La réponse au décubitus ventral est-elle la bonne question ?

25/03/2021
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Article CCM
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Improved Oxygenation After Prone Positioning May Be a Predictor of Survival in Patients With Acute Respiratory Distress Syndrome.
Hong Yeul Lee; Jaeyoung Cho; Nakwon Kwak; Sun Mi Choi; Jinwoo Lee; Young Sik Park; Chang-Hoon Lee; Chul-Gyu Yoo; Young Whan Kim; Sang-Min Lee.
Crit Care Med 2020; 48:1729–1736

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 Question évaluée 

L'amélioration de l'oxygénation après décubitus ventral (DV) est-elle associée à la survie ?

Type d’étude

Étude de cohorte rétrospective monocentrique de Janvier 2014 à Février 2020 en Corée du Sud.

Population étudiée
  • Adultes hospitalisés sous ventilation mécanique ayant été traités par DV pour SDRA modéré à sévère selon la définition de Berlin et correspondant à la population de l'étude PROSEVA (PaO2/FiO2 ≤ 150 mmHg sous pression expiratoire positive (PEP) ≥ 5 cmH2O et fraction inspirée en oxygène (FIO2) ≥ 0.6).
  • Sont exclus les patients ayant bénéficié d'une séance pour une durée inférieure à 12h.
Méthodes
  • Les gaz du sang artériels étaient analysés avant puis lors de la première séance de DV et après remise en décubitus dorsal.
  • Les patients étaient répartis en 2 groupes : survivants et non survivants  à la sortie de réanimation et 28 jours après inclusion.
  • Une courbe ROC était réalisée afin de définir le meilleur seuil de PaO2/FiO2 et ventilation-minute (Ve)/PaCO2 lors de la première séance de DVDV afin de prédire la mortalité à la sortie de réanimation.
  • Une analyse multivariée par le modèle de Cox  a été utilisée pour déterminer les covariables indépendantes associées à la mortalité à J28.
Résultats essentiels

L’étude a porté sur 116 patients dont 71 décèdent en réanimation (mortalité 61%) alors que la mortalité à J28 est de 59,5%. La meilleure variation de PaO2/FiO2 en DV par rapport à la valeur de base pour prédire la mortalité en réanimation était retrouvée à 8-12h après la mise en DV et consistait en une augmentation de 53,5%. Ce seuil avait une aire sous la courbe ROC de 0.87 (Intervalles de confiance à 95% = 0.80-0.94) et une sensibilité de 91,5% et une spécificité de 73,3%.

Le caractère répondeur au DV avait un rapport de hasard de 0.11 (0.05-0.25) vis-à-vis de la mortalité à J28 avec le modèle de Cox.

Commentaires
  • Cette étude montre une association entre l’augmentation du rapport PaO2/FiO2 et la survie en réanimation dans le SDRA modéré à sévère. Il s’agit de la première étude qui établit cette relation. C’est un résultat conceptuellement important car il a deux implications. D’une part, chez les non-répondeurs en termes d’oxygénation au DV de ne pas poursuivre le DV au-delà de la deuxième séance et de considérer d’autres méthodes comme l’ECMO, technique couteuse et invasive. Un délai long entre intubation et implantation d'une ECMO veino-veineuse associé à une surmortalité à 6 mois (1). D’autre part, chez les répondeurs  au DV de poursuivre cette intervention au-delà de cette première séance
  • Il existe un bénéfice prouvé du DV sur la mortalité globale dans le SDRA modéré à sévère dans un essai (2), résultat renforcé par une récente méta-analyse en réseau qui montre que l’association faible volume courant (<8 ml/kg poids prédit par la taille) et DV est associée de manière étroite à une réduction de mortalité  au cours du SDRA modéré à sévère et ceci avec la plus forte confiance dans la certitude de l’effet (3). Toutefois, une analyse post-hoc de l’essai PROSEVA n’avait trouvé de relation entre réponse au DV en termes d’oxygénation et la survie à J90 (4), en accord avec une étude précédente (5). Certes Gattinoni et al avaient mis en évidence un lien entre réponse en termes d’oxygénation et DV mais la force de ce lien était faible (6). D’ailleurs, dans cette dernière étude (6) c’est le lien entre réduction de la PaCO2 au cours de la séance  de DV et réduction de mortalité qui était le plus fort alors que dans l’étude de Lee (7) ce résultat n’est pas retrouvé. Néanmoins, les malades inclus sont différents dans les études sus-citées (6, 7).
Points forts

Première étude à mettre en évidence une association statistiquement significative entre réponse au DV en termes d’oxygénation et survie dans le SDRA.

