Pas d’anticoagulation curative pour les COVID-19 graves !

08/02/2022
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Article NEJM
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Therapeutic Anticoagulation with Heparin in Critically Ill Patients with Covid-19.
The REMAP-CAP, ACTIV-4a, and ATTACC Investigators
N Engl J Med. 2021. 26;385(9):777-789. PMID: 34351722

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Question évaluée

L’anticoagulation curative améliore-t-elle le pronostic des patients hospitalisés en réanimation pour des formes graves de COVID-19 ?

Type d’étude

Essai en ouvert - multiplateformes (REMAP-CAP, ACTIV-4, ATTACC) – randomisé, contrôlé, adaptatif, international.

Population étudiée

Patients hospitalisés en réanimation pour COVID-19 grave, requérant un support ventilatoire par oxygène nasal à haut débit, ventilation mécanique non invasive ou invasive, une circulation extracorporelle, ou encore un support catécholaminergique.

Méthode

Randomisation en deux groupes : 1/ anticoagulation curative par héparine de bas poids moléculaire ou non fractionnée, selon les protocoles locaux pour le traitement des évènements thrombo-emboliques aigus versus une anticoagulation « prophylactique » selon les pratiques locales en cours, à dose standard ou dose préventive « renforcée ».

Critère de jugement principal

Nombre de jours sans suppléance respiratoire ou cardiovasculaire jusqu’à J21 parmi les patients survivants, évalué sur une échelle ordinale. Un nombre de jour élevé sans support d’organe indiquait un meilleur pronostic; les patients décédés à l’hôpital avant J90 avaient une valeur attribuée de -1.

Critères de jugements secondaires

Survie à la sortie de l’hôpital, survenue d’évènement thrombo-embolique, décès, saignements majeurs, survenue d’une thrombopénie induite par l’héparine.

Résultats essentiels

1103 patients ont été inclus entre avril et décembre 2020, dont 1098 pour lesquels le critère de jugement principal est connu (534 dans le groupe curatif / 564 dans le groupe « prophylactique »). L’âge médian était de 60 ans. 80% des patients ont reçu des corticoïdes, 31% du Remdesivir et 1,8% du Tocilizumab. 32% étaient sous oxygénothérapie nasale à haut débit, 38% sous ventilation non invasive et 29% étaient intubés. Les D-dimères médians étaient d’environ 800 µg/L.


Le critère de jugement principal n’était pas significativement différent entre les 2 groupes (nombre médian de jours sans suppléance d’organes : 1 (IQR, −1 à 16) dans le groupe curatif vs. 4 (IQR, −1 à 16) dans le groupe prophylactique (OR ajustés 0,83 ;IC 95%, 0,67 à 1,03 ; probabilité de futilité définie par un OR <1,2 à 99,9%).

Concernant les critères de jugement secondaires :

  • la survie hospitalière était de 62,7% et 64,5%, respectivement (OR ajusté 0,84; IC95%, 0,64 à 1,11)
  • il y avait moins de complications thrombotiques graves dans le groupe curatif (6,4 vs. 10,4%)
  • les complications hémorragiques graves étaient de 3,8% dans le groupe curatif vs. 2,3% dans le groupe « prophylactique ».
Commentaires

Il s’agit d’une étude internationale de grande envergure, arrêtée prématurément pour futilité sur le critère de jugement principal, comparant deux niveaux d’anticoagulation chez des patients admis en réanimation pour COVID-19 graves.

Tout d’abord, il faut noter que la majorité des patients a été recrutée via la plateforme REMAP-CAP (929 des 1103 patients inclus, 84%) et principalement au Royaume Uni, où les recommandations concernant la thromboprophylaxie des patients COVID-19 ont changé pendant la période d’inclusion. Plus de la moitié des patients du groupe « préventif » a donc en réalité reçu une thromboprophylaxie à dose intermédiaire « renforcée ». L’étude actuelle compare donc l’efficacité d’une anticoagulation curative vs. préventive ou préventive « renforcée ». Il est donc possible que l'effet de l'anticoagulation à dose curative chez les patients atteints de COVID-19 grave varie selon le type de traitement administré au groupe contrôle.

