PAVM et aspergillose pulmonaire invasive : Les deux faces d’une même pièce ?

01/07/2021
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Article ATS
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Pulmonary Aspergillosis in Patients with Suspected Ventilator-associated Pneumonia in UK ICUs
Loughlin et al.,
American Journal of Respiratory and Critical Care Medicine 2020, doi: 10.1164/rccm.202002-0355OC

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Question évaluée

Incidence et pronostic de l’aspergillose pulmonaire invasive (API) chez les patients suspects de pneumonie acquise sous ventilation mécanique (PAVM) chez des patients non-neutropéniques de réanimation.

Type d'étude

Analyse post-hoc des données issues de deux études multicentriques prospectives conduites au Royaume-Uni.

Méthodes

Les patients inclus dans VAP-Rapid 1 et 2 (1,2) étaient éligibles pour cette étude. Un lavage broncho-alvéolaire (LBA) et un prélèvement sanguin avaient été réalisés et congelés chez tous les patients inclus.

Critères d’inclusion :

Patients intubés et ventilés mécaniquement depuis plus de 48h présentant une apparition ou une aggravation d’un infiltrat pulmonaire radiologique, associée à 2 des critères cliniques suivants :

  • Température > 38 °C ou <35°C
  • Leucocytes > 11x109 ou <4x109/L
  • Sécrétions trachéales purulentes
Critères d’exclusion
  • Antécédent récent de neutropénie (PNN < 0,5X109/L)
  • Mauvaise tolérance prévisible du LBA
  • Volume insuffisant pour réaliser les dosages des marqueurs fongiques dans le sérum et le lavage broncho-alvéolaire (LBA)

Pour chaque patient, analyse des prélèvements sanguins et respiratoires (LBA) a posteriori :

  • résultats de l’examen direct et de la mise en culture du LBA issus des données des études princeps
  • analyses complémentaires réalisées
    • Détection du galactomanane (sang et LBA)
    • PCR aspergillaire (sang et LBA)
    • Dosage sérique du 1,3 béta-D-glucane (seuil de positivité : 80 pg/ml)

L’API probable était définie par la présence des critères clinico-radiologiques d’inclusion associés à au moins l’un des critères mycologiques suivants :

  • Des filaments aspergillaires mis en évidence à l’histologie ou par examen direct et culture tissulaire
  • Culture positive du LBA pour Aspergillus spp.
  • Galactomanane positif dans le LBA (seuil ≥ 1, densité optique)
  • Galactomanane positif dans le sérum (seuil ≥ 0.5, densité optique)
Facteurs de risques analysés

Age, score APACHEII, nécessité d’épuration extra-rénale, exposition récente à un traitement par corticostéroïdes, durée de séjour en réanimation avant inclusion, infection grippale concomitante (PCR grippe A et B sur LBA réalisée a posteriori pour tous les patients suspects d’API).

Objectif principal

Déterminer l’incidence de l’API chez les patients ayant une suspicion de PAVM selon les critères ci-dessus.

Objectif secondaire

Déterminer l’incidence de l’API chez les patients ayant une suspicion de PAVM selon les critères renforcés :

  • Galactomanane dans le LBA supérieurs au seuil de 1,5
  • Autre biomarqueur d’infection fongique associé :
    • (1,3)-B-d-glucane positifs dans le serum
    • PCR aspergillaire positive dans le serum et/ou le LBA
Résultats essentiels

Parmi les 360 patients inclus dans VAP1 et 2, 166 (46%) ont été exclus en raison de l’absence de volume suffisant pour réaliser les dosages des marqueurs fongiques dans le sérum et le LBA.

Sur 194 patients inclus, 24 patients présentaient une API probable selon les critères standards :

  • Galactomanane ≥ 1 dans le LBA : 16 patients
  • Galactomamane ≥ 0.5 dans le sérum : 4 patients
  • Galactomananes positifs dans les 2 prélèvements : 4 patients

Le dosage positif du Galactomanane était associé à une culture positive du LBA pour Aspergillus spp. chez 3 patients. Aucun patient n’avait bénéficié d’un examen histologique. Quinze des 24 patients avaient au moins un autre biomarqueur positif (10 avaient des (1,3)-B-d-glucanes positifs, 10 avaient une PCR aspergillaire positive dans le LBA et 5 dans le serum).

