Nouvelles recommandations de la Surviving Sepsis Campaign

24/06/2022
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Ces nouvelles recommandations sont basées sur le travail d’un panel de 60 experts et une enquête auprès de plus de 800 réanimateurs de plus de 30 pays.

Le groupe de travail était plus diversifié que celui de 2016, avec plus de femmes, une meilleure représentation des pays à faible revenu et plus de représentants des patients et des familles.

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Diagnostic et initiation du traitement

Il est toujours recommandé d’organiser le dépistage et la prise en charge des patients à risque de sepsis au sein des établissements avec l’utilisation de programmes d’amélioration des performances et l’utilisation de procédures opérationnelles standardisées.

Il est recommandé de ne pas utiliser le qSOFA comme seul outil pour le dépistage. Il s’agit d’une nouvelle recommandation par rapport aux recommandations de 2016. Le qSOFA apparait très spécifique mais moins sensible que d’autres marqueurs pour le dépistage du sepsis, notamment par rapport aux critères du SRIS, au NEWS (National Early warning Score) ou au MEWS (Modified Early warning Score). Il n’y a néanmoins pas d’outil idéal de dépistage avec des outils de faible valeur prédictive.

Le sepsis et le choc septique sont des urgences médicales. Il est toujours recommandé que le traitement et la prise en charge débutent immédiatement après le diagnostic.

Par rapport aux recommandations de 2016, Il est suggéré, plutôt que recommandé, de débuter la prise en charge avec un remplissage vasculaire initial par solutés cristalloïdes d’au moins 30 ml/kg dans les 3 premières heures. Le niveau de preuve est faible. Le volume du remplissage initial reste débattu mais le volume de 30 ml/kg correspond en moyenne au volume utilisé par le plus grand nombre. 

Il est suggéré de mesurer le taux sanguin de lactate. Le taux de lactate est associé à la mortalité dans le sepsis. Néanmoins, la présence d’un taux normal ou élevé ne permet pas à lui seul de confirmer ou d’éliminer un sepsis. Il reste par ailleurs également suggéré d’utiliser la réduction du taux de lactate comme cible thérapeutique, lorsque la mesure est disponible.

L’utilisation du temps de recoloration cutanée est également suggérée (nouvelle recommandation) pour guider la prise en charge initiale des patients en choc septique, en combinaison avec l’utilisation des autres marqueurs de perfusion tissulaire et/ou lorsque l’accès à ces derniers (notamment taux de lactate) est limité.  

Après le remplissage initial, il est suggéré qu’un remplissage supplémentaire soit guidé par des paramètres dynamiques plutôt que par des paramètres cliniques ou statiques (utilisation des variations du volume d’éjection systolique, variations de la pression pulsée ou du débit cardiaque par exemple, en réponse à un lever de jambe passif ou à une épreuve de remplissage).

Pour les patients sous vasopresseurs, il est toujours recommandé une cible initiale de pression artérielle moyenne (PAM) de 65 mm Hg, en comparaison avec des cibles plus élevées.

Une prise en charge retardée en soins critiques semble associée à un moins bon pronostic dans les études observationnelles.  Pour les patients pour lesquels une admission en soins critiques est retenue, il est suggéré qu’elle ait lieu dans les 6 heures de la prise en charge.

