La réponse immunitaire contre le SARS-CoV-2 a-t-elle bonne mémoire ?

08/10/2021
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Article Science
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Immunological memory to SARS-CoV-2 assessed for up to 8 months after infection
Jennifer M. Dan, Jose Mateus, Yu Kato, Kathryn M. Hastie, Esther Dawen Yu, Caterina E. Faliti, Alba Grifoni, Sydney I. Ramirez, Sonya Haupt, April Frazier, Catherine Nakao, Vamseedhar Rayaprolu, Stephen A. Rawlings, Bjoern Peters, Florian Krammer, Viviana Simon4,5,6, Erica Ollmann Saphire, Davey M. Smith, Daniela Weiskopf, Alessandro Sette, Shane Crotty
SCIENCE, 5 Feb 2021 -Vol 371, Issue 6529 - DOI: 10.1126/science.abf4063

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Question évaluée

Evaluer l’évolution temporelle des différents effecteurs de la réponse immunitaire adaptative (anticorps circulants, cellules mémoires B, cellules T mémoires (CD4+ et CD8+) après une infection par le SARS-CoV-2.

Type d’étude

Etude de cohorte transversale et longitudinale menée aux Etats-Unis.

Population étudiée

Patients âgés de plus de 18 ans, guéris d’une infection prouvée par le SARS-CoV-2 (par test PCR et/ou test sérologique).

Méthode

Les prélèvements sanguins des patients ont permis d’analyser l’évolution des différents effecteurs de la réponse immunitaire adaptative :

  • Anticorps circulants : Immunoglobuline (Ig) G anti-Spike, anti-receptor binding domain (RBD) et anti-nucléocapside; IgA anti-Spike et anti-RBD ainsi que le titre d’anticorps neutralisant un pseudovirus SARS-CoV-2 (PSV).
  • Cellules B mémoires anti-Spike, anti-RBD et anti-nucléocapside et leur isotype (Ig G, IgA ou IgM).
  • Cellules T CD4+ et CD8+ mémoires.
Résultats essentiels

254 prélèvements sanguins issus de 188 patients (âge médian de 40 ans, 93% de forme légère n’ayant pas nécessité d’hospitalisation) ont été analysés (prélevés en médiane 88 jours après le début des symptômes). 43 échantillons ont été prélevés à plus de 6 mois du début des symptômes. 51 patients ont été prélevés à au moins deux reprises, permettant l’analyse longitudinale.

Les auteurs montrent une réponse durable au cours du temps des différents effecteurs de l’immunité adaptative :

  • Décroissance lente du titre d’IgG anti-Spike, anti-RBD, anti-nucléocapside et de l’activitée neutralisante PSV entre 20 et 240 jours après le début des symptômes. Entre 6 et 8 mois post-infection, respectivement 90 et 88% des patients synthétisent toujours des IgG anti-Spike et anti-RBD. Chute relativement rapide des taux d’IgA anti-Spike et anti-RBD.
  • Augmentation progressive de la fréquence des cellules B mémoires, majoritairement IgG+ à distance de l’infection.
  • 70% des patients avaient des cellules T CD8+ mémoires spécifiques à 1 mois de l’infection. A 6 mois, ce taux baissait à 50%.
  • 93% des patients avaient des cellules T CD4+ mémoires spécifiques à 1 mois de l’infection. Malgré une baisse lente de la fréquence des CD4+ mémoire, ils restaient présents à 6 mois chez 92% des patients, avec une activité préservée des lymphocytes folliculaires helpers.
Commentaires

La qualité et la durabilité de la réponse immunitaire adaptive contre le SARS-CoV-2 est un élément majeur de la compréhension de la pathologie et du développement de la stratégie vaccinale. S’il existe des travaux évaluant les réponses immunitaires spécifiques humorale (1) et cellulaire (2), cette étude apporte de nouvelles données :

