globules rouges était permise lorsque le taux d’hémoglobine était < 8 g/dL, et requise si < 7 g/dL ou persistance de symptômes angineux.  Le seuil transfusionnel du bras libéral était fixé à 10 g/dL. Le critère de jugement principal était composite de récurrence d’infarctus du myocarde et de décès à 30 jours.

Résultats essentiels

3504 patients ont été évalués, dont 1749 dans le bras restrictif et 1755 dans le bras libéral. La moyenne d’âge était de 72.1 ± 11.6 ans. Un antécédent d’insuffisance cardiaque était présent chez 30.4% des patients, et parmi ceux ayant été évalués par échocardiographie dans l’année précédente, 37.6% avaient une fraction d’éjection du ventricule gauche < 45%. Une large majorité de patients (81.3%) présentait un SCA ST-, et le taux de revascularisation coronaire avant randomisation n’était que de 28.6%. Le taux d’hémoglobine moyen à l’inclusion était de 8.6 ± 0.8 g/dL, et 35.3% des patients avaient déjà reçu une transfusion avant randomisation. Comme attendu, le nombre de concentrés globulaires transfusé était moindre dans le bras restrictif (0.7 ± 1.6 vs. 2.5 ± 2.3 culots globulaires respectivement par patient). Les taux d’hémoglobine différaient significativement dans les 3 premiers jours, en moyenne à 8.9 g/dL dans le bras restrictif et > 10 g/dL dans le bras libéral.

Une récurrence d’infarctus ou un décès était observé chez 16.9% des patients du bras restrictif et 14.5% de ceux du bras libéral, avec un ratio de risque de 1.16 (IC 95% 1.00-1.35) suggérant un bénéfice de la stratégie transfusionnelle libérale. Les taux de récurrence d’infarctus (8.5% vs. 7.2%) et de mortalité (9.9% vs. 8.5%) n’étaient pas différents, mais les décès de causes cardiovasculaires sont apparus plus fréquents dans le bras restrictif (5.5% vs. 3.2%, ratio de risque 1.74 (1.26-2.40)). L’impact bénéfique de la stratégie transfusionnelle libérale semblait lié à certains sous-groupes pré-définis : infarctus de type 1 spontané lié à un évènement coronarien primaire comme une rupture ou une fissuration de plaque (par opposition aux infarctus de type 2 liée à une augmentation de la demande en oxygène), SCA ST-, présence d’une insuffisance cardiaque ou d’une insuffisance rénale chronique sévère. En revanche, il n’existait pas d’interactions avec les différentes tranches d’âge. La survenue d’un oedème pulmonaire de surcharge était moins fréquente dans le bras restrictif (0.5% vs. 1.3%).

Commentaires

Cette problématique a maintenant été envisagée dans deux études interventionnelles d’envergure. En effet, l’étude MINT s’ajoute à l’étude franco-espagnole REALITY basée sur un schéma interventionnel similaire sur 668 patients et une hypothèse de non-infériorité de la stratégie transfusionnelle restrictive [4]. Le critère de jugement principal d’évènements cardio-vasculaires majeurs (mortalité toutes causes confondues, AVC ischémique, récurrence d’infarctus du myocarde ou revascularisation coronaire en urgence) évalué à 30 jours atteignait 11% et 14% respectivement, et validait ainsi la non-infériorité de la stratégie transfusionnelle restrictive à court terme. Par rapport à l’étude MINT, l’étude REALITY comportait un peu moins de SCA ST- (69.6%), mais un taux plus élevé de revascularisation coronaire avant randomisation (45.3%). Mais surtout, le suivi à long terme de l’étude REALITY a remis en question la non-infériorité initialement annoncée de la stratégie restrictive, avec un taux cumulé d’évènements cardio-vasculaires majeurs à un an de 32.4% contre 28.4% dans le bras libéral et des courbes se croisant aux alentours du 5ème mois [5]. 

Points forts
  • Très large étude internationale
  • Présence d’un comité d’adjudication des évènements ischémiques coronariens
  • Analyses en sous-groupes pertinentes
  • Biais d’attrition faible (suivi incomplet pour 57 patients)
Points faibles
  • Etude ouverte, mais inhérente à l’intervention évaluée.
  • Faible taux de revascularisation au moment de l’inclusion
Implications et conclusions

Les résultats de cette étude sur le pronostic à 30 jours incitent à conserver un seuil transfusionnel élevé de 10 g/dL en cas de SCA, notamment en cas d’infarctus de type 1. Nous attendrons avec impatience les résultats du suivi à plus long terme de ces patients.

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RÉFÉRENCES

1.         Wang Y, Shi X, Du R, et al (2018) Impact of red blood cell transfusion on acute coronary syndrome: a meta-analysis. Intern Emerg Med 13:231–241. https://doi.org/10.1007/s11739-016-1594-4

2.         Lasocki S, Pène F, Ait-Oufella H, et al (2020) Management and prevention of anemia (acute bleeding excluded) in adult critical care patients. Ann Intensive Care 10:97. https://doi.org/10.1186/s13613-020-00711-6

3.         Carson JL, Brooks MM, Hébert PC, et al (2023) Restrictive or Liberal Transfusion Strategy in Myocardial Infarction and Anemia. N Engl J Med 389:2446-56. https://doi.org/10.1056/NEJMoa2307983

4.         Ducrocq G, Gonzalez-Juanatey JR, Puymirat E, et al (2021) Effect of a Restrictive vs Liberal Blood Transfusion Strategy on Major Cardiovascular Events Among Patients With Acute Myocardial Infarction and Anemia:  The REALITY Randomized Clinical Trial. JAMA 325:552–560. https://doi.org/10.1001/jama.2021.0135

5.         Gonzalez-Juanatey JR, Lemesle G, Puymirat E, et al (2022) One-Year Major Cardiovascular Events After Restrictive Versus Liberal Blood Transfusion Strategy in Patients With Acute Myocardial Infarction and Anemia: The  REALITY Randomized Trial. Circulation 145:486–488. https://doi.org/10.1161/CIRCULATIONAHA.121.057909

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Pr Frédéric Pène, service de MIR, hôpital Cochin, AP-HP. Centre & Université Paris Cité, Paris.

L'auteur ne déclare pas de conflit d'intérêt en lien avec cet article.

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CERC

G. LABRO (Secrétaire)
S. BOURCIER
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C. DUPUIS
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S. GOURSAUD
G. FOSSAT
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O. LESIEUR
A. ROUZÉ
V. ZINZONI