Infection

  • La nécessité de l’évaluation clinique ainsi que de la documentation microbiologique est rappelée comme dans les précédentes versions afin de confirmer ou pas l’étiologie infectieuse. En l’absence de cette dernière l’arrêt de l’antibiothérapie est suggéré.
  • Place de la Procalcitonine (PCT) :
    • Les auteurs suggèrent de ne pas utiliser la PCT en complément de l’examen clinique pour  l’initiation d’une antibiothérapie (recommandation faible contre, très faible niveau de preuve)
    • Dans les situations où le foyer infectieux est contrôlé et la durée optimale de traitement non codifiée,  il est suggéré de doser la PCT en complément de l’examen clinique afin d’arrêter l’antibiothérapie en cours (recommandation faible, faible niveau de preuve)
  • Le délai optimal de mise en route de l’antibiothérapie est toujours d’une heure dans le cadre d’un état de choc septique (recommandation forte, faible niveau de preuve) ainsi que dans celui d’une forte probabilité de sepsis (recommandation forte, très faible niveau de preuve). Ce délai est maintenant passé d’une heure à trois heures en cas de sepsis possible sans état de choc, (recommandation faible, très faible niveau de preuve) permettant ainsi de mener rapidement les investigations paracliniques.
  • Dans le cadre d’un sepsis ou choc septique le risque d’infection à certains germes doit être évalué avant la mise en route du traitement dans les contextes suivants :
    • Haut risque de SAMR: Antibiothérapie probabiliste couvrant le SAMR recommandée
    • Faible risque de SAMR: Non utilisation d’une antibiothérapie probabiliste couvrant le SAMR suggérée
    • Haut risque de BMR : Bithérapie probabiliste couvrant les BGN suggérée
    • Faible risque de BMR : Non utilisation d’une bithérapie par rapport à une monothérapie couvrant les BGN suggérée
    • Germe identifié et antibiogramme disponible : Non utilisation d’une bithérapie couvrant les BGN suggérée
    • Haut risque d’infection fongique : Utilisation d’un traitement antifongique empirique suggérée
    • Faible risque d’infection fongique : Non utilisation d’un traitement antifongique empirique suggérée
    • Aucune recommandation concernant l’utilisation d’un antiviral n’a été émise.
  • Mode d’administration des antibiotiques : les données de pharmacodynamie doivent être intégrées dans la réflexion et les bêta-lactamines doivent être administrées préférentiellement en perfusion prolongée après une dose de charge plutôt qu’en perfusion intermittente (Recommandation faible).
  • Contrôle du foyer concerné : le retrait d’un éventuel dispositif intra-vasculaire incriminé et la réévaluation quotidienne du traitement sont recommandés pour une meilleure utilisation des antibiotiques avec des durées plus courtes

Au travers de 21 points de recommandations élaborés nous retrouvons en filigrane cette volonté de continuer à promouvoir le bon usage des antibiotiques tout en rappelant la place capitale de la réévaluation de l’examen clinique afin de préserver l’écologie microbienne.

Hémodynamique

Concernant l’administration de fluide dans le choc septique il est recommandé d’utiliser des cristalloïdes et de ne pas utiliser les amidons et gélatines. Il est suggéré de favoriser les cristalloïdes balancés au Nacl 0.9% et d’ajouter de l’albumine si le volume administré est important. Nous pouvons rappeler l’importance d’individualiser le volume de fluide à administrer (dépendant notamment de la porte d’entrée du sepsis et de la fonction cardiaque préalable) et le besoin, en dehors de la phase initiale du choc septique, que les administrations de fluides suivent une évaluation hémodynamique.

Concernant les agents vasoactifs il est recommandé d’utiliser la noradrénaline en première intention. Il est également suggéré si l’objectif de PAM n’est pas atteint avec la noradrénaline, d’ajouter de la vasopressine puis de l’épinephrine. Nous rappelons également la place de la noradrénaline à la phase initiale en parallèle de l’expansion volémique en cas d’hypotension artérielle sévère ou de PAD basse.

Il est suggéré d’utiliser de la dobutamine et non du lévosimendan chez les patients septiques avec dysfonction cardiaque (documentée au moins par une échographie cardiaque) euvolémique et avec la persistance d’hypoperfusion tissulaire malgré un objectif de PAM atteint. Nous rappelons l’importance du monitorage individuel incluant des mesures répétées en parallèle.

Concernant le monitorage hémodynamique, il est suggéré d’utiliser un monitorage invasif de la pression artérielle. Il est suggéré de pouvoir administrer de façon transitoire de la noradrénaline dans une veine périphérique en attendant la mise en place d’une voie centrale. Ces recommandations nous semblent pouvoir être associées à l’évaluation hémodynamique et tissulaire avec notamment diurèse, état neurologique, lactate, marbrures, PPV (pulse pressure variation), SVV (stroke volume variation), « fluid challenge », levée de jambe passif, échocardiographie…

Ventilation

Bien que l’objectif principal de la surviving sepsis campaign est de proposer des lignes directrices sur le traitement de l’infection et la prise en charge hémodynamique du sepsis, 11 points de recommandation sont détaillées sur l’oxygénation et la ventilation. Cependant, ces recommandations n’apportent rien de nouveau et sont plutôt moins détaillées que les recommandations spécifiques sur les stratégies d’oxygénation noninvasive (1, 2) et le syndrome de détresse respiratoire aigu (SDRA) (3).

Concernant les objectifs d’oxygénation, les résultats sont contradictoires ou ne permettent pas de déterminer une cible d’oxygénation optimale entre une cible d’oxygénation basse (généralement définie par une PaO2 entre 55 et 70 mm Hg ou une saturation pulsée entre 88 et 92%) versus une cible plus élevée. En conséquence, les experts ont considéré que les données de la littérature étaient insuffisantes pour se prononcer sur une quelconque recommandation.

