Procalcitonine aux urgences : une étude négative dans le New England ne suffit pas pour un enterrement de première classe

24/04/2019
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Procalcitonin-Guided Use of Antibiotics for Lower Respiratory Tract Infection.
Huang DT, Yealy DM, Filbin MR, Brown AM, Chang CH, Doi Y, Donnino MW, Fine J, Fine MJ, Fischer MA, Holst JM, Hou PC, Kellum JA, Khan F, Kurz MC, Lotfipour S, LoVecchio F, Peck-Palmer OM, Pike F, Prunty H, Sherwin RL, Southerland L, Terndrup T, Weissfeld LA, Yabes J, Angus DC; ProACT Investigators.

N Engl J Med. 2018 Jul 19;379(3):236-249

Texte

Question évaluée

Est-ce que l’utilisation du dosage de la procalcitonine permet de diminuer la consommation antibiotique chez les malades suspects d’infection respiratoire basse aux urgences, sans impacter le pronostic ?

Type d’étude

Étude randomisée multicentrique aux urgences (14 hôpitaux aux États-Unis), en ouvert, comparant l’utilisation de la procalcitonine par rapport à une prise en charge usuelle pour guider l’antibiothérapie chez les patients suspects d’infection respiratoire basse.

Population étudiée

Patients de plus de 18 ans, admis aux urgences pour suspicion d’infection des voies aériennes basses, et pour lesquels le clinicien n’a pas encore décidé s’il allait débuter ou non une antibiothérapie.

Les principaux critères d’exclusion étaient les suivants :

– les patients chez qui les antibiotiques étaient considérés comme indispensables, à savoir les patients déjà sous antibiotiques, sous vasopresseurs, intubés-ventilés, immunodéprimés, ou présentant une autre infection extra-respiratoire ;

– les patients ayant subi une intervention chirurgicale dans les 7 jours précédant l’inclusion ;

– les patients hémodialysés chroniques.

Méthode

Étude randomisée contrôlée en ouvert, cherchant à démontrer qu’un algorithme intégrant la procalcitonine dans la prise en charge des infections respiratoires basses aux urgences permet de réduire la consommation antibiotique par rapport à un traitement standard, sans impact sur la morbi-mortalité.

Les hôpitaux sélectionnés pour l’étude avaient une adhérence élevée aux recommandations nord-américaines du traitement des pneumonies et n’utilisaient pas la procalcitonine en pratique courante.

Dans le bras procalcitonine, l’algorithme suggérait de ne pas donner d’antibiothérapie si le taux de procalcitonine était < 0.25 ng/mL, et suggérait d’en donner si le taux était supérieur à 0.25 ng/mL.

Pour les patients hospitalisés, des dosages itératifs étaient effectués (entre H6 et H24, à J3, J5 et J7), et les mêmes consignes étaient appliquées pour la poursuite ou non du traitement antibiotique.

Parallèlement, des consignes concernant l’utilisation des antibiotiques dans les pathologies respiratoires étaient données aux centres. Ces recommandations préconisaient entre autre de ne pas donner d’antibiothérapie chez les patients présentant une exacerbation d’asthme, ou une exacerbation de BPCO sans signe franc d’infection.

Le critère de jugement principal était l‘exposition aux antibiotiques, définie comme le nombre de jour sous traitement antibiotique entre la randomisation et J30. Le critère de jugement principal sur la sécurité était l’apparition d’un effet indésirable potentiellement rattachable à l’absence de prescription antibiotique.

L’étude était conçue comme une étude de supériorité pour l’efficacité et de non-infériorité pour la sécurité.

Résultats essentiels

Parmi les 8360 patients évalués, 1664 ont été randomisés et 1656 finalement évalués (8 exclusions à posteriori). Parmi les patients évalués, 1034 patients n’ont pas été inclus car le clinicien ne souhaitait pas intégrer la procalcitonine à sa décision de traitement.

Parmi les 1656 patients inclus, 39.3% avaient une exacerbation aigüe d’asthme, 32% une exacerbation de BPCO, 24% une bronchite aigüe et 19.9% une pneumonie communautaire. Il s’agissait majoritairement de patients sans critère de gravité et dont les signes d’infection étaient mineurs ou absents.

L’exposition antibiotique n’était pas différente entre les 2 groupes : 4.2 jours dans le bras procalcitonine vs. 4.3 jours dans le bas traitement standard (différence -0.05 jours, IC 95% -0.6–0.5, p = 0.87). Le taux d’adhérence à l’algorithme dans le bras procalcitonine n’était que de 64.8% ; mais les résultats étaient similaires en ne prenant en compte que cette population dans l’analyse.

Il n’y avait aucune différence d’exposition antibiotique entre les 2 groupes quel que soit le diagnostic initial, même si le nombre de patients avec exacerbation de BPCO, bronchite aigüe et pneumonie communautaire ayant reçu des antibiotiques était de façon non significative plus bas dans le groupe procalcitonine (respectivement de 5.5%, 15.8% et 7.3%) que dans le groupe contrôle.

En revanche, chez les patients présentant une bronchite aigüe, le taux de prescription antibiotique aux urgences était statistiquement plus bas dans le bras procalcitonine que dans le bras traitement standard (différence de 14.8%).

Enfin, l’utilisation d’un algorithme basé sur la procalcitonine n’était pas non-inférieure à un traitement standard sur la survenue d’évènements indésirables.

