Majorer les doses d’anticoagulation prophylactique chez les patients COVID-19 admis en réanimation. Trop tard, pas assez ou inutile ?

08/02/2022
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Article JAMA
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Effect of Intermediate-Dose vs Standard-Dose Prophylactic Anticoagulation on Thrombotic Events, Extracorporeal Membrane Oxygenation Treatment, or Mortality Among Patients With COVID-19 Admitted to the Intensive Care Unit: The INSPIRATION Randomized Clinical Trial.
INSPIRATION Investigators.
JAMA. 2021;325(16):1620–1630. doi:10.1001/jama.2021.4152

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Question évaluée

Comparer une stratégie d’anticoagulation prophylactique à dose « standard » versus « intermédiaire » chez les patients COVID-19 admis en réanimation.

Type d’étude

Essai contrôlé, randomisé, multicentrique (10 centres en Iran), en ouvert, avec plan factoriel en 2 x 2.

Population étudiée
Critères d’inclusion
  • Patients âgés de plus de 18 ans avec un COVID-19 confirmé par RT-PCR, admis en réanimation dans les 7 jours de leur hospitalisation.
Critères d’exclusion
  • Espérance de vie <24h
  • Poids <40 kg
  • Grossesse
  • Indication à une anticoagulation curative
  • Thrombopénie <50 G/L
  • Antécédent de thrombopénie induite par l’héparine
  • Hémorragie
Méthode
Intervention

Cet article détaille les résultats d’une seule intervention du plan factoriel en 2 x 2 : la comparaison d’une anticoagulation prophylactique à dose « standard » versus dose « intermédiaire ». Devant l’absence d’interaction avec l’autre intervention (comparaison de l’administration d’une statine versus placebo), les résultats sont présentés indépendamment.

Les patients étaient randomisés en 1:1 en deux groupes :

Un groupe « contrôle » recevant une dose « standard » d’anticoagulation préventive (enoxaparine 40 mg/j par voie sous-cutanée) à l’admission en réanimation et pendant 30 jours.

Un groupe « interventionnel » recevant une dose « intermédiaire » d’anticoagulation préventive (enoxaparine 1mg/kg par voie sous-cutanée en une fois par jour) à l’admission en réanimation et pendant 30 jours.

En cas d’insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine <15 mL/min), il était recommandé d’utiliser de l’héparine sodique non fractionnée. Dans les deux groupes, il existait un protocole d’adaptation des doses en fonction du poids et de la fonction rénale des patients.

Critères de jugement
  • Critères d’efficacité

Le critère principal de jugement était un critère composite comprenant la survenue d’un événement thrombo-embolique veineux, d’une thrombose artérielle, d’un traitement par ECMO ou la mortalité à J30.

Les critères secondaires de jugement comprenaient la mortalité, le diagnostic d’événement thromboembolique veineux et le nombre de jours vivant sans ventilation mécanique.

  • Critères de tolérance/sécurité

Les critères de tolérance comprenaient la survenue d’un saignement majeur (selon le Bleeding Academic Research Consortium) et la thrombopénie sévère (plaquettes <20 G/L).

Il n’y avait pas de recherche systématique des évènements thromboemboliques veineux par échographie doppler ou angioscanner thoracique. Les critères de jugement étaient évalués par un comité en aveugle du traitement administré.

Résultats essentiels

De juillet à novembre 2020, 1692 patients ont été évalués et 600 ont été randomisés. Au final, 562 patients ont été inclus dans l’analyse en intention de traiter soit 276 dans le groupe dose « intermédiaire » et 286 dans le groupe dose « standard ». Les patients étaient majoritairement des hommes (58%) et l’âge médian était de 62 ans. Au moment de la randomisation, 20% des patients étaient sous ventilation mécanique invasive et plus de 90% étaient traités par corticoïdes.

