Le plasma convalescent COVID-19 ? Très tôt, et à fort taux !

16/07/2021
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Simonovitch et al, NEJM, 2021. Libster et al, NEJM, 2021.

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Question évaluée

Efficacité du plasma convalescent COVID-19 pour le traitement de la COVID-19 ?

Contexte

La maladie COVID-19 reste à ce jour sans solution thérapeutique satisfaisante. En complément du traitement symptomatique, la dexaméthasone apporte un bénéfice aux patients requérant une oxygénothérapie. Dans les formes graves, un antagonisme supplémentaire de l’inflammation par administration d’anticorps anti-récepteurs de l’IL-6 pourrait être bénéfique. Enfin, un traitement antiviral direct par le remdesevir est d’une efficacité limitée.

Dans ce contexte, l’immunothérapie passive de la COVID-19, c’est-à-dire l’administration passive d’anticorps (Ac) dirigés contre le SARS-CoV-2 pour supprimer la réplication virale, est apparue comme un traitement prometteur [1]. Cette immunothérapie comprend 1. les Ac polyclonaux anti SARS-CoV-2 présents dans le plasma de donneurs convalescents de la COVID-19 et administrés lors d’une transfusion de plasma [2] ou administrés comme IgG hyper-immune après fractionnement du plasma [3], et 2. les Ac monoclonaux (AcMo) anti-SRAS-CoV-2 d’origine humaine ou animale. [4]

Plusieurs essais évaluant l’administration d’AcMo anti-SARS-Cov-2 très tôt après l’initiation des symptômes ont démontré leur efficacité pour accélérer la diminution de la charge virale et, plus important encore, pour réduire le risque d’aggravation de la maladie à un point nécessitant une hospitalisation [5][6]. L’émergence de variants potentiellement résistants [7], une disponibilité potentiellement limitée, et leurs couts sont toutefois susceptibles de constituer des freins à leur utilisation. Par ailleurs, les essais évaluant ces mêmes AcMo chez les patients hospitalisés, c’est-à-dire chez des patients à des phases plus avancées de la maladie, n’ont pas rapporté d’efficacité à ce jour.

Le plasma convalescent Covid-19 plasma (PCC) a fait l’objet d’un grand nombre d’essais cliniques [8]. Plusieurs d’entre eux sont encore en cours. Les essais randomisés publiés à ce jour n’ont pas montré d’efficacité du PCC chez des patients hospitalisés [9]. Toutefois, certains de ces essais, ainsi que des études cas-contrôle ou de cohortes rapportent des éléments en faveur d’une efficacité du PCC lorsque celui-ci est administré tôt dans l’évolution de la maladie et qu’il contient un titre élevé d’Ac anti SARS-Cov-2 [10][11]. Fait important également, de bon résultats cliniques ont été observés lors de la transfusion de PCC chez des patients COVID-19 avec un déficit immunitaire qui ne permet pas une réponse anticorps anti-SARS-CoV-2 [12].

Population étudiée 

Deux essais cliniques randomisés portant sur l’efficacité du PCC ont été récemment publiés dans le New England Journal of Medicine[13][14].  Ces deux études ont été réalisées en Argentine. La 1ere s’adresse à des patients COVID-19 hospitalisés, la 2eme à des patients récemment symptomatiques et à haut risque d’évoluer vers une pneumopathie grave requérant une hospitalisation.

  1. Simonovitch et collègues13

Méthode

Simonovitch et collègues ont menés une étude prospective randomisée en double aveugle chez des patient COVID-19 hospitalisés avec une pneumopathie avec au moins un des critères de gravité suivants : une saturation en O2 inférieure à 93% au repos et à l’air libre, un ratio PaO2 /FiO2 inférieur à 300 mm Hg ou un score d’atteinte organique (SOFA) supérieur ou égal à 2 points.

Résultats essentiels

228 patients furent randomisés dans le bras traitement et 150 dans le bras placebo. Les patients du bras de traitement étaient transfusés avec 500 ml (range interquartile de 415 à 600 ml) de PCC avec un titre > à 1 :400 et les patients du bras contrôle étaient perfusés avec un même volume de NaCl à 0.9%. Les contenants et tubulures dans les 2 bras étaient emballés de façon opaque. Le critère principal d’évaluation de l’étude était le statut clinique à J30. La durée médiane entre le début des symptômes et l’inclusion était de 8 jours (range interquartile de 5 à 10), soit relativement tôt au cours de l’hospitalisation. Les patients requérant une ventilation mécanique étaient exclus. 46% des patients étaient séronégatifs pour le SARS-CoV-2 à l’inclusion. Le titre médian d’IgG anti-SARS-CoV-2 dans les PCC était de 1:3200 (range interquartile, 1:800 à 1:3200).

A J30, aucune différence significative n’a été objectivé entre les 2 groupes dans la distribution des résultats cliniques avec un odd ratio de 0.83 (intervalle de confiance de 95% [IC]: 0.52 à 1.35 ; p = 0,46). Une analyse de sous-groupe portant exclusivement sur les patients séronégatifs à l’inclusion a rapporté un résultat similaire. La mortalité globale était de 10.96% dans le groupe plasma convalescent et de 11.43% dans le groupe placebo. Un effet dose (Ac) – réponse n’a pas été observé. Les effets indésirables graves étaient similaires dans les deux groupes.