Concernant les stratégies d’oxygénation noninvasive en cas d’insuffisance respiratoire aigüe avec sepsis (le plus souvent une pneumonie), les experts n’ont fait aucune recommandation sur la ventilation noninvasive (données insuffisantes) et privilégient l’utilisation de l’oxygénothérapie nasale à haut débit plutôt que la ventilation noninvasive (recommandation faible). Sur ce point, des recommandations nettement plus précises viennent d’être publiées par l’European Respiratory Society (2)

Concernant la prise en charge du SDRA, les recommandations reprennent les points clés déjà préconisés par la SRLF (3), c’est-à-dire l’utilisation de petits volumes courants (6 ml/kg de poids prédit) en cas de SDRA avéré (recommandation forte) mais aussi chez tout patient septique même sans critère de SDRA (recommandation faible), une pression de plateau maximale de 30 cm H2O (recommandation forte), une pression expiratoire positive plutôt élevée (recommandation faible), des manœuvres de recrutement (recommandation faible), en maintenant une pression des voies aériennes à 30-40 cm H2O pendant 30-40 secondes et en évitant des pressions excessives (pression expiratoire positive augmentée progressivement jusqu’à 45 cm H2O avec des pressions de plateau bien supérieures) (recommandation forte), le décubitus ventral au moins 12 heures par jour (recommandation forte), l’utilisation de curares plutôt en bolus qu’en perfusion continue (recommandation faible), et enfin l’ECMO (extra-corporeal membrane oxygenation) veino-veineuse en cas d’échec de la ventilation mécanique (recommandation faible).

Traitements additionnels

Corticoïdes

La SCC suggère d’administrer des corticoïdes (hydrocortisone 200 mg/j IV) chez les adultes en choc septique nécessitant au-moins 0,25 µg/kg/min de noradrénaline ou d’adrénaline (recommandation faible, niveau de preuve modéré). Cette recommandation nouvelle est fondée par trois essais randomisés et une méta-analyse, qui montrent : (i) une résolution du choc plus rapide ; (ii) un plus grand nombre de jours sans vasoconstricteurs ; mais (iii) sans effet clair sur la mortalité ; (iv) avec une augmentation de la faiblesse neuromusculaire.

Hémoperfusion

La SCC suggère de ne pas utiliser l’hémoperfusion sur membranes à la polymyxine-B (recommandation faible, niveau de preuve faible). Cette recommandation nouvelle est fondée sur une actualisation de méta-analyse qui après exclusion des essais à risque de biais élevé ne montre pas de bénéfice à cette technique coûteuse. Pas plus qu’en 2016 le SCC ne propose de recommandation pour les autres modalités de purification du sang.

Seuils transfusionnels érythrocytaires

La SCC recommande une stratégie de transfusion restrictive (recommandation forte, niveau de preuve modéré). Le niveau de preuve était fort en 2016 : dans l’intervalle l’essai TRICOP (4) a trouvé une survie plus élevée à J90 dans le groupe libéral chez des patients de réanimation oncologique. Cependant la méta-analyse réalisée pour les recommandations ne montre pas de bénéfice de survie à l’une ou l’autre stratégie, et l’approche restrictive économise des ressources.

Immunoglobulines

La SCC suggère de ne pas utiliser d’immunoglobulines (recommandation faible, niveau de preuve faible), beaucoup d’études disponibles étant à haut risque de biais.

Prévention des ulcères de stress

La SCC suggère de prévenir les ulcères de stress chez les patients à risque d’hémorragie digestive (recommandation faible, niveau de preuve modéré), les facteurs de risque retenus étant une coagulopathie, un choc, une hépatopathie chronique. En 2016 la recommandation était forte. Depuis l’essai SUP-ICU (5) n’a pas montré d’amélioration de la survie avec cette prévention. La recommandation se fonde sur une diminution modeste de l’incidence des hémorragies digestives. Une méta-analyse récente a néanmoins trouvé un risque plus élevé de récurrence des colites à C. difficile chez les patients sous inhibiteurs de pompe à protons. 

Prophylaxie de la maladie veineuse thromboembolique

La SCC recommande de réaliser une prophylaxie médicamenteuse, en l’absence de contre-indication ; et de préférer une héparine de bas poids moléculaire à une héparine non fractionnée (dans les deux cas, recommandation forte, niveau de preuve modéré). Ces recommandations sont inchangées. Elle suggère de ne pas associer de prévention mécanique à l’héparine (recommandation faible, niveau de preuve faible).