Incidence de l’API
  • Selon les critères standards : 12,4% (IC à 95% = 8,1 – 17,8)
  • Selon les critères renforcés :
    • 9,3% (IC à 95% = 5,6-14,3) en cas de galactomanane ≥ 1.5
    • 7,3% (IC à 95% = 4,74-12,4) en cas de second biomarqueurs positif associé

Aucun des facteurs de risque potentiels évalués n’était significativement associé à la survenue d’une API.

Il n’y avait pas de différence significative concernant l’âge, le score APACHEII, l’incidence des PAVM bactériennes associées et la mortalité entre les deux groupes. Cependant, la durée de séjour (25,5 jours contre 15,5, p = 0,02) était plus élevée chez les patients présentant une API que chez ceux qui n’en présentaient pas.

Un seul patient avait bénéficié de l’instauration d’un traitement antifongique au cours de son séjour en réanimation.

Commentaires

Le diagnostic d’API en réanimation est difficile et fait l’objet de débat. L’enjeu est de pouvoir distinguer la colonisation aspergillaire et l’API, et pour cette dernière, de distinguer l’API prouvée, probable, et possible. Habituellement, les scores sont basés sur des facteurs d’hôtes, des facteurs radiologiques, des facteurs mycologiques (examen direct ou culture), et plus récemment des biomarqueurs fongiques. L’API a avant tout été étudiée chez les patients immunodéprimés. Dans ce contexte, les classifications validées sont celles de l’EORTC/MSGERC-2008, et EORTC/MSGERC-2019 qui a intégré les biomarqueurs. De nouvelles classifications (Asp-ICU, proposée par Blot et al, AJRCCM 2012 ; et BM-Asp-ICU, proposée par Hamam et al, AIC 2021), chez les patients non immunodéprimés admis en réanimation, sont en cours de validation. La classification utilisée ici est légèrement différente (toujours basée sur des critères cliniques, radiologiques, et mycologiques et/ou biomarqueur) mais s’en rapproche : c’est celle utilisée par Schauwvlieghe dans une cohorte rétrospective associant aspergillose et grippe.

Il s’agit de la première étude permettant d’estimer, sur des critères robustes, l’incidence de l’API chez les patients non neutropéniques ayant une suspicion de PAVM. Ces résultats renforcent des données récentes de la littérature reconnaissant les patients de réanimation comme une population à risque de développer une API (3) et les auteurs soulignent l’intérêt des biomarqueurs chez ces patients. L’incidence retrouvée dans cette étude est bien supérieure à celles issues de la littérature (4-6) et indépendante d’une éventuelle co-infection grippale. Ce résultat peut être expliqué par l’absence de recherche systématique d’API chez les patients suspect de PAVM dans les études antérieures, surtout en l’absence d’immunodépression connue.

Points forts

Etude multicentrique, utilisation de marqueurs combinés et de spécificité renforcée permettant d’évoquer des API probables chez les patients suspects de PAVM.

Points faibles

Un point faible est l’absence de consensus actuel sur le choix de la classification à utiliser chez les patients de réanimation. Or si l’on change les critères employés, on change l’incidence de l’API. En l’absence de prélèvement histologique, aucune IPA n’a pu être classée comme « prouvée » dans cette étude. Pour autant, le faisceau d’argument concernant la positivité de plusieurs biomarqueurs (sang et LBA, ou 2 biomarqueurs différents) augmente la probabilité. Les scores récemment proposés en réanimation ne nécessitent plus un aspect radiologique spécifique, un simple infiltrat (ici présent du fait de la PAVM) suffit.