  • Critères d’efficacité

Le critère principal de jugement était survenu chez 126/276 patients (46%) dans le groupe dose « intermédiaire » et chez 126/286 patients (44%) dans le groupe dose « standard » (p=0.70). La survenue de ce critère composite était largement portée par la mortalité à J30 qui était de 43% dans le groupe dose « intermédiaire » et de 41% dans le groupe dose « standard » (p=0.50). Il n’y avait pas de différence significative du nombre d’événements thromboemboliques veineux entre le groupe dose « intermédiaire » et le groupe dose « standard » (3.3% vs. 3.5% ; p=0.94).

  • Critères de tolérance

Concernant les critères de tolérance, 7 patients (2.5%) dans le groupe dose « intermédiaire » et 4 patients (1.4%) dans le groupe dose « standard » ont eu un saignement majeur (p=0.33). Il y avait significativement plus de patients ayant développé une thrombopénie sévère (plaquettes <20 G/L) dans le groupe dose « intermédiaire » que dans le groupe dose  « standard » (6 patients vs. 0 patient ; p=0.01).

L’analyse en sous-groupe des patients ayant une élévation des D-dimères (>1000 ng/ml) était similaire à l’analyse principale.

Commentaires

Dans cet essai contrôlé randomisé, l’administration d’une anticoagulation à dose « intermédiaire » n’était pas associée à un meilleur pronostic comparativement à une anticoagulation à dose « standard » chez des patients COVID-19 admis en réanimation. Une anticoagulation à dose « intermédiaire » était associée à un risque accru de thrombopénie sévère, mais pas de saignement majeur.

Dès le début de la pandémie de COVID-19, un phénotype « thrombo-inflammatoire » a été mis en évidence chez les patients infectés par le SARS-CoV-2 [1]. Celui-ci semble s’accompagner d’un risque accru de complications thromboemboliques, surtout chez les patients présentant une atteinte sévère. Dans une méta-analyse explorant les complications thromboemboliques veineuses chez les patients COVID-19, leur incidence variait entre 10 % et 40% en fonction de la population étudiée et de la méthode diagnostique utilisée (recherche systématique ou sur point d’appel clinique) [2]. Dans ce contexte, des recommandations d’experts préconisant une majoration des doses d’anticoagulation prophylactique ont été publiées [3]. Depuis, plusieurs essais cliniques ont été mis en place, explorant différentes stratégies d’anticoagulation chez des patients COVID-19 de gravités diverses [4].

Dans l’essai INSPIRATION présenté ici, l’incidence globale des complications thromboemboliques veineuses était faible (3.4%). Ceci était potentiellement dû à la méthode de diagnostic qui reposait sur un diagnostic clinique et non sur un dépistage systématique, ainsi qu’au niveau de gravité modérée des patients. En effet, la proportion de patients intubés au moment de l’inclusion était de 20%. Par comparaison, dans une cohorte européenne multicentrique, 63% des patients COVID-19 étaient intubés le premier jour de leur hospitalisation en réanimation [5].

Depuis la publication de cette étude, plusieurs articles rapportant les résultats d’essais cliniques comparant différentes stratégies d’anticoagulation chez les patients COVID-19 ont été publiés. Les résultats de ces études sont divergents mais semblent en faveur d’une amélioration du pronostic en cas d’administration d’une anticoagulation à dose thérapeutique chez les patients COVID-19 présentant une atteinte modérée [6–8]. Chez les patients COVID-19 présentant une atteinte sévère, aucune amélioration du pronostic n’a pu être mise en évidence [9].

Le timing de l’administration d’une anticoagulation à doses majorées chez les patients COVID-19 pourrait ainsi être primordial. L’absence de bénéfice de l’augmentation des doses d’anticoagulation chez les patients de réanimation pourrait être expliquée par une instauration trop tardive au cours de la maladie, une fois les lésions d’organes liées aux micro- et macro-thrombi apparues [10].

Par ailleurs, dans cette étude, l’absence de bénéfice de la majoration des doses d’anticoagulation préventive pourrait aussi être expliquée par l’inclusion de tous les malades COVID-19 admis en réanimation sans sélection de ceux les plus à risques de faire une complication thrombotique veineuse ou artérielle (i.e. ceux ayant des taux de D-dimères les plus élevés ou les plus graves) ou à une dose insuffisante d’anticoagulation prophylactique dans le groupe « intermédiaire ».

