Pronostic des comas après arrêt cardiaque récupéré : avis consultatif de l’European Resuscitation Council et de l’European Society of Intensive Care Medicine

01/06/2015
Auteur(s)
Texte

Domaines traités :

Facteurs pronostiques du coma après ACR récupéré

Sociétés impliquées :

European Resuscitation Council
European Society of Intensive Care Medicine

Méthodologie employée :

Méthode GRADE avec consensus d’experts obtenu par méthode Delphi après étude de la littérature.
Revue de littérature datant de moins de 16 ans, incluant tous les  troubles de conscience (GCS ≤ 8) après arrêt cardiaque récupéré, qu’il y ait eu traitement par hypothermie contrôlée ou non.
Exclusion des comas de cause hypoxique autre qu’un arrêt cardiaque (intoxication au CO, arrêt respiratoire, noyade, pendaison).
Un mauvais pronostic neurologique était défini par une catégorie de performance cérébrale (CPC) de 3 à 5 (invalidité neurologique sévère, état végétatif chronique ou décès) par rapport à un CPC de 1 à 2 (absence d’invalidité ou séquelles neurologiques légères à modérées).

Les recommandations couvrent quatre catégories de tests pronostiques: signes cliniques, signes électrophysiologiques, biomarqueurs et imagerie.
Les recommandations sont établies comme fortes, « nous recommandons », ou faibles, « nous suggérons », sur les performances d’un test (sensibilité et spécificité), le coût de la stratégie évaluée, la qualité de l’évidence.

Points essentiels :

Signes cliniques
Il est recommandé :

  • d’utiliser l’absence conjointe des réflexes cornéens et pupillaires à 72 h d’évolution après ACR récupéré comme facteur de mauvais pronostic ;
  • de prolonger l’observation des signes cliniques au-delà de 72h quand la responsabilité d’une sédation ou d’une curarisation résiduelle est suspectée pour minimiser l’éventualité d’une fausse positivité.

Myoclonies et état de mal myoclonique
Il est suggéré :

  • d’utiliser le terme d’ « état de mal myoclonique » pour définir des myoclonies continues et généralisées persistant plus de 30 minutes chez les survivants d’un ACR ;
  • d’utiliser la présence d’un état de mal myoclonique survenant dans les 48h après l’ACR récupéré en combinaison avec d’autres critères pour prévoir un mauvais pronostic, que l’ACR récupéré ait été traité ou non par hypothermie contrôlée ;
  • d’évaluer les patients présentant un état de mal myoclonique  post ACR dès que l’arrêt de sédation est possible. Chez ces patients, les enregistrements EEG peuvent être utiles pour identifier des signes de conscience ou révéler une activité électrique épileptique associée.

Absence bilatérale de la composante N20 des potentiels évoqués somesthésiques (PES)
Il est recommandé d’utiliser l’absence bilatérale de la composante N20 des potentiels évoqués somesthésiques au-delà de 72h après un ACR récupéré pour prédire un mauvais pronostic chez les patients comateux traités par contrôle thermique

Il est suggéré d’utiliser les potentiels évoqués somesthésiques au-delà de 24h après un ACR récupéré pour prédire un mauvais pronostic chez les patients comateux non traités par contrôle thermique.

Electroencéphalogramme (EEG)
Il est recommandé :

  • d’utiliser des critères EEG tels que l’absence de réactivité aux stimuli extérieurs, présence de burst-suppression ou état de mal épileptique (EME) à plus de 72h après un ACR comme facteurs de mauvais pronostic chez les survivants comateux ;
  • de n’utiliser ces critères que combinés (par exemple: présence de burst supression ou EME plus tracé aréactif) et de les combiner aussi avec d’autres facteurs prédictifs car ces critères manquent de standardisation et car leur pertinence est limitée à quelques études réalisées par des electrophysiologistes expérimentés ;
  • de ne pas utiliser un bas voltage EEG pour prédire un mauvais pronostic neurologique, du fait d’une évidence faible et du risque d’interférence avec l’hypothermie, la sédation et des facteurs techniques ;
  • de ne pas utiliser les burst-suppression comme critère pronostique durant les premières 24-36 heures ou durant l’hypothermie contrôlée chez les survivants comateux après ACR.