Points faibles

De multiples limitations, d’ordre méthodologique essentiellement, affectent cette étude et doivent rendre l’interprétation de ses résultats extrêmement prudente.

  1. Etude observationnelle rétrospective mono-centrique
  2. Pas de groupe de contrôle en décubitus dorsal. Or, incorporer un groupe de contrôle dans les études observationnelles est indispensable pour minimiser un biais de sélection (8).
  3.  L’échantillon de patients isolé dans l’étude de Lee (7) est non représentatif de l’essai PROSEVA. Même si l’étude de Lee a cherché à reproduire les critères d’inclusion de l’étude PROSEVA, cette sélection de malades est en fait rétrospective et très différente du processus d’inclusion des patients tel qu’il peut être réalisé dans une étude prospective de surcroit randomisée et contrôlée. Ceci peut expliquer que la durée avant la première séance de DV soit plus courte dans le groupe survivant en réanimation. Dans l’essai PROSEVA une période de stabilisation de 12-24 heures était imposée avant la randomisation. Ce n’est pas le cas dans l’étude de Lee.  En outre, et surtout, les critères d’arrêt du DV n’étaient pas définis dans l’étude de Lee et ceci est un point majeur dans la stratégie telle qu’elle a été évaluée dans l’essai PROSEVA. D’autre part, de nombreuses données à l’inclusion dans l’étude de Lee sont différentes de celles de PROSEVA : le volume courant moyen, le taux d’utilisation de monoxyde d’azote inhalé, le score SOFA, le temps passé entre intubation et premières séances de DV sont tous plus élevés que dans l’essai PROSEVA. Les patients ont reçu en moyenne deux séances de DV contre 4 dans l’essai PROSEVA.
  4. L’échantillon isolé dans l’étude de Lee est non représentatif du SDRA modéré à sévère avec notamment une mortalité de 61% en réanimation et de 59,5% à J28. Cette dernière est de l’ordre de 40% dans l’étude Lung Safe portant sur plus de 2000 SDRA non reliés au COVID-19 (9). Cette mortalité excessive est probablement liée à une surreprésentation des immuno-déprimés (69%), élément supplémentaire de la non-représentativité de l’échantillon.
  5. Plusieurs aspects méthodologiques posent problème
    1. Il n’y a pas d’hypothèse et le critère de jugement principal n’est pas clairement défini.
    2. La destinée du patient est évaluée d’une part à la sortie de réanimation pour les courbes ROC et d’autre part à J28 pour l’analyse de Cox. On ne comprend pas le rationnel.
    3. Une analyse multivariée de Cox est réalisée. Pourquoi pas une analyse par regression logistique, la courte période d’observation ne justifiant pas une analyse de Cox ? Les variables sont entrées dans le modèle à un seuil de P =0.10 soit de façon assez restrictive si bien que d’autres covariables, potentiellement importantes, ne sont pas prises en compte. Il n’est d’ailleurs pas précisé si les covariables entrées dans le modèle de Cox ont les critères de validité pour être utilisées comme telles, notamment un risque stable au cours du temps.
    4. La définition des répondeurs est faite rétrospectivement et est basée sur les données de cet échantillon. Il n’y a donc pas de généralisation possible.
    5. La définition des répondeurs en termes d’oxygénation au DV est critiquable. Pourquoi pas la compliance ? Dans la littérature, il n’y a pas de consensus sur ce point et c’est un seuil d’augmentation de PaO2 ou de PaO2/FIO2 de 20mmHg ou de 20% par rapport au décubitus dorsal avant DV qui a été le plus souvent utilisé (10). Peut se discuter de prendre le gain d’oxygénation au retour en décubitus dorsal. C’est en effet selon ce critère qu’a été définie la « sevrabilité » du DV dans l’étude Proseva.

L’objectif principal de la ventilation mécanique au cours du SDRA est de prévenir une aggravation du stress/strain pulmonaire plus que d’améliorer l’oxygénation. Il est outre possible que les deux effets soient dissociés. Dans l’essai ARMA le groupe VT traditionnel (12 ml/kg poids prédit par la taille) avaient la meilleure oxygénation dans la première semaine mais finalement une mortalité plus élevée que le groupe avec faible volume courant. Des données expérimentales suggèrent que le DV réduit le stress pulmonaire indépendamment de son effet sur l’oxygénation (11).