Commentaire

Au total, cet essai est venu conforter les résultats de plusieurs autres essais suggérant une inefficacité du PCC chez des patients COVID-19 hospitalisé pour pneumopathie sévère et ne requérant pas de ventilation mécanique à l’inclusion.

  1. Libster et collègues14

Méthode

Dans une 2eme publication, Libster et collègues ont rapporté les résultats d’une étude randomisée en double aveugle évaluant l’efficacité du PCC administré moins de 72 heures après le début des symptômes cliniques pour réduire le risque d’aggravation vers une pneumopathie grave chez des patients à haut risque. Les patients considérés à haut risque et inclus dans l’essai comprenaient les patients âgés de plus de 75 ans ou entre 65 et 75 ans avec au moins un facteur de comorbidité pour la COVID-19. Le critère principal d’évaluation était l’occurrence d’une pneumopathie sévère. L’essai fut interrompu précocement à 72% de l’effectif prévu en raison de difficulté d’inclusion en sortie de la 1ere vague épidémique.

Résultats essentiels

Un total de 160 patients furent randomisés 1/1 entre la transfusion d’une unité de 250 ml de PCC contenant un haut titre d’Ac (un titre IgG > 1 :1000, mesuré selon la même technique Elisa que dans l’étude de Simonovitch et al) ou la perfusion de NaCl 0.9% de même volume. Comme dans l’essai précédent, le double aveugle fut maintenu par l’emballage opaque des poches et tubulures.

Dans l’analyse en intention de traiter, une pneumopathie sévère est survenue chez 13/ 80 patients (16%) dans le bras de traitement et chez 25/ 80 patients (31%) dans le bras contrôle, soit un risque relatif de 0.52 (IC : 0.29 à 0.94; p = 0.03) et une réduction relative du risque de 48 %. Une analyse modifiée en intention de traiter après exclusion de 6 patients chez qui une pneumopathie grave est survenue avant l’administration du plasma ou de NaCl 9% conduit à un risque relatif de 0.40 (IC : 0.20 à 0.81). Fait important, un effet de dose - Ac a été observé avec une réduction de 73% du risque de pneumopathie sévère chez les patients transfusés avec un PCC doté d’un titre au-dessus de la valeur médiane (1 ;3200, identique à la médiane dans l’étude de Simonovitch) contre 31,4% pour les patients transfusés avec un PCC avec un titre au-dessous de la cette même valeur médiane. Le statut sérologique à l’inclusion n’était pas rapporté. Toutefois il est très probable que dans les 3 jours qui suivent le début des symptômes une large majorité des patients étaient séronégatifs. La mortalité chez ces patients est restée très limitée : 2/80 dans le bras PCC vs 4/80 dans le bras contrôle. Aucun événement indésirable n’a été rapporté.

Commentaire

Au total, cet essai démontre que l’administration précoce de PCC de haut-titre chez des patients à haut risque d’aggravation pourrait réduire la progression de Covid-19 vers une pneumopathie sévère, et par la même, réduire de façon importante le besoin d’hospitalisation.

Implications et conclusions

L’évaluation du contenu en Ac d’un plasma reste aujourd’hui très dépendant des méthodologie utilisées (quantification d’Ac ou capacité de seroneutralisation) et des différentes techniques mises en œuvre. Ainsi, la comparabilité entre les différents essais cliniques pour cette variable, pourtant cruciale, reste difficile aujourd’hui. Les 2 essais rapportés ici ont utilisé une même technique Elisa (IgG anti protéine Spike, COVIDAR), mais pour laquelle la correspondance avec d’autres Elisa ou tests de seroneutralisation reste encore mal connue. Ainsi la définition de « haut titre » pour ces essais reste incertaine, et en tout état de cause, correspond à des titres inférieurs à ceux observés plus récemment chez des donneurs convalescents et vacciné par la suite.

Ces constatations, qu’il convient de consolider, rappellent bien sur les résultats avec les AcMo cités ci-dessus, mais aussi les observations faites par nos collègues argentins dans les 1970 – 1990 à propos de l’intérêt du plasma convalescent pour traiter la fièvre hémorragique d’Argentine. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une fièvre hémorragique (d’origine virale, et mortelle dans 20 à 30% des cas en l’absence de traitement) qui sévit par intermittence en Argentine (dans la province de la Pampa). L’efficacité du plasma convalescent a été démontrée dans cette maladie avec 2 conditions importantes: intervenir très tôt dans la maladie (moins de 7 jours avant le début des symptômes) et avec du plasma à haut titre d’Ac. Aujourd’hui le plasma convalescent reste le traitement de référence de la fièvre hémorragique [15].

Lors d’une prochaine pandémie due à un virus émergeant, la seule approche d’immunothérapie passive ou active disponible dès le début de la crise reposera sur la transfusion de plasma convalescent, une solution thérapeutique « circuit court », peu onéreuse, agile face à d’éventuels variants, et totalement maitrisable en terme d’approvisionnement. Une approche dont il faut poursuivre l’évaluation pour mieux se préparer.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Pr Pierre Tiberghien, Professeur d’Immunologie à l’Université de Franche Comté, Conseiller Médecine et Recherche Europe et Internationale à Établissement Français du Sang, Président de la European Blood Alliance.

Déclaration de lien d'intérêt de l'auteur : Pierre Tiberghien

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Références

  1. Abraham J. Passive antibody therapy in COVID-19. Nat Rev Immunol. 2020;20:401-403. doi: 10.1038/s41577-020-0365-7.
  2. Bloch EM, Shoham S, Casadevall A, Sachais BS, Shaz B, Winters JL, et al. Deployment of convalescent plasma for the prevention and treatment of COVID-19. J Clin Invest. 2020;130:2757-2765. doi: 10.1172/JCI138745.
  3. Vandeberg P, Cruz M, Diez JM, Merritt WK, Santos B, Trukawinski S, et al. Production of anti-SARS-CoV-2 hyperimmune globulin from convalescent plasma. Transfusion. 2021 Mar 14. doi: 10.1111/trf.16378.
  4. Marovich M, Mascola JR, Cohen MS. Monoclonal Antibodies for Prevention and Treatment of COVID-19. JAMA. 2020;324:131-132. doi: 10.1001/jama.2020.
  5. Chen P, Nirula A, Heller B, Gottlieb RL, Boscia J, Morris J, et al. SARS-CoV-2 Neutralizing Antibody LY-CoV555 in Outpatients with Covid-19. N Engl J Med. 2021;384:229-237. doi: 10.1056/NEJMoa2029849.
  6. Weinreich DM, Sivapalasingam S, Norton T, Ali S, Gao H, Bhore R, et al. REGN-COV2, a Neutralizing Antibody Cocktail, in Outpatients with Covid-19. N Engl J Med. 2021;384:238-251. doi: 10.1056/NEJMoa2035002.
  7. Tada T, Dcosta BM, Zhou H, Vaill A, Kazmierski W, Landau NR. Decreased neutralization of SARS-CoV-2 global variants by therapeutic anti-spike protein monoclonal antibodies. bioRxiv [Preprint]. 2021 Feb 19:2021.02.18.431897. doi: 10.1101/2021.02.18.431897.
  8. Janiaud P, Axfors C, Schmitt AM, Gloy V, Ebrahimi F, Hepprich M, et al. Association of Convalescent Plasma Treatment With Clinical Outcomes in Patients With COVID-19: A Systematic Review and Meta-analysis. JAMA. 2021;325:1185-1195. doi: 10.1001/jama.2021.2747.
  9. The RECOVERY Collaborative Group, Peter W Horby, Lise Estcourt, Leon Peto, Jonathan R Emberson, Natalie Staplin, Enti Spata, et al. Convalescent plasma in patients admitted to hospital with COVID-19 (RECOVERY): a randomised, controlled, open-label, platform trial. medRxiv 2021.03.09.21252736; doi: https://doi.org/10.1101/2021.03.09.21252736 
  10. Li L, Zhang W, Hu Y, Tong X, Zheng S, Yang J, et al. Effect of Convalescent Plasma Therapy on Time to Clinical Improvement in Patients With Severe and Life-threatening COVID-19: A Randomized Clinical Trial. JAMA. 2020;324:460-470. doi: 10.1001/jama.2020.10044. Erratum in: JAMA. 2020;324:519.
  11. Joyner MJ, Carter RE, Senefeld JW, Klassen SA, Mills JR, Johnson PW, et al. Convalescent Plasma Antibody Levels and the Risk of Death from Covid-19. N Engl J Med. 2021;384:1015-1027. doi: 10.1056/NEJMoa2031893.
  12. Hueso T, Pouderoux C, Péré H, Beaumont AL, Raillon LA, Ader F, et al. Convalescent plasma therapy for B-cell-depleted patients with protracted COVID-19. Blood. 2020;136:2290-2295. doi: 10.1182/blood.2020008423.
  13. Simonovich VA, Burgos Pratx LD, Scibona P, Beruto MV, Vallone MG, Vázquez C, et al. A Randomized Trial of Convalescent Plasma in Covid-19 Severe Pneumonia. N Engl J Med. 2021;384:619-629. doi: 10.1056/NEJMoa2031304.
  14. Libster R, Pérez Marc G, Wappner D, Coviello S, Bianchi A, Braem V, et al. Early High-Titer Plasma Therapy to Prevent Severe Covid-19 in Older Adults. N Engl J Med. 2021;384:610-618. doi: 10.1056/NEJMoa2033700.
  15. Frank MG, Beitscher A, Webb CM, Raabe V; members of the Medical Countermeasures Working Group of the National Emerging Special Pathogens Training and Education Center’s (NETEC’s) Special Pathogens Research Network (SPRN). South American Hemorrhagic Fevers: A summary for clinicians. Int J Infect Dis. 2021;105:505-515. doi: 10.1016/j.ijid.2021.02.046.