Points forts
  • Question pertinente
  • Méthodologie (essai contrôlé, randomisé, multicentrique)
  • Puissance adaptée
Points faibles
  • Absence d’aveugle
  • Essai réalisé dans seul pays (Iran) limitant la généralisation des résultats
  • Peu de patients avec un poids >120 kg (n=4)
Implications et conclusions

Dans cet essai multicentrique iranien chez une population de patients COVID-19 de réanimation, l’administration d’une anticoagulation prophylactique à dose « intermédiaire » n’était pas associée à une amélioration du pronostic par rapport à une dose « standard ». Il n’y avait en effet pas de différence dans le critère principal de jugement composite qui comprenait le diagnostic d'événement thromboembolique veineux, le diagnostic de thrombose artérielle, le traitement par ECMO ou la mortalité à J30, tandis qu’il existait un risque augmenté de thrombopénie sévère dans le groupe traité par une dose « intermédiaire ».

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Damien Contou et Samuel Chosidow, Service de Réanimation polyvalente, Centre Hospitalier d’Argenteuil, France.

Les auteurs déclarent n'avoir aucun lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (damien.contou@ch-argenteuil.fr) ou à la CERC.

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Références

  1. COVID-19 and coagulation: bleeding and thrombotic manifestations of SARS-CoV-2 infection.
    Al-Samkari H, Karp Leaf RS, Dzik WH, Carlson JCT, Fogerty AE, Waheed A, et al.
    Blood. 2020;136:489–500.
  2. Risk of venous thromboembolism in patients with COVID‐19: A systematic review and meta‐analysis.
    Nopp S, Moik F, Jilma B, Pabinger I, Ay C.
    Res Pract Thromb Haemost. 2020;4:1178–91.
  3. Prevention of thrombotic risk in hospitalized patients with COVID-19 and hemostasis monitoring.
    Susen S, Tacquard CA, Godon A, Mansour A, Garrigue D, Nguyen P, et al.
    Crit Care. 2020;24:364.
  4. Recent Randomized Trials of Antithrombotic Therapy for Patients With COVID-19.
    Talasaz AH, Sadeghipour P, Kakavand H, Aghakouchakzadeh M, Kordzadeh-Kermani E, Van Tassell BW, et al.
    J Am Coll Cardiol. 2021;77:1903–21.
  5. Clinical characteristics and day-90 outcomes of 4244 critically ill adults with COVID-19: a prospective cohort study.
    COVID-ICU Group on behalf of the REVA Network and the COVID-ICU Investigators.
    Intensive Care Med. 2021;47:60–73.
  6. Therapeutic Anticoagulation with Heparin in Noncritically Ill Patients with Covid-19.
    The ATTACC, ACTIV-4a, and REMAP-CAP Investigators.
    N Engl J Med. 2021;385:790–802.
  7. Effectiveness of therapeutic heparin versus prophylactic heparin on death, mechanical ventilation, or intensive care unit admission in moderately ill patients with covid-19 admitted to hospital: RAPID randomised clinical trial.
    Sholzberg M, Tang GH, Rahhal H, AlHamzah M, Kreuziger LB, Áinle FN, et al.
    BMJ. 2021;n2400.
  8. Therapeutic versus prophylactic anticoagulation for patients admitted to hospital with COVID-19 and elevated D-dimer concentration (ACTION): an open-label, multicentre, randomised, controlled trial.
    Lopes RD, de Barros e Silva PGM, Furtado RHM, Macedo AVS, Bronhara B, Damiani LP, et al.
    The Lancet. 2021;397:2253–63.
  9. Therapeutic Anticoagulation with Heparin in Critically Ill Patients with Covid-19.
    The REMAP-CAP, ACTIV-4a, and ATTACC Investigators.
    N Engl J Med. 2021;385:777–89.
  10. COVID-19-associated coagulopathy and antithrombotic agents—lessons after 1 year.
    Leentjens J, van Haaps TF, Wessels PF, Schutgens REG, Middeldorp S.
    Lancet Haematol. 2021;8:e524–33.
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CERC

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