  • Cette étude montre que la réponse immunitaire est durable dans le temps. En effet, 6 à 8 mois après l’infection, 95% des patients présentaient une réponse immunitaire adaptive spécifique persistante dans au moins trois de ses compartiments (IgG anti-RBD, cellules B mémoires anti-RBD, IgA anti-Spike, cellules T mémoires totaux CD4+ et CD8+).
  • Les tests actuellement disponibles (tests sérologiques) ne reflètent pas la richesse et la durabilité de la réponse immunitaire.
  • Cependant, l’analyse des résultats de l’étude est rendue difficile par la très grande hétérogénéité inter-individuelle de la réponse immunitaire. Par exemple, les taux retrouvés d’IgG anti-Spike variaient d’un facteur de 1 à 14 600, pouvant expliquer l’amplitude de l’intervalle de confiance de leur demi-vie (t1/2 140 jours, 95% IC 89-325 jours). Cette hétérogénéité ne permettait pas de mettre en évidence une corrélation entre le titre d’anticorps circulant et l’immunité cellulaire mémoire.
  • La protéine Spike, et notamment son domaine RBD, semble occuper un rôle central dans le développement de l’immunité adaptative spécifique. En effet l’évolution de l’activité neutralisante des anticorps est parfaitement corrélée à celle des anticorps anti-RBD et 10-30% des lymphocytes B mémoires anti-Spike reconnaissent spécifiquement RBD.

Dépassant le cadre du SARS-CoV-2, cette étude apporte des informations précieuses sur l’évolution temporelle des effecteurs de l’immunité adaptative après une infection virale (différenciation des lymphocytes T mémoires CD8+ en cellules mémoires effectrices de différentiation terminale (TEMRA) et CD4+ en cellules de mémoire centrale (TCM), pérennité des lymphocytes T helper).

L’analyse de l’immunité adaptative menée dans l’étude ne concerne que ses effecteurs circulants. L’immunité locale des voies aériennes supérieures pourrait également jouer un rôle (3).

Ces résultats sont encourageants sur la qualité de la réponse immunitaire adaptive anti-SARS-CoV-2 dans la population générale, cependant l’étude ne permet pas de conclure sur plusieurs points :

  • La réponse immunitaire décrite dans l’étude fait suite à une infection et non à une immunisation, une étude similaire chez des patients ayant été vaccinés serait ainsi nécessaire.
  • La qualité de la réponse immunitaire dans des populations spécifiques où elle semble être moins bonne, comme chez les patients immunodéprimés (4) ou les patients âgés (5).
  • De façon similaire, seuls 7% des patients de l’étude ont présenté une forme sévère nécessitant une hospitalisation. Or, il a été montré que les formes sévères étaient associées à des défauts dans la réponse immunitaire (6). Les résultats de l’étude ne peuvent donc être extrapolés à cette population. 
  • L’efficacité de la réponse immunitaire décrite peut être affectée par l’apparition de nouveaux variants et des mutations dans la protéine Spike (7).

Par ailleurs, la qualité et la pérennité à 6-8 mois de la réponse immunitaire anti-SARS-CoV-2 peut faire discuter l’intérêt de la vaccination après une infection, en l’absence de facteur de risque de mauvaise réponse immune (par exemple patients âgés, immunodéprimés, formes graves).

Enfin, ces résultats sont, certes, rassurants sur la réponse immunitaire adaptative à 6-8 mois, mais ils devraient être confirmés sur le plus long terme.

Points forts
  • Le nombre relativement important de patients constituant la cohorte (188 patients, 254 prélèvements sanguins).
  • L’état de l’ensemble des effecteurs de la réponse immunitaire adaptative (anticorps, cellules B mémoires, T CD4+ et CD8+ mémoires et leur différenciation terminale) a été étudiée sur une période de 6-8 mois post infection.
  • La population étudiée incluait des sujets âgés de 19 à 81 ans.
  • La qualité de la réponse humorale était validée par l’étude du titre d’anticorps neutralisant sur un pseudovirus.
Points faibles
  • Etude longitudinale comportant un nombre faible de patient
  • La grande hétérogénéité inter-individuelle de la réponse immunitaire rendant difficilement extrapolables ces résultats à l’échelle individuelle.
  • La période d’inclusion des patients n’est pas précisée dans l’article, mais comme celui-ci a été mis en ligne le 6 janvier 2021, on peut supposer que tous les patients étaient infectés avec le SARS-CoV-2 « historique » (le variant « britannique » alpha est apparu en Angleterre en Novembre 2020 et le variant delta plusieurs mois après). Les données présentées ne sont donc pas forcément extrapolables aux autres variants actuellement en circulation.
Implications et conclusions