Épuration extra-rénale (EER)

La SCC suggère de ne pas utiliser l’EER en l’absence d’indication absolue : acidémie réfractaire, hyperkaliémie, surcharge hydrosodée réfractaire (recommandation faible, niveau de preuve modéré). Elle a intégré les résultats des essais IDEAL-ICU et STARRT-AKI.

Si l’EER est indiquée, elle suggère que peuvent être utiliser indifféremment les techniques intermittentes ou continues (recommandation faible, niveau de preuve faible), sans changement depuis 2016.

Contrôle glycémique

La SCC recommande de débuter une insulinothérapie à partir d’une glycémie de 1,80 g/L (recommandation forte, niveau de preuve modéré), pour une cible de 1,44-1,80 g/L. Des cibles plus basses sont associées à un risque élevé d’hypoglycémie.

Vitamine C

La SCC suggère de ne pas administrer de vitamine C (recommandation faible, niveau de preuve faible). Elle a intégré sept essais randomisés récents dont la méta-analyse n’a pas montré de bénéfice à l’administration de vitamine C.

Administration de bicarbonate de sodium

La SCC suggère de ne pas administrer de bicarbonate dans le but d’améliorer l’hémodynamique de patients septiques en acidose lactique (recommandation faible, niveau de preuve faible).  Elle suggère au contraire d’en administrer si coexistent une acidose métabolique avec pH≤7,20 et une insuffisance rénale (score AKIN 2 ou 3) (recommandation faible, niveau de preuve faible). Elle a intégré pour les deux recommandations les résultats de BICAR-ICU.

Nutrition

La SCC suggère, quand elle est possible, de débuter la nutrition entérale dans les 72h suivant l’admission (recommandation faible, niveau de preuve très faible). S’il n’y a pas de bénéfice montré à cette approche, elle a considéré qu’il n’y avait pas non plus d’inconvénients cliniques, et que des arguments physiologiques étaient en faveur de cette nutrition précoce.

Objectifs de soins et pronostic du sepsis

Vingt recommandations, en majorité en avis d’experts, sont formulées (3 en 2016) :

Les experts suggèrent :

  • D’initier une discussion avec le patient et/ou sa famille dans les 72 heures suivant l’admission aux soins intensifs pour identifier de meilleurs directives et objectifs de traitement.
  • D’initier les soins palliatifs en réanimation si nécessaire, sans recourir à une consultation de soins palliatifs systématiquement
  • Proposer le recours au soutien aux patients et familles par les pairs (des bénévoles, des équipes d'entraide), (recommandation faible, niveau de preuve très faible).
  • De protocoliser la communication et la transmission de l'information entre les services prenant en charge le patient (recommandation faible, niveau de preuve très faible).
  • De proposer une aide sociale si besoin et d’établir un programme d’éducation thérapeutique pendant et après l’hospitalisation.
  • De fournir, au patient et au service receveur, un compte rendu détaillé de son hospitalisation.
  • De proposer une prise en charge dans une unité de rééducation post-réanimation et un suivi médical et psychologique après la sortie du patient de l’hôpital avec une prise en charge multidisciplinaire.  

Références

  1. Official ERS/ATS clinical practice guidelines: noninvasive ventilation for acute respiratory failure.
    Rochwerg B, Brochard L, Elliott MW, Hess D, Hill NS, Nava S, et al.
    The European respiratory journal. 2017 Aug;50(2):1602426. PubMed PMID: 28860265.
  2. ERS Clinical Practice Guidelines: High-flow nasal cannula in acute respiratory failure.
    Oczkowski S, Ergan B, Bos L, Chatwin M, Ferrer M, Gregoretti C, et al.
    The European respiratory journal. 2021 Oct 28. PubMed PMID: 34649974. Epub 2021/10/16. eng.
  3. Formal guidelines: management of acute respiratory distress syndrome. Annals of intensive care. 2019 Jun 13;9(1):69.
    Papazian L, Aubron C, Brochard L, Chiche JD, Combes A, Dreyfuss D, et al.
    PubMed PMID: 31197492. Pubmed Central PMCID: PMC6565761
  4. Liberal versus restrictive transfusion strategy in critically ill oncologic patients: The transfusion requirements in critically ill oncologic patients randomized controlled trial.
    Bergamin FS, Almeida JP, Landoni G, et al.
    Crit Care Med 2017; 45:766–773
  5. SUP-ICU trial group: Pantoprazole in patients at risk for gastrointestinal bleeding in the ICU.
    Krag M, Marker S, Perner A, et al.
    N Engl J Med 2018; 379:2199–2208