Ensuite, la période d’inclusion s’étend d’avril à décembre 2020, et englobe des patients dont les caractéristiques cliniques et thérapeutiques ont considérablement évolué. La corticothérapie, rarement administrée au cours de la 1ère vague, est devenue plus systématique par la suite. Compte-tenu des interactions étroites entre l’hémostase et l’immunité (immunothrombose), on peut s’attendre à ce que les corticoïdes réduisent l’inflammation systémique et donc l’activation systémique de la coagulation, et par ce biais, réduise les complications thrombotiques. En effet, l’introduction des thérapeutiques anti-inflammatoires, comme la corticothérapie, a considérablement diminué leur incidence, ce qui explique en partie la négativité de la plupart des études par manque de puissance. Le taux d'événements thrombotiques dans la présente étude était en effet très inférieur à celui rapporté dans d'autres études (7,2% dans le groupe curatif vs. 11,1% dans le groupe préventif).

On peut s’interroger enfin sur le choix du critère de jugement principal. La survenue de complications thrombotiques chez les patients atteints de COVID-19 graves n’étant pas associée de façon constante dans les publications à la mortalité ou à la durée de séjour en réanimation, il est peu surprenant que ce critère de jugement soit négatif. En effet, certaines études récentes suggèrent que la majorité des événements thrombotiques chez les patients COVID-19 graves sont des thromboses sur cathéter, des thromboses veineuses profondes distales isolées ou des embolies pulmonaires sous-segmentaires, qui sont peu susceptibles d'affecter la mortalité (1-4).

Points forts
  • Essai randomisé contrôlé de grande envergure
Points faibles
  • Groupe préventif hétérogène (dose standard vs. renforcée)
  • Population hétérogène (évolution des thérapeutiques)
  • Etude réalisée en ouvert
  • Population issue essentiellement de la cohorte REMAP-CAP
Implications et conclusions

Cette étude montre l’absence de bénéfice de l’anticoagulation curative chez des patients COVID-19 graves, en terme de nombre de jours sans suppléance d’organes. Bien qu’un certain nombre d’éléments soient à prendre en compte dans l’interprétation des résultats, avec en premier lieu l’hétérogénéité du groupe contrôle, il ne semble donc pas licite de proposer une anticoagulation curative systématique chez les patients COVID-19 hospitalisés en réanimation.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Julie HELMS, Service de Médecine Intensive-Réanimation, CHU de Strasbourg, France.

L'auteur déclare les liens d'intérêt suivant : 

  • Rémunération pour des conférences - SANOFI-AVENTIS

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l'auteur (Julie.helms@chru-strasbourg.com) ou à la CERC.

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Références

  1. High risk of thrombosis in patients with severe SARS-CoV-2 infection: a multicenter prospective cohort study.
    Helms J, Tacquard C, Severac F, et al.
    Int Care Med. 2020 ; 4:1-10
  2. Incidence of venous thromboembolism and bleeding among hospitalized patients with COVID-19: a systematic review and meta-analysis.
    Jiménez D, García-Sanchez A, Rali P, et al.
    Chest. 2021;159(3):1182-1196.
  3. Incidence of thrombotic complications in critically ill ICU patients with COVID-19.
    Klok FA, Kruip MJHA, van der Meer NJM, et al.
    Thromb Res. 2020;191:145-147.
  4. Registry of arterial and venous thromboembolic complications in patients with COVID-19.
    Piazza G, Campia U, Hurwitz S, et al.
    J Am Coll Cardiol. 2020;76(18):2060-2072.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
N. HEMING
G. JACQ
T. KAMEL
G. LABRO
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
L. POIROUX
A. ROUZÉ