Oxygénothérapie hyperbare et intoxications au monoxyde de carbone : l’heure des databases ?

15/03/2018
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reactu-oxygenotherapie hyperbare
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Hyperbaric Oxygen Therapy is associated with lower short-and long-term mortality in patients with carbon monoxide poisoning.
Chien-Cheng Huang,Chung-Han Ho, Yi-Chen Chen, Hung-Jung Lin, Chien-Chin Hsu, Jhi-Joung Wang, Shih-Bin Su, How-Ran Guo
Chest 2017;152(5);943-953

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Question évaluée

Effet de l’Oxygénothérapie hyperbare (OHB) sur la mortalité à court et long terme dans l’intoxication au monoxyde de carbone (CO).

Type d’étude

Rétrospective sur base de données nationale.

Population étudiée

Cohorte nationale taïwanaise ayant un codage relatif à une intoxication au CO.

Méthodes

L’étude utilise une base nationale de données, issue du codage des assurances de la santé Taïwanaise, qui comprend presque 100% de la population. Ces données ont été mises à la disposition des scientifiques par l’Institut National de Recherche en Santé et exploitées sur la période 1999 à fin 2013. Le diagnostic d’intoxication au CO a été retenu sur les critères de codage de la classification internationale des maladies (ICD-9). Des sous-groupes en fonction de l’âge, de multiples comorbidités, des conditions d’intoxication (suicide, intoxication médicamenteuse concomitante, fréquence mensuelle d’intoxication au CO), des complications (respiratoires, cardiaques, hépatiques et rénales) et de la prise en charge (OHB ou non et nombre de séances durant le mois suivant le diagnostic) ont été définis. La mortalité a été relevée dans la population concernée et à l’intérieur des sous-groupes.

Résultats essentiels

Les auteurs rapportent 25737 intoxications au CO dont 7278 traitées par OHB.

Les groupes OHB et pas d’OHB diffèrent en termes d’âge (patients plus jeunes dans le groupe OHB) et de comorbidités (moins fréquentes dans le groupe OHB). Le groupe OHB comprend plus de suicidants, de patients ayant présenté une défaillance respiratoire, ou rénale et moins d’intoxications médicamenteuses concomitantes. Parmi les patients ayant eu de l’OHB,  68,5% d’entre eux ont eu plus d’une séance d’OHB dans le mois suivant l’intoxication au CO et 30,3% ont même reçu plus de 5 séances.

Le groupe OHB présentait un risque de mortalité plus faible après stratification selon l’âge, le sexe, les conditions de tentative de suicide ou d’intoxication médicamenteuse associée et les comorbidités. Les patients de moins de 20 ans et ceux en défaillance respiratoire ayant eu de l’OHB avaient une mortalité moindre par rapport aux autres.

Le risque de mortalité dans le groupe OHB était inférieur à celui du groupe sans OHB, surtout à court terme (toutes les périodes après la sortie jusqu’à 4 ans), mais aussi à plus long terme.

A l’intérieur du groupe OHB, la mortalité était moindre chez les patients ayant reçu entre 2 et 5 séances et plus de 5 séances par rapport à ceux n’ayant eu qu’une seule séance.

Les patients ayant eu le plus de séances étaient aussi ceux qui ont développé au cours de cette intoxication au CO le plus de défaillances respiratoires, d’infarctus du myocarde, d’hépatites aiguës et d’insuffisances rénales aiguës.

Les facteurs indépendants prédictifs de mortalité étaient l’âge élevé, le sexe masculin, la faible fréquence mensuelle d’intoxications au CO admises dans la structure, les comorbidités de type diabète/cancer/accident vasculaire cérébral/alcoolisme/désordres mentaux, les conditions de suicide et la survenue d’une défaillance ventilatoire.

Commentaires

Cette étude, bien que rétrospective, a le mérite d’analyser la plus grosse cohorte d’intoxications au CO publiée, avec en outre, une certaine exhaustivité de la population concernée. L’intérêt de l’OHB dans ce cadre est de nouveau évoqué. La diminution de la mortalité n’était jamais le critère de jugement principal des essais randomisés, contrôlés, publiés, qui s’attachaient plus aux séquelles neurologiques, faute de population suffisamment importantes pour évaluer la mortalité 1-4. De même, le suivi n’excède habituellement pas 6 mois à 1 an avec des problèmes de perdus de vue considérable alors que Huang fournit des données jusqu’à long terme, y compris après 4 ans. Il n’empêche que ces résultats ne peuvent prétendre apporter de réponse à la question de l’utilité de l’OHB, débattue depuis 30 ans malgré plusieurs essais randomisés, aux conclusions contradictoires 1-4. Tous sont cependant critiquables tel que les revues systématiques de la littérature le démontrent 5. Les conférences de consensus maintiennent quant à elles leur avis favorable 6.