Implications et conclusions

On ne peut tirer des conséquences pour la pratique des résultats de cette étude.  Si l’on voulait aborder le problème du lien entre réponse en termes d’oxygénation au DV et survie il faudrait définir les répondeurs a priori puis randomiser les répondeurs et les non répondeurs en deux groupes, décubitus dorsal et DV, comme cela a été fait pour tester le rôle du soupir au cours de la ventilation spontanée assistée (12).   

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par Tanguy Dubost et Claude Guérin, Médecine Intensive-Réanimation, Hôpital Edouard Herriot, CHU de Lyon, Lyon France.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêt en rapport avec cette REACTU.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions à l’auteur (claude.guerin@chu-lyon.fr)ou à la CERC.

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Références

  1. Schmidt M, Pham T, Arcadipane A, Agerstrand C, Ohshimo S, Pellegrino V, Vuylsteke A, Guervilly C, McGuinness S, Pierard S, Breeding J, Stewart C, Ching SSW, Camuso JM, Stephens RS, King B, Herr D, Schultz MJ, Neuville M, Zogheib E, Mira JP, Roze H, Pierrot M, Tobin A, Hodgson C, Chevret S, Brodie D, Combes A. Mechanical Ventilation Management during Extracorporeal Membrane Oxygenation for Acute Respiratory Distress Syndrome. An International Multicenter Prospective Cohort. Am J Respir Crit Care Med 2019; 200: 1002-1012.
  2. Guerin C, Reignier J, Richard JC, Beuret P, Gacouin A, Boulain T, Mercier E, Badet M, Mercat A, Baudin O, Clavel M, Chatellier D, Jaber S, Rosselli S, Mancebo J, Sirodot M, Hilbert G, Bengler C, Richecoeur J, Gainnier M, Bayle F, Bourdin G, Leray V, Girard R, Baboi L, Ayzac L, Group PS. Prone positioning in severe acute respiratory distress syndrome. N Engl J Med 2013; 368: 2159-2168.
  3. Sud S, Friedrich JM, Adhikari N, Fan E, Ferguson N, Guyatt G, Meade M. Comparative effectiveness of protective ventilation strategies for moderate and severe ARDS: Network metaanalysis. Am J Respi Crit Care Med 2021.
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  6. Gattinoni L, Vagginelli F, Carlesso E, Taccone P, Conte V, Chiumello D, Valenza F, Caironi P, Pesenti A. Decrease in PaCO2 with prone position is predictive of improved outcome in acute respiratory distress syndrome. Crit Care Med 2003; 31: 2727-2733.
  7. Lee HY, Cho J, Kwak N, Choi SM, Lee J, Park YS, Lee CH, Yoo CG, Kim YW, Lee SM. Improved Oxygenation After Prone Positioning May Be a Predictor of Survival in Patients With Acute Respiratory Distress Syndrome. Crit Care Med 2020; 48: 1729-1736.
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  9. Bellani G, Laffey JG, Pham T, Fan E, Brochard L, Esteban A, Gattinoni L, van Haren F, Larsson A, McAuley DF, Ranieri M, Rubenfeld G, Thompson BT, Wrigge H, Slutsky AS, Pesenti A. Epidemiology, Patterns of Care, and Mortality for Patients With Acute Respiratory Distress Syndrome in Intensive Care Units in 50 Countries. JAMA 2016; 315: 788-800.
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  11. Scaramuzzo G, Ball L, Pino F, Ricci L, Larsson A, Guérin C, Pelosi P, Perchiazzi G. Influence of PEEP titration on the effects of pronation in ARDS: a comprehensive experimental study. Frontiers in physiology 2020; 11: 1-10.
  12. Mauri T, Foti G, Fornari C, Grasselli G, Pinciroli R, Lovisari F, Tubiolo D, Volta CA, Spadaro S, Rona R, Rondelli E, Navalesi P, Garofalo E, Knafelj R, Gorjup V, Colombo R, Cortegiani A, Zhou JX, D'Andrea R, Calamai I, Gonzalez AV, Roca O, Grieco DL, Jovaisa T, Bampalis D, Becher T, Battaglini D, Ge H, Luz M, Constantin JM, Ranieri M, Guerin C, Mancebo J, Pelosi P, Fumagalli R, Brochard L, Pesenti A. Sigh in patients with acute hypoxemic respiratory failure and acute respiratory distress syndrome: the PROTECTION pilot randomized clinical trial. Chest 2020.
Texte

CERC

JB. LASCARROU (Secrétaire)
K. BACHOUMAS
SD. BARBAR
G. DECORMEILLE
N. HEMING
B. HERMANN
G. JACQ
T. KAMEL
JF. LLITJOS
L. OUANES-BESBES
G. PITON