L’infection par le SARS-CoV-2 dans la population générale engendre une réponse immunitaire adaptative de bonne qualité et pérenne, impliquant ses quatre effecteurs principaux. A 6 mois, 95% des sujets conservaient une réponse immunitaire adaptative spécifique contre le SARS-CoV-2.

Ces résultats doivent être confirmés pour la réponse immunitaire après vaccination et dans certaines populations à risque (immunodéprimés, sujets âgés, formes graves).

Ces données ne préjugent cependant pas de l’échappement immunitaire aux nouveaux variants.

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CONFLIT D'INTÉRÊTS

Article commenté par le Pr Nicolas de Prost et Pierre Bay, Médecine Intensive et Réanimation, CHU Henri Mondor.

Les auteurs déclarent ne pas avoir de lien d'intérêt.

Le contenu des fiches REACTU traduit la position de leurs auteurs, mais n’engage ni la CERC ni la SRLF.
Envoyez vos commentaires/réactions aux auteurs (nicolas.de-prost@aphp.frpierre.bay@aphp.fr) ou à la CERC.

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Références

  1. Suthar MS, Zimmerman MG, Kauffman RC, Mantus G, Linderman SL, Hudson WH, et al. Rapid Generation of Neutralizing Antibody Responses in COVID-19 Patients. CR Med [Internet]. 2020 Jun 23 [cited 2021 Apr 18];1(3). Available from: https://www.cell.com/cell-reports-medicine/abstract/S2666-3791(20)30052-5
  2. Grifoni A, Weiskopf D, Ramirez SI, Mateus J, Dan JM, Moderbacher CR, et al. Targets of T Cell Responses to SARS-CoV-2 Coronavirus in Humans with COVID-19 Disease and Unexposed Individuals. Cell. 2020 Jun 25;181(7):1489-1501.e15.
  3. Chua RL, Lukassen S, Trump S, Hennig BP, Wendisch D, Pott F, et al. COVID-19 severity correlates with airway epithelium-immune cell interactions identified by single-cell analysis. Nat Biotechnol. 2020 Aug;38(8):970–9.
  4. Chavarot N, Leruez-Ville M, Scemla A, Burger C, Amrouche L, Rouzaud C, et al. Decline and loss of anti–SARS-CoV-2 antibodies in kidney transplant recipients in the 6 months following SARS-CoV-2 infection. Kidney Int. 2021 Feb;99(2):486–8.
  5. Rydyznski Moderbacher C, Ramirez SI, Dan JM, Grifoni A, Hastie KM, Weiskopf D, et al. Antigen-Specific Adaptive Immunity to SARS-CoV-2 in Acute COVID-19 and Associations with Age and Disease Severity. Cell. 2020 Nov 12;183(4):996-1012.e19.
  6. Hadjadj J, Yatim N, Barnabei L, Corneau A, Boussier J, Smith N, et al. Impaired type I interferon activity and inflammatory responses in severe COVID-19 patients. Science. 2020 Aug 7;369(6504):718–24.
  7. Graham C, Seow J, Huettner I, Khan H, Kouphou N, Acors S, et al. Neutralization potency of monoclonal antibodies recognizing dominant and subdominant epitopes on SARS-CoV-2 Spike is impacted by the B.1.1.7 variant. Immunity. 2021 Apr 1.
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CERC

B. HERMANN (Secrétaire)
A. BRUYNEEL
G. DECORMEILLE
S. GOURSAUD
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