Peu étudié jusqu’à présent, l’intérêt de l’OHB dans le cadre de l’intoxication au CO en pédiatrie est évoqué bien que le détail de la population des patients de moins de 20 ans ne soit pas fourni. De même pour les patients présentant une défaillance respiratoire et bénéficiant de l’OHB, les codes utilisés ne correspondent pas au syndrome de détresse respiratoire aigüe, forme la plus grave de défaillance respiratoire.

Les patients ayant 2 à 5 séances ou plus d’OHB ont une mortalité inférieure aux patients ne bénéficiant que d’une séance sans que l’on puisse savoir le motif de ces prescriptions (protocole systématique/habitude de certains centres, patients plus graves/ne s’améliorant pas après première séance, patients s’aggravant après première séance/ trop instables pour réaliser l’OHB… ?) ni si c’est donc le nombre de séances qui influe sur l’évolution finale du patient ou l’état du patient qui influe sur le nombre de séances. Ces éléments relancent cependant l’intérêt des 3 séances utilisées dans le protocole de Weaver, favorable à l’OHB, bien qu’atypiques dans la pratique habituelle des centres hyperbares4. La réalisation de ces séances sur potentiellement un mois après le diagnostic laisse cependant dubitatif : les auteurs expliquent qu’il n’a pu être réalisé d’analyse avec un délai plus court du fait de données recueillies rétrospectivement dans une database non spécifiquement dédiée à cette étude.

Par ailleurs, rien ne garantit que le traitement par oxygénothérapie normobare ait été délivré à cette population : seul le fait d’avoir de l’OHB ou non est relevé et étudié…L’OHB n’est donc ici pas comparé à l’oxygénothérapie  normobare, comme habituellement fait dans les études précédentes…

Points forts

Très grosse cohorte (plus grosse cohorte publiée), quasi exhaustivité de la population (Taïwanaise).

Critère de jugement (mortalité) plus simple à appréhender que les séquelles neurologiques habituellement évaluées.

Points faibles

Extraction de données sur  l’intoxication au CO d’une database non spécifique.

Absence complète de données sur un éventuel traitement par O2 normobare et ses modalités.

Pas de données sur l’indication précise de l’OHB, ni surtout le détail des séances et leur programme, leur délai, le motif des séances multiples.

Implications et conclusions

Cette étude rétrospective, bien que très imposante en terme d’effectif, ne change pas le manque de données objectives qui existe à l’heure actuelle pour statuer sur l’intérêt ou non de l’OHB dans les intoxications au CO, a fortiori par comparaison à l’oxygénothérapie  normobare.

L’intérêt potentiel de plus d’une séance d’OHB pour les intoxications au CO, rarement réalisé en pratique quotidienne, relance la nécessité d’être évalué en soit lors de prochaines études randomisées.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr Vincent Souday, Département de Médecine Intensive et Réanimation et Médecine Hyperbare, CHU Angers, France.

L’ auteur ne déclare aucun conflit d’intérêt. Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (Visouday@chu-angers.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Annane D, Chadda K, Gajdos P, Jars-Guincestre MC, Chevret S, Raphael JC. Hyperbaric oxygen therapy for acute domestic carbon monoxide poisoning: two randomized controlled trials. Intensive Care Med 2011; 37: 486-92.
  2. Raphael JC, Elkharrat D, Jars-Guincestre MC, Chastang C, Chasles V, Vercken JB, Gajdos P. Trial of normobaric and hyperbaric oxygen for acute carbon monoxide intoxication. Lancet. 1989;2(8660):414-9.
  3. Scheinkestel CD, Bailey M, Myles PS, Jones K, Cooper DJ, Millar IL, Tuxen DV. Hyperbaric or normobaric oxygen for acute CO poisoning: a randomised controlled clinical trial. Med J Aust 1999; 170: 203-10.
  4. Weaver LK, Hopkins RO, Chan KJ, Churchill S, Elliott CG, Clemmer TP, Orme JF, Thomas FO, Morris AH. Hyperbaric oxygen for acute CO poisoning. N Engl J Med 2002; 347: 1057-67.
  5. Buckley NA, Juurlink DN, Isbister G, Bennett MH, Lavonas EJ. Hyperbaric oxygen for carbon monoxide poisoning. Cochrane Database Syst Rev. 2011 Apr 13;(4):CD002041. doi: 10.1002/14651858.CD002041.pub3.
  6. Mathieu D, Marroni A, Kot J. Tenth European Consensus Conference on Hyperbaric Medicine: recommendations for accepted and non-accepted clinical indications and practice of hyperbaric oxygen treatment. Diving Hyperb Med. 2017;47(1):24-32.
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CERC

G. MULLER (Secrétaire)
N. AISSAOUI
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
D. GRIMALDI
S. HRAIECH
G. JACQ
JB. LASCARROU
P. MICHEL
G. PITON
A. YOUSSOUFA