Commentaires

Les résultats de cette étude négative vont à l’encontre des études effectuées en Europe ainsi que d’une méta-analyse récente, qui retrouvent qu’un algorithme basé sur la procalcitonine permet de diminuer la consommation antibiotique sans effet sur la morbi-mortalité [1,2] . Cependant, cette étude présente de nombreuses différences par rapport aux études précédentes qui rendent son interprétation discutable :

  • Population différente : malades moins graves, beaucoup d’exacerbations aigües d’asthme [1,3,4] ;
  • La probabilité pré-test d’infection bactérienne était très faible, comme le montrent les paramètres « inflammatoires » (température, leucocytes) des patients inclus ;
  • De nombreux malades dans le bras procalcitonine ont reçu des antibiotiques alors que l’algorithme recommandait de ne pas en donner.

La proportion de patients dans le groupe contrôle ayant reçu un traitement antibiotique est très basse (62% seulement des patients ont reçu un antibiotique), ce qui est surprenant pour une étude menée aux Etats-Unis. Deux hypothèses pour expliquer cette constatation :

  • Parallèlement à l’implémentation de l’algorithme basé sur la procalcitonine, les auteurs ont rappelé les recommandations de bonne prescription antibiotique en cas de suspicion d’infection respiratoire. Il est possible qu’une partie des résultats observés soit liée à l’implémentation de ces mesures éducationnelles.
  • Certains malades ont été inclus alors que leur probabilité d’infection était vraiment très basse (voire nulle) et inversement des patients possiblement plus intéressants à inclure ont été traités par antibiotiques sur la base du jugement du médecin.

La conclusion de ce travail est donc que dans une population où la probabilité d’infection bactérienne est très faible, l’utilisation de la procalcitonine pour diminuer la consommation antibiotique n’a aucun avantage par rapport à une prise en charge standard.

Points forts

Etude multicentrique ayant inclus un grand nombre de malades.

Méthodologie robuste.

Les auteurs ont fait plusieurs analyses per protocole pour confirmer les résultats, notamment en analysant seulement les patients chez qui l’algorithme a été respecté.

Points faibles

Il s’agit d’une étude ouverte, avec donc un risque de biais de suivi ou d’évaluation. Cependant ce risque existe dans toutes les études ayant étudié la procalcitonine.

Un grand nombre de patients n’ont pas été inclus car les cliniciens ne souhaitaient pas que la procalcitonine soit intégrée dans la décision de donner ou non des antibiotiques.

Une proportion non-négligeable de patients inclus n’avait à priori pas d’indication d’antibiothérapie (exacerbations aigües d’asthme représentant 40% des patients de l’étude).

Le taux d’adhérence à l’algorithme dans le bras procalcitonine n’était que de 64.8%. A titre d’exemple, 30% des malades du bras procalcitonine qui avaient une procalcitonine <0.25 ng/mL ont reçu des antibiotiques aux urgences alors qu’ils n’auraient pas dû en recevoir.

Implications et conclusions

Cette étude ne remet pas en cause l’utilisation de la procalcitonine dans les infections respiratoires basses aux urgences pour réduire la consommation antibiotique : une méta-analyse récente a montré son impact positif [2]. Il faut cependant utiliser ce marqueur à bon escient, dans les populations où la question entre infection bactérienne et virale pourrait se poser, par exemple la bronchite aigüe et la décompensation de BPCO. L’exacerbation aiguë d’asthme ne fait pas partie de cette catégorie [5].

Cette étude confirme néanmoins une évidence : lorsque la probabilité d’infection est très faible (comme lorsqu’elle est très élevée), la procalcitonine n’a aucun intérêt.

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Conflit d'intérêts

Article commenté par le Pr Charles-Edouard Luyt, service de Médecine Intensive Réanimation, hôpital de la Pitié Salpêtrière, Paris, France.

Charles-Edouard Luyt déclare les liens d’intérêt suivants: ThermoFischer Brahms, Bayer, Biomérieux, MSD (rémunérations pour lectures).
Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.

Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (charles-edouard.luyt@aphp.fr) ou à la CERC.

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Liens utiles

  1. Schuetz P, Christ-Crain M, Thomann R, et al. Effect of procalcitonin-based guidelines vs standard guidelines on antibiotic use in lower respiratory tract infections: the ProHOSP randomized controlled trial. JAMA 2009; 302:1059–1066.
  2. Schuetz P, Wirz Y, Sager R, et al. Effect of procalcitonin-guided antibiotic treatment on mortality in acute respiratory infections: a patient level meta-analysis. Lancet Infect Dis 2018; 18:95–107.
  3. Christ-Crain M, Jaccard-Stolz D, Bingisser R, et al. Effect of procalcitonin-guided treatment on antibiotic use and outcome in lower respiratory tract infections: cluster-randomised, single-blinded intervention trial. Lancet 2004; 363:600–607.
  4. Stolz D, Christ-Crain M, Bingisser R, et al. Antibiotic treatment of exacerbations of COPD: a randomized, controlled trial comparing procalcitonin-guidance with standard therapy. Chest 2007; 131:9–19.
  5. Le Conte P, Terzi N, Mortamet G. et al. Prise en charge de l’exacerbation sévère d’asthme. RFE communes SFMU – SRLF.
    https://www.srlf.org/wp-content/uploads/2018/06/20181213_RFE_Exacerbation_Severe_d_asthme.pdf
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CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
SD. BARBAR
F. BOISSIER
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
S. HRAIECH
G. JACQ
JF. LLIJTOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON
L. POIROUX