Marqueurs biologiques
L’énolase neurospécifique (NSE) et la protéine S-100B sont des protéines secrétées après une souffrance cérébrale par les neurones et les cellules gliales respectivement. Les avantages de leur dosage par rapport à la clinique et l’EEG sont de donner un résultat quantitatif et d’être probablement indépendants vis-à-vis de la sédation. Leur principal défaut est la difficulté à déterminer avec un haut degré de certitude un seuil comme critère de mauvais pronostic.

Il est suggéré :

  • d’utiliser des valeurs hautes du dosage de NSE, 48-72 heures après un ACR, en combinaison avec d’autres facteurs prédictifs de mauvais pronostic neurologique chez les survivants comateux, qu’ils aient été ou non traités par hypothermie contrôlée. Cependant aucun seuil assurant 0% de faux positif ne peut être recommandé ;
  • d’être extrêmement prudent et de multiplier les dosages de la NSE dans le temps pour éliminer le risque de faux positif lié à une hémolyse.

Imagerie
Il est suggéré :

  • d’utiliser la présence d’une dédifférenciation substance blanche/substance grise marquée ou l’effacement des sillons sur la TDM cérébrale dans les 24h après un ACR ou la présence d’une réduction importante de la diffusion sur une IRM à 2-5 jours après un ACR comme facteur de mauvais pronostic chez les survivants comateux, qu’ils aient ou non été traités par hypothermie contrôlée ;
  • d’utiliser ces critères d’imagerie pour un mauvais pronostic uniquement en combinaison avec d’autres facteurs pronostiques ;
  • d’utiliser ces critères pour évaluer le pronostic seulement dans des centres ayant une expérience spécifique étant donné le nombre limité de patients étudiés, la grande variabilité spatiale et temporelle des images post anoxiques et le peu de standardisation des mesures quantitatives de ces changements.

Approche pratique : stratégie pronostique suggérée.
Il est suggéré :

  • d’utiliser l’algorithme proposé chez tous les patients comateux ayant une réponse motrice à la stimulation douloureuse nulle ou en extension plus de 72h après un ACR ;
  • d’évaluer les critères prédictifs les plus robustes en premier (faux positifs <5% avec IC 95%) : réflexe pupillaire bilatéral absent combiné à l’absence de réflexe cornéen, absence bilatérale  de la composante N20 des PES après réchauffement (ou après 24h chez les patients n’ayant pas reçu d’hypothermie contrôlée) ;
  • si ces critères ne sont pas sont remplis, un groupe de critères prédictifs moins robustes peuvent être recherchés (faux positifs <5% mais IC >95%)  en combinant aux moins deux critères : présence d’un état de mal myoclonique (dans les 48h après ACR), taux élevé de NSE à 48-72h de l’ACR, tracé EEG aréactif (avec burst-suppression ou état de mal épileptique) après réchauffement, rapport élevé de dédifférenciation substance grise/substance blanche ou effacement des sillons à la TDM cérébrale dans les 24h après l’ACR, ou la présence de modifications ischémiques diffuses  sur l’IRM à 2-5 jours.

Il est suggéré d’attendre 24h après l’évaluation de base et de confirmer la réponse motrice à la douleur avant de mettre en œuvre le second panel de critères.

En l’absence de ces critères, le pronostic neurologique est incertain, il est recommandé de prolonger l’observation, l’absence d’amélioration clinique fait craindre un mauvais pronostic, la plupart des survivants à un ACR récupèrent dans les 10 jours (dans une étude observationnelle récente,  94% des patients se réveillent dans les 4,5 jours et les 6% restant dans les 10 jours).

Commentaires :

Points forts : méthodologie validée, la contribution de chaque auteur est précisée, ainsi que les conflits d’intérêts, explicitation claire des biais méthodologiques des études cliniques (notion de « prophétie autoréalisatrice »), établissement d’un algorithme décisionnel clair.

Points faibles : persistance du flou pronostique concernant tous les patients « intermédiaires » sans mise en évidence d’un délai  décisionnel.