Le pourcentage des patients exclus pour absence de quantité suffisante de sang et/ou LBA pour réaliser les dosages des marqueurs fongiques était élevé (46%). De plus, le nombre des patients inclus et l’analyse rétrospective des données, ainsi que des prélèvements biologiques ont pu biaiser la puissance et l’interprétation des résultats. Ainsi, cette étude ne permet pas de tirer une conclusion concernant les facteurs de risque d’API et son impact sur le pronostic chez les patients suspects de PAVM. Par exemple, les patients présentant une BPCO, un SRDA ou une maladie hépatique (7-9) ont été identifiés par les études antérieures comme population à risque pour l’API. La présence de ces facteurs de risque chez les patients inclus dans cette étude n’a pas pu être évaluée par les auteurs. Il est donc impossible à ce stade de déterminer si la recherche d’API doit être effectuée systématiquement chez les patients suspects de PAVM, en l’absence des facteurs de risque connus.

Implications et conclusions

L’incidence de l’API probable chez le patient non-neutropénique suspect de PAVM pourrait être proche de 10%. Etant donné les limites discutées ci-dessus, sa recherche ne peut pas être préconisée chez tous les patients suspects de PAVM. Cependant, cette incidence élevée incite à rechercher systématiquement l’API chez les patients présentant des facteurs de risque et/ou si l’évolution de la PAVM est défavorable.

Une étude prospective multicentrique de plus grande ampleur utilisant les méthodes diagnostiques appropriées est nécessaire afin de déterminer l’incidence de l’API chez les patients suspects de PAVM afin d’identifier les facteurs de risque de cette pathologie chez les patients non-neutropéniques.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Dr. Margot VASSEUR et le Pr. Saad NSEIR, Médecine Intensive -Réanimation, CHU de Lille.

Déclaration de lien d'intérêt des auteurs : Margot VASSEURSaad NSEIR

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l'un des auteurs (s-nseir@chru-lille.fr) à la CERC.

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Références

  1. Hellyer TP, Morris AC, McAuley DF, Walsh TS, Anderson NH, Singh S, et al. Diagnostic accuracy of pulmonary host inflammatory mediators in the exclusion of ventilator-acquired pneumonia. Thorax 2015;70:41–47. 20.
  2. Hellyer TP, McAuley DF, Walsh TS, Anderson N, Conway Morris A, Singh S, et al. Biomarker-guided antibiotic stewardship in suspected ventilator-associated pneumonia (VAPrapid2): a randomised controlled trial and process evaluation. Lancet Respir Med 2020;8: 182–191.
  3. Bassetti M, Peghin M, Vena A. Challenges and solution of invasive Aspergillosis in non-neutropenic patients: a review. Infect Dis Ther 2018;7:17–27.
  4. Meersseman W, Vandecasteele SJ, Wilmer A, Verbeken E, Peetermans WE, Van Wijngaerden E. Invasive aspergillosis in critically ill patients without malignancy. Am J Respir Crit Care Med 2004;170:621–625.
  5. Baddley JW, Stephens JM, Ji X, Gao X, Schlamm HT, Tarallo M. Aspergillosis in Intensive Care Unit (ICU) patients: epidemiology and economic outcomes. BMC Infect Dis 2013;13:29
  6. Schauwvlieghe AFAD, Rijnders BJA, Philips N, Verwijs R, Vanderbeke L, Van Tienen C, et al.; Dutch-Belgian Mycosis Study Group. Invasive aspergillosis in patients admitted to the intensive care unit with severe influenza: a retrospective cohort study. Lancet Respir Med 2018;6: 782–792
  7. Delsuc C, Cottereau A, Frealle E et al. Putative invasive pulmonary aspergillosis in critically ill Patients with chronic obstructive pulmonary disease: a matched cohort study. Crit Care. 2015;19:421.
  8. Contou D, Dorison M, Rosman J, et al. Aspergillus-positive lower respiratory tract samples in patients with the acute respiratory distress syndrome: a 10-year retrospective study. Ann Intensive Care. 2016;6(1):52.
  9. Coste A, Frérou A, Raute A, et al. The Extend of Aspergillosis in Critically Ill Patients With Severe Influenza Pneumonia: A Multicenter Cohort Study. Crit Care Med. 2021 doi:10.1097/CCM.0000000000004861.
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON