La prise en charge pré-hospitalière médicalisée améliore-t-elle le pronostic des patients souffrant de traumatismes pénétrants ?

11/01/2018
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Texte

Association of Prehospital Mode of Transport With Mortality in Penetrating Trauma
Wandling, M. W., Nathens, A. B., Shapiro, M. B., & Haut, E. R. (2017).
JAMA Surgery, 2017

Texte

Question évaluée

Impact du mode transport pré hospitalier sur la mortalité hospitalière des patients atteints de traumatisme pénétrant.

Type d’étude

Etude rétrospective de cohorte.

Population étudiée

Patients de plus de 16 ans, admis entre le 1er janvier 2010 et le 31 décembre 2012, pour un traumatisme pénétrant (balistique ou arme blanche) dans l’un des 298 centres d’accueils des polytraumatisés (trauma-center) du territoire américain. Les patients étaient classés selon leur mode d’acheminement à l’hôpital : soit par un véhicule médicalisé soit par un véhicule particulier. Les patients ayant transité par une structure de soins non spécialisée avant d’atteindre le trauma center ont été exclus.

Méthode

Analyse rétrospective anonymisée d’une base de données nationale (American College of Surgeons National trauma Data Bank) centrée sur les patients admis dans des trauma center de niveaux 1 et 2. Les auteurs ont comparé les taux de mortalité non ajustés des patients transportés à l’hôpital par véhicule privé ou véhicule médicalisé. L’analyse a été complétée par une étude en sous-groupes selon la nature du traumatisme : traumatisme balistique ou plaie à l’arme blanche.

Afin d’évaluer l’association entre le mode de transport pré-hospitalier et la mortalité hospitalière, les auteurs ont également utilisé un modèle linéaire mixte généralisé. L’analyse ajustée des facteurs de risque de mortalité a pris en compte le niveau du trauma center ainsi que certains paramètres cliniques, paracliniques et démographiques à l’admission (fréquence cardiaque, pression artérielle, score moteur sur l’échelle de Glasgow, score ISS, âge, sexe, ethnie, année d’admission et le régime d’assurance maladie).

Résultats essentiels

Sur 2 329 446 patients admis dans 869 hôpitaux, 103 029 patients admis dans les 298 hôpitaux sélectionnés ont été analysés. Le critère principal de jugement était la mortalité intra-hospitalière. Les auteurs distinguaient la mortalité précoce (survenant pendant le séjour aux urgences) et la mortalité différée (survenant dans les jours suivants).

Les patients blessés par arme blanche, d’origine africaine ou hispanique étaient plus fréquemment transportés par un véhicule privé comparé au transport par un véhicule médicalisé (P < 0,001) . Les patients transportés à l’hôpital par un véhicule privé présentaient un score ISS moyen à l’admission significativement plus faible comparé à celui de ceux transportés par un véhicule médicalisé (P < 0,001).

La mortalité non ajustée des patients transportés par véhicule privé était significativement plus faible que celle observée après transport par véhicule médicalisé avec respectivement 378 décès (2,2%) contre 9986 (11,6%) P < 0,001. Cette différence de mortalité persistait dans les sous-groupes « traumatisme balistique » (P < 0,001) et « traumatisme par arme blanche » (P < 0,001).

Après analyse des facteurs de risque de mortalité, ajustés sur les covariables prédéfinies, le transport par véhicule privé était un facteur protecteur, tant dans la population globale [OR 0,38 ; IC 95% (0,31-0,47)] que chez les patients avec un traumatisme balistique [OR 0,45 ; IC 95% (0,36-0,56)] ou un traumatisme par arme blanche [OR 0,32 ; IC 95% (0,2-0,52)]. Ces différences persistaient quels que soient les centres.

Commentaires

L’analyse a été centrée sur les traumatismes pénétrants car, dans cette population, le recours à une chirurgie sans délai, lorsqu’elle est indiquée, améliore le pronostic. Il est difficile de savoir si les patients transportés par véhicule médicalisé auraient été transportables par véhicule privé ou si la gravité de leurs lésions nécessitait un transport par véhicule médicalisé. D’ailleurs, les patients transportés par véhicule médicalisé présentaient un score ISS plus élevé que les patients transportés par véhicule privé sans que l’on puisse établir de lien de cause à effet. D’autre part, il serait intéressant de connaitre le délai entre le traumatisme et l’arrivée à l’hôpital dans chacun des deux groupes afin d’affiner l’analyse.

Points forts

La taille de l’échantillon est très importante et l’étude a été réalisée sur des données récentes (2010-2012). La pertinence du critère de jugement est indiscutable. La méthodologie est précisément expliquée et justifiée. Les différences de mortalités observées sont constantes quels que soient les sous-groupes étudiés.

Points faibles

Cette étude rétrospective a été réalisée à partir d’une base de données pour laquelle l’exactitude et l’exhaustivité des informations n’est pas vérifiable. Le design de l’étude ne permet pas d’établir de lien de causalité entre la mortalité et le mode de transport pré-hospitalier. Les auteurs présentent les données brutes concernant les modalités de transport sans analyser les éléments cliniques de gravité qui auraient pu orienter vers une prise en charge médicalisée ou non médicalisée pré-hospitalière.

Par ailleurs, l’exclusion systématique des dossiers incomplets, participant néanmoins à la qualité de l’étude, peut introduire un biais. En effet, les patients pour lesquels les données sont incomplètes étaient probablement les moins graves avec des durées d’hospitalisation très courtes et un recueil de données parcellaire. Enfin, cette étude ne propose pas d’analyse ciblée sur les traumatismes de l’étage thoracique dont le délai de prise en charge modifie considérablement le devenir des patients.

Implications et conclusions

Ces résultats ne doivent pas être utilisés comme un plaidoyer contre le système de soins français pré-hospitalier car son fonctionnement n’est pas le même qu’outre Atlantique. Par ailleurs, les biais que nous avons identifiés ne permettent pas de se prononcer formellement sur la pertinence de l’analyse. Cette publication renforce néanmoins l’idée que la rapidité d’acheminement vers un centre d’accueil spécialisé doit rester une priorité de la médecine d’urgence pré-hospitalière. Cet adage concerne particulièrement les patients les plus sévèrement blessés, chez lesquels aucun examen ne doit retarder le transport.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Dr. Mickael VOURC’H et le Pr. Karim ASEHNOUNE, Réanimation Chirurgicale, CHU de Nantes.

Le Dr Mickael VOURC’H ne déclare aucun conflit d’intérêt.
Le Pr. Karim ASEHNOUNE déclare les liens suivants : lectures (honoraires qui me sont payés) pour les laboratoires suivants : LFB, Baxter, Fisher et Paykel, Medtronic, Fresenius.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (Mickael.vourch@chu-nantes.fr, Karim.asehnoune@chu-nantes.fr) ou à la CERC.

Texte

CERC

N. AISSAOUI (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
F. BROUARD
D. GRIMALDI
S. HRAIECH
JC. LACHERADE
JB. LASCARROU
P. MICHEL
G. MULLER
G. PITON
A. YOUSSOUFA